Montréal, 15 décembre 2011 • No 295

 

Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre.

 

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« Intimidés » du berceau au tombeau

 

par Gilles Guénette

 

          Marjorie s'est enlevée la vie le mois dernier. C'est arrivé le 28 novembre en Gaspésie. Selon sa mère, l'intimidation, qui prenait différentes formes, est la seule cause du suicide de sa fille, 15 ans. « Ma fille n'était pas en peine d'amour et ne prenait pas de drogue », affirme-t-elle, agacée par les doutes que certains peuvent laisser planer afin d'expliquer la mort de l'adolescente. « Elle n'en pouvait plus de supporter l'intimidation dont elle était victime. Son mal de vivre, c'était l'école. » Ce suicide, même s'il n'est en fait qu'une mort parmi tant d'autres, a secoué le Québec.

 

Un « problème de société »

          En 2008, 1 103 décès par suicide ont été enregistrés au Québec, parmi lesquels 842 hommes et 260 femmes. Ce nombre équivaut à un taux ajusté de 14,2 décès par 100 000 personnes. Bien que provisoire, ce nombre de décès est inférieur à ce qui a été observé en 1999, alors qu'un sommet de 1 620 décès par suicide avaient été enregistrés. De ce millier de suicides, il y en aurait en moyenne une cinquantaine de commis par des adolescents, selon les derniers chiffres de l'Institut national de santé publique du Québec.

          Plus de 1000 suicides par année et on n'en entend jamais parler dans les médias ‒ on dit qu'on veut éviter de donner des idées aux dépressifs et désespérés. Mais le suicide de Marjorie, pour des raisons inexpliquées, a fait la manchette durant plusieurs semaines à travers la province. Tout le monde y est allé de sa réaction. La classe politique s'est offusquée (Pauline a dit que ça lui avait tiré les larmes...), des intervenants ont dénoncé et demandé plus de fonds pour les écoles, d'autres ont même réclamé une politique « nationale » pour contrer l'intimidation.

          On a eu droit à des dizaines d'articles et de chroniques dans les journaux (de l'autre côté de l'Atlantique, Le nouvel Observateur s'est même penché sur le phénomène québécois...), de même que plusieurs reportages et des tribunes téléphoniques à la télé comme à la radio. Des marches pour dénoncer l'intimidation ont été organisées un peu partout. Des pages Facebook ont été lancées.

          Dans tout ce brouhaha, deux commentaires sont revenus plus souvent qu'à leur tour. Le premier: l'intimidation est un problème de société qui nous concerne tous. Le second: les écoles n'ont pas suffisamment d'argent ou de ressources pour combattre l'intimidation.

          Au sujet du premier commentaire, c'est souvent la même chose ici: chaque problème est élevé au rang de problème « national ». Rien n'est jamais assez simple pour que « le monde ordinaire », ceux qui sont directement touchés par la problématique, s'en occupent. Pourtant, l'intimidation n'est pas un phénomène nouveau. Au risque de passer pour le mononcle fatiguant, dans mon temps, il y en avait de l'intimidation! Et la plupart d'entre nous avons été intimidés.

          Comme je l'ai déjà écris dans les pages du QL, j'avais tout de la victime: j'étais petit et gros ‒ le genre qu'on adore bousculer dans les cases. Et on me bousculait dans les cases! Mais j'ai survécu. Comme la presque totalité des jeunes qui sont victimes d'intimidation survivent. Besoin d'une politique « nationale »?!

          Mais, on vous dira qu'aujourd'hui, c'est pire. Tout est pire! On vit une époque extrême! Il y a la drogue, l'immigration, les téléphones intelligents, les réseaux sociaux, aaahhh!!! Vous remarquerez que ceux qui tiennent ces propos sont souvent des gens d'un certain âge (souvent ceux qui n'ont jamais su programmer leur VHS et qui ont toujours été un peu dépassés par la technologie), ou des intervenantes sociales (qui ont intérêt à ce qu'un climat de terreur règne en permanence...).

