Voltaire et l'éloge du luxe
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À gauche comme à droite, certains candidats à la présidentielle nous
ressortent une vieille recette fiscale: le relèvement de la TVA au taux
majoré (33,3%) des biens ou produits de luxe: caviar, parfumerie, perles
fines et pierres précieuses, fourrures etc. Passons sur l’aberration
fiscale d’une telle mesure, aux effets pervers bien connus. La querelle
du luxe est bien plus qu’un débat sur le commerce et la richesse. C’est
une querelle philosophique à propos des sciences, des arts et du progrès
en général.
La question philosophique sous-jacente est de savoir si les progrès de
la technique et de l’industrie contribuent au bonheur et au bien-être de
l’homme ou au contraire à sa perte. La frugalité est-elle une vertu et
le luxe un vice? Le luxe dispose-t-il à la corruption des moeurs ou bien
au contraire adoucit-il les moeurs? Au XVIIIe siècle, Voltaire et
Rousseau se sont vigoureusement opposés sur cette question.
Voltaire a écrit les
Lettres Philosophiques (1734) pour critiquer
les mentalités françaises sur les plans religieux, politique, économique
ou encore scientifique. Il s’agit de la première critique radicale de
l’Ancien Régime. Voltaire propose un nouveau partage des pouvoirs
politiques calqué sur le modèle britannique, il défend les classes
moyennes face aux privilégiés et aux aristocrates.
Ce qui constitue le bonheur d’un individu ou d’une nation pour Voltaire,
c’est un régime dans lequel les hommes vivent en paix les uns avec les
autres, dans un certain confort matériel. C’est pourquoi, une société
est d’autant plus libre et heureuse qu’elle est
fondée sur le commerce au sens de l’échange économique.
Trois points sont à considérer selon Voltaire:
1° le bonheur d’une
nation nécessite une vie matérielle aisée qui favorise les arts; 2° le luxe et le commerce
qui l’engendre sont garants des libertés; 3° enfin le commerce est
bon parce qu’il promeut des rapports civilisés et donc pacifiques entre
les hommes.
Le luxe engendre le confort et les arts |
Voltaire consacre une partie de ses Lettres philosophiques
aux arts. Les arts rendent la vie plus belle et plus agréable. Ils
doivent donc être cultivés. Selon lui, la grandeur et le bonheur d’une
société se juge par l’état de ses arts. Quatre âges se sont distingués
par le perfectionnement de leurs arts, écrit-il: les siècles
d’Alexandre, d’Auguste, des Médicis et de Louis XIV.
Or, le développement intellectuel et artistique n’existe que dans une
nation prospère. L’abondance est la mère des arts selon Voltaire. C’est
pourquoi le commerce est un moteur du progrès historique. De plus, le
confort qu’il procure est en lui-même une source de bonheur.
Dans sa Dixième Lettre (Sur le commerce), Voltaire associe
commerce, prospérité et liberté dans un cercle vertueux: le commerce
enrichit les citoyens; la richesse les rend libres; la liberté étend le
commerce et ainsi la nation s’enrichit encore davantage. Mais il y a
plusieurs types de libertés selon Voltaire.
Le commerce est la source d’une première liberté, la liberté
individuelle, que Voltaire appelle la liberté de propriété. Par exemple,
les paysans anglais possèdent des vêtements, des bestiaux, une maison
confortable et personne ne peut leur enlever arbitrairement la
possession de ces biens. En s’enrichissant par le commerce, les citoyens
augmentent leur niveau de vie et, de cette façon, deviennent moins
dépendants de la nature: ils ne luttent plus pour le nécessaire et
vivent plutôt dans le superflu.
Mais la liberté désigne aussi l’équilibre des pouvoirs, c’est la liberté
politique. Pour Voltaire, la reconnaissance sociale des commerçants
pourrait avoir pour effet d’apporter un partage plus équitable du
pouvoir. Il donne l’exemple de l’Angleterre où la monarchie est
désormais tempérée dans ses prérogatives par le Parlement, depuis
l’action des révolutionnaires constitués surtout de commerçants. Là
encore il y a une sorte de cercle vertueux: la liberté de propriété
permet de s’enrichir et le luxe permet aux classes moyennes de
participer au pouvoir. La liberté politique renforce à son tour la
liberté individuelle, car sans la liberté politique, les commerçants
comme les paysans ne seraient pas libres de jouir des biens qu’ils ont
gagnés à la sueur de leur front.
Le commerce engendre la paix civile |
Le commerce favorise la tolérance religieuse qui est une composante
essentielle de la paix civile et donc du bonheur selon Voltaire. Malgré
leurs différences confessionnelles, les hommes qui commercent ont tous
un même objet au centre de leurs préoccupations: le profit. Or la
recherche commune du profit entraîne la coopération et le respect des
opinions d’autrui, en particulier de ses croyances religieuses.
Dans la
Sixième lettre, Voltaire donne l’exemple de la Bourse de
Londres. En ce haut lieu du commerce international, « le juif, le
mahométan et le chrétien » font des affaires ensemble, « comme s’ils
étaient de la même Religion ». Ils ne donnent « le nom d’infidèles qu’à
ceux qui font banqueroute ». Le passage vaut la peine d’être cité tout
entier tellement il est fameux:
« Entrez dans la Bourse de Londres,
cette place plus respectable que bien des cours; vous y voyez rassemblés
les députés de toutes les nations pour l'utilité des hommes. Là, le
juif, le mahométan et le chrétien traitent l'un avec l'autre comme s'ils
étaient de la même religion, et ne donnent le nom d’infidèles qu'à ceux
qui font banqueroute; là, le presbytérien se fie à l'anabaptiste, et
l'anglican reçoit la promesse du quaker. Au sortir de ces pacifiques et
libres assemblées, les uns vont à la synagogue, les autres vont boire;
celui-ci va se faire baptiser dans une grande cuve au nom du Père par le
Fils au Saint-Esprit; celui-là fait couper le prépuce de son fils et
fait marmotter sur l'enfant des paroles hébraïques qu'il n'entend point;
ces autres vont dans leur église attendre l'inspiration de Dieu, leur
chapeau sur la tête, et tous sont contents ».
Le commerce réunit donc les hommes autour d’une « même religion », le
profit, une religion pacifique.
Concluons par ce jugement de Voltaire sur Rousseau: « Si l'on entend par
luxe tout ce qui est au-delà du nécessaire, le luxe est une suite
naturelle des progrès de l'espèce humaine; et, pour raisonner
conséquemment, tout ennemi du luxe doit croire avec Rousseau que l'état
de bonheur et de vertu pour l'homme est celui, non de sauvage, mais
d'orang-outang. » (Dictionnaire de philosophie)
À lire pour approfondir:
Encyclopédie thématique Jean-Jacques Rousseau | Mémoire de maîtrise | La
Querelle du luxe au XVIIIe
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