Le peuple, comme toujours, n’aurait été qu’un instrument de prise du
pouvoir et, en définitive, le dindon de la farce. La révolution
industrielle des deux siècles suivants aurait créé une forme moderne
d’esclavage par l’exploitation éhontée des pauvres et provoqué de
nouvelles révolutions dont le slogan le plus célèbre était:
« prolétaires de tous pays unissez-vous! »
Un cri de haine (« je n’aime pas les riches ») et l’annonce de la
spoliation des nantis servent aujourd’hui de programme à une candidature
présidentielle et de bannière de ralliement à une majorité d’électeurs
en France. Bien que la majorité des citoyens conviennent que la
spoliation envisagée ne règlera aucun problème économique, ni ne sera
garante de la justice sociale, le désir de punir les riches l’emporte
comme remède à la frustration, au mépris de l’intelligence, de la
justice et de la démocratie. La raison a déserté le débat.
Les indignés, les syndicats, les
fonctionnaires, les exclus (immigrés, chômeurs, etc.) ne sont plus des
démocrates. Il s’agit pour eux d’achever ce qui a commencé en 1789 et de
détruire non plus l’aristocratie, désormais inexistante, mais les
« profiteurs » qui auraient capté à leur seul profit le bien légitime du
peuple. Rappelons combien fréquentes ont été dans l’histoire les
situations où le peuple a lui-même choisi la tyrannie comme le régime le
plus apte à garantir ses intérêts et à renverser les « puissants ».
Mais qui sont les vrais profiteurs, qui refusent de renoncer à leurs
privilèges? Les riches? Le seuil de la richesse se situe, selon François
Hollande, à 4 000€/mois pour un couple avec deux enfants – lui-même
percevant des revenus de 36 000 €/mois. Ce seuil rend floues les
frontières de la richesse (ce qui permettra à l’avenir d’élargir
considérablement la cible) et accroît considérablement le nombre de
« profiteurs » potentiels… dont beaucoup soutiennent cependant le
candidat du Parti socialiste. Car le discours socialiste sur l’argent
soi-disant détourné n’est en rien une tentative pour résoudre le
problème de la dette française en appelant chacun à se serrer la
ceinture, mais apparaît plutôt comme une tentative de refonder la nation
sur un mode patriotique. Il s’agit d’un combat avant tout moral.
Hollande lui-même avoue crûment que sa proposition de taxer à 75% les
revenus dépassant 1 million €/an (à quoi s’ajoutent la CSG –
contribution sociale généralisée – et l’ISF – impôt sur la fortune –,
faisant passer la taxation au-dessus des 100%, c'est-à-dire un montant
confiscatoire) n’a pas pour but de rapporter de l’argent (tout au plus
200 millions d’euros d’après les services fiscaux) mais d’obliger les
nantis à afficher leur patriotisme car, selon une logique marxiste bien
connue: « l’argent n’a pas de patrie ».
Les riches, ayant remplacé les aristocrates dans l’imaginaire populaire,
sont de mauvais Français car ils défendent leurs privilèges, pérennisant
ainsi l’injustice de la fortune. Ils tentent de se dérober à leurs
devoirs, ces derniers consistant essentiellement à contribuer aux droits
acquis des pauvres, et sont toujours prêts à trahir la patrie en
devenant des apatrides. Les moins riches… n’ont tout simplement pas les
moyens de s’exiler.
La réalité est plus complexe. Les pauvres (et moins encore les immigrés
qui affluent sans cesse de régions lointaines ) n’ont pas le monopole du
patriotisme, à moins qu’il ne s’agisse de témoigner de leur désir de
profiter des avantages de la protection sociale en France. Les riches,
eux, sont, hors la fonction publique, de grands pourvoyeurs d’emploi et
contribuent par leurs activités et leurs impôts à la prospérité de la
nation. Ils sont tout autant que les autres attachés à leur pays et
c’est leur faire un ridicule procès que de les dépeindre comme des
« rois fainéants » en vacances perpétuelles aux frais du peuple. Loin
d’être de simples profiteurs, même les riches travaillent aujourd’hui,
ce qui ne leur laisse pas davantage de loisir qu’aux autres pour se
cultiver. (Cela explique sans doute pourquoi le mécénat artistique tant
prisé des riches est aussi médiocre dans ses choix.)
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