          Mais les jeunes d'aujourd'hui qui sont nés une main sur la souris, l'autre sur le clavier, sont-ils vraiment plus à plaindre que nous dans notre temps? Ont-ils une vie beaucoup plus difficile que la nôtre? Pas sûr.
 

« Si le directeur ou le professeur parle fort au jeune, son père ou sa mère monoparentale (ou le chum de sa mère monoparentale) débarque pour leur donner un char de bêtises. Résultat: le personnel enseignant s'en lave les mains. »


          Au sujet du manque de fonds, Richard Martineau a été l'un des rares à ramener un peu de rationalité dans tout ce cirque. Dans une chronique, il écrivait: « Comment ça, plus d'argent? Tu prends le p'tit criss qui fait régner la terreur dans la cour d'école, tu le fais venir dans ton bureau et tu lui dis: "Si tu recommences, il va y avoir des conséquences graves!" Ça ne prend pas plus d'argent, ça. Ça prend du courage et de l'autorité, deux traits de caractère qui ne coûtent pas une maudite cenne. »

          Mais ça au Québec, et surtout dans nos écoles gérées par des fonctionnaires syndiqués, ça ne se fait pas. Si le directeur ou le professeur parle fort au jeune, son père ou sa mère monoparentale (ou le chum de sa mère monoparentale) débarque pour leur donner un char de bêtises. Résultat: le personnel enseignant s'en lave les mains. De toute façon, ça ne fait pas partie de leur description de tâches.

          Martineau est peut-être rationnel, la politique, elle, ne l'est pas. À la veille du congé des fêtes, et pressée par l’opposition et des acteurs du milieu scolaire, la ministre de l’Éducation a promis d’annoncer « prochainement » son plan d’action bonifié pour lutter contre la violence et l’intimidation à l’école. La ministre va saupoudrer encore plus d'argent sur le problème. Combien son gouvernement a-t-il englouti de fonds publics depuis trois ans dans sa lutte contre la violence dans les écoles? 17 millions $. Et nous en sommes encore à réclamer plus de fonds...

          Si toutes les personnes qui réclament l'intervention de l'État ou qui s'offusquent s'impliquaient, il n'y en aurait plus (ou beaucoup moins) d'intimidation à l'école. Pourquoi faut-il toujours que les solutions viennent du gouvernement? Parce nous sommes rendus complètement dépendants de l'État. Nous ne savons plus rien faire de nous-mêmes. Toutes ces années de programmes sociaux et de services publics auront eu raison de notre sens de l'initiative.
 

Ça ne s'arrête pas

          Et n'allez pas croire que l'intimidation cesse lorsque vous quittez les bancs d'école! Selon Lisa M.S. Barrow, auteure de In Darkness, Light Dawns: Exposing Workplace Bullying and Hope For A Healthy Workplace (Purple Crown, 2009), 37% des travailleurs sont victimes d'une certaine forme d'intimidation au travail et 7% d'entre eux auraient même considéré l'homicide ou le suicide pour régler les choses. Du côté des intimidateurs, seulement 1,4% d'entre eux seraient renvoyés des lieux de travail, tandis que 44% de leurs victimes sont soit renvoyées ou quittent leur emploi de leur propre gré.

          Pas de répit au travail, pas de répit à la retraite! Le gouvernement québécois lançait l'année dernière une vaste campagne de publicité pour sensibiliser la population aux méfaits de la violence et de l'intimidation sur les aînés. Ce phénomène nous guette de plus en plus avec le vieillissement de la population et le nombre de plus en plus grand de personnes âgées hébergés dans des centres d'accueil.

          Imaginez, des victimes d'intimidation qui passent de l'école, au travail, à la retraite sans jamais connaître de répit! Ne manque plus que l'intimidation à la garderie et  nous serons une population « intimidée » du berceau au tombeau! Quoique, le réseau de garderies étant maintenant nationalisé, les histoires d'intimidation dans les CPE ne seraient tarder...

 

Note: Pour un regard sur les causes de l'intimidation, voir l'article de mon collègue Harry Valentine, ailleurs dans les pages de ce numéro du QL.

 

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