On peut faire un raisonnement similaire en santé: de quelle
« privatisation » parlons-nous exactement? Un système à deux vitesses
pourrait sans doute contribuer à diminuer les temps d'attentes (qui sont une forme de
coût) en permettant aux mieux nantis d'aller chercher au privé ce qui
est trop lent au public, mais qu'en est-il du fort contrôle de
l'offre?
De façon générale, les médecins en Amérique du Nord sont des
travailleurs autonomes regroupés sous un organisme professionnel (le
Collège des médecins au Québec) dont le modèle de fonctionnement est
similaire à celui d'un cartel. En effet, les prix des divers actes
médicaux sont fixés à l'avance entre la RAMQ et des associations
représentant les médecins (différentes selon qu'il s’agit d'omnipraticiens ou
de spécialistes). Il existe des barrières à l’entrée très
importantes (dès l’admission à l’université) et les diverses
associations médicales ont une forte tendance à se confronter pour
obtenir des monopoles sur certains actes.
Et, évidemment, ces organisateurs sociaux font de petites erreurs... Par
exemple, le 12 décembre dernier,
on apprenait que les tarifs versés aux médecins spécialistes dans le
domaine de la procréation assistée serait non plus 7 100 $ par cycle, mais
bien 4 600 $. En effet, l'ancien taux négocié entre la RAMQ et la
Fédération des médecins spécialistes du Québec était « démesuré par
rapport au coût réel » de l'activité. Quand on sait que ce genre
d'intervention se fait très rapidement et à répétition, on comprend que
c'est une activité assez lucrative... Mais il ne faut pas s’en faire; les
travailleurs publics ont toute l'information qu'il faut pour trouver les prix
optimaux, et les médecins sont des êtres immunisés contre l'attrait de
l'argent, tare plutôt associable à l'Homo Economicus commun.
Bref, quand on observe le système de santé de plus près, on pourrait
très bien se demander en quoi permettre l’assurance (ou la
pratique) privée le transformerait en marché cohérent?
L'aristocratisation tranquille |
On peut décrire l'État-providence comme un ensemble d'assurances
mutuelles permettant aux citoyens de ne pas être individuellement
responsables de décisions prises à l'âge adulte ‒ c'est généralement
pourquoi on le surnomme le « Nanny State » en anglais. Mais est-ce vraiment la
facette la plus dérangeante? Pas nécessairement. Il est même fort
probable que la « montée de la droite » au Québec serait inexistante si
l'État ne se chargeait que du filet social pour les plus démunis. Et la
question reste: les récentes turbulences économiques poussant plusieurs
systèmes à bout, qu'arrivera-t-il quand le manque d'argent forcera Robin
des Bois à vendre son costume?
Le Québec, comme plusieurs autres nations, risque d'y découvrir Vito
Corleone (ou Silvio Berlusconi), c'est-à-dire un homme qui utilise la
coercition pour accorder des privilèges à des groupes d’intérêts, et ce,
en modifiant un système de droit civilisé pour rendre ses magouilles
légales. D'un point de vue libertarien, ce visage de l'État québécois
est beaucoup plus laid que celui de « l'État assureur ».
Les systèmes
économiques reposant sur un équilibre de devoirs et de privilèges en
fonction de l'appartenance à une classe sociale (artiste, politicien,
médecin...) sont des inventions qui datent du Moyen-âge, et qui auraient
dû y rester. Qui plus est, les règles qui en découlent souffrent d’une
obsolescence planifiée à faire peur, rendant les structures ingérables
sur le long terme. Ces dernières vont non seulement rendre la société
moins flexible et moins productive, mais vont directement miner la
conception d’un Québec où la responsabilité individuelle et la
non-agression sont sources de droit.
La privatisation des services est sans doute souhaitable à long
terme, mais ce n’est pas la pierre angulaire sur laquelle repose la
déconstruction de notre collectivité de corporations. Avec le temps, on
peut espérer que cette vision socioculturelle libertarienne d’une
société antiaristocratique comblera le vide traditionnellement occupé
par la droite morale dans le spectre politique.
|