Ce
n'est pas un hasard si l'on constate une crise de confiance
envers les institutions au Québec, puisque l'État leur
permet d'ignorer les problèmes qu'elles devaient d'abord
régler. Qu'il s'agisse d'un ordre professionnel ou d'un
autre organisme, nous sommes aux prises avec des lobbies qui
militent pour leurs intérêts plutôt que le bien commun.
Ajoutez l'impossibilité pour le citoyen d'y changer quoi que
ce soit, et on obtient une recette parfaite pour le cynisme
et le je-m'en-foutisme.
De plus, il nous est très
difficile de souhaiter réellement un changement, puisque ces
institutions, aussi obsolètes soit-elles, représentent
maintenant une facette de notre « identité collective ». Les
garderies à 7 $, c'est beaucoup plus qu'un simple programme,
c'est ce qui permet l'égalité entre l'homme et la femme. Les
syndicats, ce n'est pas seulement un moyen de gérer les
relations de travail, c'est le respect des droits des
ouvriers. Les études postsecondaires à bas prix, ce n'est
pas seulement un moyen d'entrer dans l'économie du savoir,
c'est une preuve que la collectivité valorise la
connaissance. Bref, on peut arriver à la conclusion que le
bon fonctionnement du modèle québécois est une question
secondaire: ce qui compte, c'est qu'il nous différencie
comme peuple par rapport aux autres.
Avec cette perspective,
on réalise que la mainmise de l'État sur la société civile a
pour effet de transformer le gouvernement en unique moyen
d'affirmation de l'identité collective. L'inefficacité de
notre organisation sociale, c'est le prix à payer pour ne
pas être absorbé par le Canada anglais (ou pire encore, les
États-Unis!), puisque l'État-providence est la seule façon
de s'assurer que l'individu ne se retrouve pas isolé sur le
plan socioculturel.
Le bilan de la Révolution
tranquille n'est donc pas seulement d'ordre économique, mais
aussi d'ordre existentiel. La défiguration qu'elle aura
opérée sur l'identité québécoise aura eu pour effet de créer
un débat complètement artificiel, selon lequel « être
Québécois » est incompatible avec le concept de libre
marché. On comprend maintenant que cet argument est
fondamentalement autoréférentiel, puisque la raison pour
laquelle notre société « n'existerait pas » dans un monde
libertarien est justement parce qu'une bonne partie de ce
qui permet aux individus de se ressembler et de vivre
collectivement (que ce soit la langue, la culture ou les
ordres professionnels) est géré par l'État.
Sur le long terme, les
conséquences ne peuvent être que désastreuses. Ce qui
faisait du Québec une nation distincte a été figé dans la
bureaucratie, privant ainsi nos us et coutumes d'une
certaine flexibilité nécessaire à leur survie. Avec le
temps, la paperasse transformera notre culture en momie dont
la conservation dépendra des habiletés de nos lologues à
l'éloigner de l'air frais. En d'autre terme, le Québec sera
folklorisé et nous vivrons pour tenter de recréer un âge
d'or éloigné.
Les libertariens ne
s'opposent pas à toutes formes de regroupement collectif,
mais bien à l'incrustation du gouvernement dans les rapports
entre les individus. Cette dernière est non seulement
immorale, mais cause inévitablement des problèmes sur le
long terme. Pour faire autrement, il faudrait absolument
rouvrir les livres de notre histoire et cesser de considérer
la Révolution tranquille, avec son étatisation généralisée
des rapports sociaux, comme l'an 1 du Québec.
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