Le Québécois Libre, 15 novembre 2011, No 294. Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/11/111115-2.html Le 22 octobre dernier, une fillette de sept ans a été retrouvée morte à Chelsea par son père; la mère de l'enfant adoptée l'aurait étranglée avant de tenter de s'enlever la vie. Au début de ce même mois, une mère de Saint-Eustache aurait tenté d'électrocuter ses enfants et de s'enlever la vie. Le 4 novembre dernier, une femme et sa fille ont été retrouvées mortes dans un logement de Longueuil; le père n'acceptait pas la séparation. Des drames familiaux, il en arrive environ 25 par année au Québec. Mais le drame qui aura le plus ébranlé nos élus (et une bonne partie de la population québécoise) est sans aucun doute celui de Guy Turcotte, ce cardiologue qui a tué ses deux enfants avant de tenter de s'enlever la vie en avalant près d'un litre de lave-glace. Au terme d'un procès hyper-médiatisé, cet été, Turcotte a été déclaré non criminellement responsable de ses actes. Quelques semaines après l'ouverture du procès, l'Opposition officielle à Québec (flairant sans doute un potentiel élevé d'achat de votes) a réclamé une vaste commission d'enquête sur les drames intrafamiliaux. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Yves Bolduc, avait alors rejeté du revers de la main la demande, disant qu'il souhaitait une formule « plus discrète » ‒ il a dit vouloir éviter une surmédiatisation du sujet, craignant un possible effet d'entraînement. Le mois dernier, le ministre Bolduc a finalement annoncé la mise sur pied d'un comité d'experts sur les homicides intrafamiliaux au Québec. Sa mission: étudier ce qui se fait déjà et identifier ce qui peut être amélioré, voir ce qui se fait ailleurs dans le monde et suggérer des pistes de solution. M. Bolduc est conscient que l'on n'éliminera pas tous les drames familiaux, « parce qu'il y a des cas qui sont imprévisibles, des cas qu'on ne pourra pas empêcher, a-t-il précisé en conférence de presse. Mais si on en empêche quelques-uns au cours d'une année, ça va être ça de gagné. » Même son de cloche de la part du président du comité d'experts en question, Gilles Tremblay: « On ne pourra sans doute pas les éviter au complet, mais si on peut en éviter quelques-uns, c'est déjà ça de gagné. » Si le ministre prend la peine de mentionner qu'il y a des drames familiaux « qui sont imprévisibles », ça doit vouloir dire qu'il y en a qui sont prévisibles. Il s'agirait de rejoindre ces personnes, de les traiter, et des drames seraient évités. D'une façon ou d'une autre, comme l'affirmait M. Tremblay à la télé l'autre jour: « Dès qu'on travaille à améliorer la situation et d'empêcher [...], de pouvoir arrêter ou diminuer cette quantité de drames familiaux, c'est toujours une victoire. » C'est le syndrome du « Si on peut sauver une vie, ça sera toujours bien ça de pris! » Et cela, coûte que coûte. Mais combien devrions-nous mettre d'argent dans la prévention de ce genre de drames? Combien valent les « quelques cas évités » dont le ministre et son président de comité parlent? 1000 $? 10,000 $? 100,000 $? 1 million $? Il existe déjà énormément de ressources en « santé publique » pour les personnes qui souffrent de problèmes mentaux, jusqu'où devrons-nous aller pour « encadrer » encore plus ces gens? De plus, comment prévenir l'imprévisible? Si les voisins et amis des victimes, dans la plupart des cas, disent être surpris et n'avoir jamais rien vu venir lorsqu'interrogés, comment les experts du ministre vont-ils, eux, pouvoir prévenir quoi que ce soit? À défaut d'être dans la tête du parent dérangé quand l'idée de commettre l'irréparable germe, comment nos experts vont-ils faire pour prévenir des drames familiaux? Parce que ça serait manifestement la seule façon de prévenir efficacement ces drames! Pensez au film Minority Report, réalisé par Steven Spielberg. L'action se déroule dans les années 2054, alors que les employés de « Précrime », un département de police américain, appréhendent les criminels avant même qu'ils ne commettent un crime grâce à la prescience de trois voyants appelés « précogs ». Peut-être que c'est vers la mise sur pied d'une telle unité de services que Québec devrait travailler... Plus sérieusement, comment allons-nous savoir que des drames ne se sont pas produits grâce à l'intervention du ministre et de son comité? Le gouvernement, comme d'habitude, va dépenser plusieurs centaines de milliers de fonds publics dans cette nouvelle galère, mais comment allons-nous savoir si ça a un impact, si ça a sauvé des vies et si on en a pour notre argent? Deux choses sont sûres. La première, c'est que si durant une année ‒ pour quelque raison que ce soit ‒ il y a moins que 25 drames familiaux au Québec, le ministre va sauter sur l'occasion et déclarer que c'est grâce à son intervention! Alléluia! S'il y en a plus, il dira qu'il reste malheureusement encore beaucoup de chemin à faire et qu'il faut continuer d'intervenir pour qu'un jour, peut-être, nous venions à bout de ce fléau qui chaque année tue trop de Québécois... ou quelque chose comme ça. L'autre, c'est qu'on aura sans doute droit à une vaste campagne de sensibilisation signée « Québec » prochainement sur nos écrans et dans nos journaux ‒ c'est connu, chaque problématique a sa propre campagne. On nous dira que la famille, c'est important et que si les choses vont mal, il y a heureusement des ressources à notre disposition... Toute cette manoeuvre ne rapportera sans doute rien et tombera rapidement dans l'oubli. Tout comme les membres de l'Opposition officielle à Québec, M. Bolduc et son gouvernement auront flairé la bonne affaire. Ils ne récolteront pas des tas de votes avec ce dossier, mais comme disait l'autre: ça sera toujours bien ça de pris! Après tout, la théorie des choix publics ne nous enseigne-t-elle pas que le but premier du politicien est de garder le pouvoir en achetant des clientèles électorales? ---------------------------------------------------------------------------------------------------- * Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre. |