Le Québécois Libre, 15 janvier 2012, No 296. Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/12/120115-4.html « Radio-Canada/CBC est une institution essentielle pour l'unité du pays. » « Ce qui nous garde unis, ce qui permet à notre société de s'épanouir davantage, c'est Radio-Canada. » « Les régions sont importantes dans notre pays et on ne pourrait pas communiquer entre nous sans un diffuseur public. Le secteur privé ne pourrait pas faire cela. » C'est James Moore, le ministre du Patrimoine canadien, dans une entrevue de fin d'année accordée à La Presse. À part le fait qu'on croirait entendre un député du NPD, comment quelques postes de télé et de radio peuvent-ils bien nous aider à garder le pays unis, à communiquer entre nous, ou même à nous épanouir?! Mmm... N'importe quoi. Parler pour parler Le ministre n'est pas le premier à tenir ce genre de propos vide de sens. Plusieurs de ses prédécesseurs ainsi que des chroniqueurs ont sensiblement dit la même chose au fil des ans ‒ comme si, à force de répéter une chose, cela rendait cette chose vraie. C'est le genre de propos que tiennent les politiciens quand ils veulent justifier une dépense et l'enrober d'une aura d'importance. Ceux que tiennent les chroniqueurs nationalistes à cours d'arguments pour nous convaincre qu'il faut garder la CBC-SRC publique... Mais qu'en est-il au juste? Premièrement, comment la CBC-SRC peut-elle « nous garder unis »? Semaine après semaine, selon les sondages BBM, la CBC n'apparaît pas dans la liste des 30 émissions les plus regardées (sauf lorsqu'il y a des matchs de hockey ou des événements sportifs comme la Coupe mondiale de football). Selon le Rapport annuel 2010-2011 de la société d'État, la part d'auditoire de la télé anglaise est de 9,3%, alors que pour la radio, elle est de 14,7% (CBC Radio One + CBC Radio 2). Du côté francophone, la part d'auditoire de la télé est de 19,9%, alors qu'elle est de 19,5% pour la radio (Première Chaîne et Espace musique). Comment la CBC-SRC peut-elle avoir un quelconque pouvoir unificateur alors que plus de 80% des Canadiens ne la regardent ou ne l'écoutent même pas?! Est-ce que l'effet se trouve dans les ondes hertziennes elles-mêmes et nous n'y pouvons rien?! Deuxièmement, comment la CBC-SRC peut-elle permettre « à notre société de s'épanouir davantage »? De quoi parle-t-il au juste? Certains s'épanouissent à l'aide de leur travail, de leurs lectures, de leur art, mais en regardant la télé?! Je ne sais pas pour vous, mais lorsque je m'adonne à regarder la SRC ou la CBC, le mot qui me vient en tête n'est pas « épanouissement »; ça serait plutôt « abrutissement »! Mais de toute façon, comment peut-elle aider les Canadiens à « s'épanouir » alors que plus de 80% d'entre eux l'ignorent totalement? Troisièmement, comment expliquer qu'« on ne pourrait pas communiquer entre nous sans un diffuseur public »? Avez-vous « communiqué » avec un résident de la Saskatchewan dernièrement? De l'Île-du-Prince-Édouard? En quoi une chaîne de télé nous aide-t-elle à communiquer? Certes, ses employés communiquent (toujours le même point de vue étatiste gauchiste) à travers ses émissions, mais de là à dire qu'elle nous permet de communiquer entre nous, c'est du délire! On communique bien plus avec Internet et nos Smartphones qu'avec une télé publique. Et encore une fois, comment peut-elle nous aider à « communiquer entre nous » alors que la très grande majorité des Canadiens n'entre jamais en contact avec elle?! Douche froide Admettons que la CBC-SRC tient le pays ensemble, qu'elle nous aide à communiquer entre nous et à nous épanouir; ne pourrait-elle pas le faire aussi bien si elle était privée? Est-ce que ses pouvoirs résident dans le fait qu'elle est publique? Les Canadiens se sentiraient-ils moins près l'un de l'autre si elle n'était pas publique? Lorsqu'ils regardent la CBC ou la SRC, se disent-ils « Tiens! Je vais regarder la télé publique ce soir! Ce faisant, je vais contribuer à l'union du pays! »? À part quelques weirdos, la majorité regarderait ses émissions même si elles étaient diffusées par une chaîne privée. Les chaînes CTV et Global rassemblent pas mal plus de Canadiens chaque soir que la CBC ne le fait ‒ il suffit de jeter un coup d'oeil à la liste des 30 émissions les plus regardées de la BBM pour s'en rendre compte. À ce compte, le hockey, les pubs de Canadian Tire et les cheveux de Justin Bieber tiennent davantage le Canada uni que la CBC-SRC, sans pour autant être financés par les deniers publics. Alors quand le ministre affirme que le secteur privé ne pourrait pas faire ce que fait supposément la CBC-SRC, il dit n'importe quoi. Autre époque Comme il dit n'importe quoi lorsqu'il soutient que chaque pays du G7 a un diffuseur public; il faut donc en avoir un aussi! Voilà une autre des justifications bidon que se donne Moore pour justifier la subvention annuelle de 1,16 milliard $ à la société d'État. Dans les années 50-60, alors qu'il n'y avait que cela, c'était peut-être important, mais ça ne l'est plus aujourd'hui. Pas dans un univers de chaînes spécialisées, de télé par satellite et d'Internet. De toute façon, pourquoi l'État doit-il être propriétaire de réseaux de télé ‒ ou de radios? Ce n'est pas comme si il s'agissait d'un produit de consommation obscur dont le marché ne pourrait pas s'occuper convenablement. On parle de TV généraliste: le médium qui rejoint le plus de monde sur la planète (quoiqu'en perte de vitesse depuis l'arrivée d'Internet). On est loin du service essentiel. Guy Fournier, homme de télé et chroniqueur au Journal de Montréal, écrivait récemment que la télévision publique (CBC/SRC et Télé-Québec) coûte à chaque Québécois 41 $ par an. À cette somme, il faut ajouter environ 11 $ qu'on débourse indirectement pour les divers fonds d'aide à la production canadienne et les quelque 10 $ de manque à gagner de nos gouvernements pour les crédits d'impôt qu'ils accordent aux producteurs de contenu canadien. Qu'on redonne cet argent aux Canadiens et qu'on les laisse communiquer ou s'épanouir comme ils l'entendent. En voilà une idée rassembleuse! ---------------------------------------------------------------------------------------------------- * Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre. |