C'est
dans cet ouvrage qu'il établit les bases de sa théorie
monétariste. Celle-ci remplacera le keynésianisme en tant
qu'orthodoxie monétaire à partir de la fin des années 1970,
quand Paul Volker sera nommé président de la Réserve
fédérale. Volker freinera la création monétaire et
augmentera de façon draconienne les taux d'intérêt pour
mettre un terme à l'inflation galopante des années
précédentes, au prix de la récession de 1980-1982.
On a surtout retenu des
théories monétaires de Friedman son opposition à une hausse
trop rapide des prix. À l'encontre des keynésiens qui
l'expliquaient de manière très différente, et en accord avec
les économistes classiques, Friedman soutenait qu'elle était
inévitablement provoquée par une politique monétaire trop
expansionniste.
Selon sa célèbre phrase:
« L'inflation est toujours et partout un phénomène monétaire
en ce sens qu'elle est et qu'elle ne peut être générée que
par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide
que celle de la production. »
Le monétarisme offre
également une explication des causes de la Grande
Dépression. Selon Friedman et Schwartz, si la crise a duré
si longtemps, ce n'est pas à cause de l'instabilité
inhérente à l'économie de marché, mais plutôt de l'ineptie
de la Fed.
Selon eux, durant les
années 1930, la Fed n'a rien fait pour empêcher ‒ et a même
parfois délibérément provoqué ‒ une réduction importante de
la masse monétaire.
Cette politique a
entraîné la faillite de milliers de banques et une chute du
revenu national et a tué dans l'oeuf tout mouvement de
reprise économique.
À première vue, le
monétarisme se présente donc comme une théorie qui critique
l'action étatique ‒ les banques centrales étant des
monopoles sur la création et la gestion de la monnaie
établis par les gouvernements ‒ et qui défend le libre
marché.
Paradoxalement, cette
explication fait toutefois de Friedman un allié de Keynes
sur le plan de la politique monétaire, le deuxième volet des
plans de relance. Quoique leurs évaluations des dangers de
l'inflation divergent considérablement, keynésiens et
monétaristes s'entendent en effet sur un point crucial: la
banque centrale doit, selon le jargon financier, « injecter
des liquidités » dans l'économie en période de crise.
C'est-à-dire qu'elle doit créer artificiellement de la
monnaie de façon à soutenir l'activité économique, à
protéger les banques de la faillite et à éviter qu'un
réajustement temporaire se transforme en récession ou en
dépression prolongée.
C'est cette politique que
le successeur de Volker, Alan Greenspan, mettra en oeuvre
pendant les 19 années qu'il passera à la tête de la Fed.
Chaque fois que l'économie américaine montrait des signes de
ralentissement ou que survenait une crise quelconque (krach
boursier de 1987, faillite des Savings and Loans, crise
mexicaine, crise asiatique, bogue de l'an 2000, attaques du
11 septembre 2001, effondrement de la bulle technologique,
etc.), Greenspan appuyait sur l'accélérateur monétaire.
Partisan déclaré du libre marché, il s'inspirait non pas de
Keynes, mais de Friedman.
Lors d'une conférence à
l'occasion du 90e anniversaire de naissance de Friedman en
2002, l'actuel président de la Fed, Ben Bernanke, endossait
lui aussi l'analyse de Friedman et Schwartz: « Je voudrais
dire à Milton et à Anna: à propos de la Grande Dépression,
vous aviez raison, c'était nous les responsables. Nous
sommes vraiment désolés. Mais grâce à vous, nous ne
recommencerons pas. »
Depuis 2007, Bernanke a
mis en oeuvre, sans surprise, une série de programmes
d'« assouplissement monétaire », autre euphémisme pour
désigner la création d'argent à partir de rien.
Selon le journaliste américain Penn Bullock, tout laisse
croire que Friedman aurait approuvé ces mesures: « Bien
qu'il soit vrai que le gouvernement Obama mène une politique
de relance fiscale de type keynésien, la Réserve fédérale
sous Bernanke a consciemment mis en pratique la leçon de
Friedman et Schwartz » sur la nécessité d'accroître la masse
monétaire.
C'est d'ailleurs la même
politique d'assouplissement quantitatif que Friedman avait
suggérée de son vivant au gouvernement japonais, lui-même
confronté à une crise économique à la suite de l'éclatement
d'une bulle immobilière à partir de 1990: « La voie la plus
sûre vers une saine reprise économique est d'augmenter le
taux de croissance monétaire », écrivait-il en 1997.
Plus de trois ans après le début de la crise, rien ne semble
indiquer que les plans de relance, budgétaire ou monétaire,
aient réussi à remettre l'économie sur la voie d'une reprise
durable.
Pour des keynésiens comme
Paul Krugman, c'est une preuve qu'ils n'ont pas été assez
ambitieux. Les monétaristes inspirés de Friedman sont, quant
à eux, sur la défensive. C'est une autre théorie beaucoup
plus intransigeante envers l'interventionnisme étatique qui
gagne en influence, celle de l'École autrichienne
d'économie, représentée notamment par les économistes
Friedrich A. Hayek et Ludwig von Mises.
Pour les tenants de
l'École autrichienne (qui, malgré leur nom, se retrouvent
aujourd'hui un peu partout dans le monde), partisans du
retour à l'étalon-or et d'une dénationalisation de la
monnaie, c'est l'existence même de la monnaie fiduciaire qui
est la source du problème. La création monétaire à partir de
rien est une fraude perpétrée par l'État envers les
détenteurs de monnaie, qui entraîne de surcroît une mauvaise
affectation des ressources et mène nécessairement à des
récessions.
On ne peut pas, comme le
préconise Friedman, régler le problème en ayant recours à ce
qui l'a causé en premier lieu. En venant à la rescousse des
marchés chaque fois qu'un ralentissement pointait, Greenspan
n'a fait que reporter la crise à plus tard et l'aggraver.
Ainsi, du point de vue autrichien, les monétaristes sont en
fin de compte tout autant responsables de la crise, et de
son prolongement, que le sont les keynésiens.
La figure la plus connue
du courant de pensée autrichien est sans aucun doute Ron
Paul, représentant au Congrès et actuel candidat à
l'investiture du Parti républicain pour l'élection
présidentielle. Auteur d'un essai intitulé End the Fed
(« Abolissons la Fed »), il avait mis les Américains en
garde contre la politique monétaire trop expansionniste et
contre un krach éventuel des années avant que celui-ci ne
survienne, comme d'autres commentateurs inspirés par l'École
autrichienne.
Selon Ron Paul,
« Friedman est très, très libertarien ‒ sauf sur les
questions monétaires ». Presque toute l'oeuvre de Friedman
visait en effet à défendre la liberté individuelle et le
libre marché. Il aurait sans aucun doute dénoncé les plans
de relance budgétaire d'inspiration keynésienne mis en
oeuvre depuis trois ans.
Toutefois, si l'on se fie
à son enseignement, il se serait rangé du côté des
keynésiens en faveur des plans de relance monétaire.
Peut-être la présente crise provoquera-t-elle, sur ce sujet,
un changement de paradigme en faveur d'une autre école de
pensée...
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