Le Québécois Libre, 15 mars 2012, No 298. Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/12/120315-3.html Les étudiants des universités québécoises ont devancé la marmotte cette année afin de manifester contre la hausse des droits de scolarité. Un point de vue extérieur donne l'impression d'observer un micro-Québec: les premiers départements à entrer en grève sont ceux de sociologie et d'anthropologie, tandis que certains départements de science et génie ont voté contre jusqu'à 98%. Est-ce que les sciences humaines sont plus « conscientisées » sur les enjeux sociaux? Ou est-ce que les autres étudiants, qui ne sont pas en « sciences vacances », ont simplement l'impression que ce sera leurs impôts (et non pas ceux des sociologues) qui financeront le système de demain? La théorie du capital humain L'objectif de ce système, c'est de faciliter l’accès aux études supérieures en finançant les universités afin d'augmenter le nombre de travailleurs qualifiés. On pourrait synthétiser cette position par ce qu'on appelle la « théorie du capital humain »: puisque les diplômés ont généralement de meilleurs salaires, on peut croire que les connaissances acquises leur permettent de créer plus de richesse, ce qui bénéficie évidement à l'ensemble de la population. Qui plus est, de faibles droits de scolarité permettent aussi aux plus pauvres de se sortir de leur condition, ce qui est évidement souhaitable. Quand on décortique un peu plus cette théorie, on s’aperçoit que son application n'est que partielle. En effet, si l'éducation est un actif, il existe une quantité optimale de travailleurs pour un domaine donné. Par exemple, si la quantité d'ingénieurs est trop grande par rapport à la demande, leurs salaires devraient baisser. Le système repose donc sur l’idée que les différents départements universitaires vont accepter un nombre d’étudiants optimal, ce qui est complètement farfelu. En effet, l’université n’est pas une machine parfaite, c’est une organisation composée d’humains qui ont leurs objectifs propres. Par exemple, on peut supposer que la carrière d’un philosophe se déroule majoritairement à l’intérieur d’une institution d’enseignement et que plus le nombre d’étudiants croît, plus le département aura de fonds. Accepter un grand nombre de nouveaux élèves est donc avantageux pour cette faculté, mais est-ce le cas pour le reste de la société? Une faculté comme celle de la médecine offre un exemple inverse: le nombre d'étudiants admis est fortement limité en fonction des standards de l'ordre professionnel concerné. Un moins grand nombre de nouveaux élèves conserve la rareté de la profession, ce qui permet de hauts salaires sur le marché du travail. Mais encore une fois, est-ce à l’avantage de la société? Il ne faut pas présumer qu'un organisme à vocation sociale soit exempt de coûts d'agence. Une université, c'est avant tout un regroupement de disciplines qui ont des objectifs propres. Puisque ces derniers ne sont pas nécessairement alignés avec les besoins de la société, en quoi son efficience est-elle reliée au type de financement? La théorie des signaux Un aspect intéressant qui est complètement oublié du débat est la « théorie des signaux ». Considérons l’exemple suivant: Paul possède un bac, ce qui lui permet de gagner 10 000$ de plus par année que Pierre, qui, lui, n’en possède pas. Intervient Julie, qui a seulement complété la moitié d’un bac; combien gagnera-t-elle? Si la théorie du capital humain est vraie, Julie devrait gagner une prime de 5000$, puisque qu’elle possède la moitié des actifs de Paul... Mais ce n’est évidemment pas ce qui arrive dans la réalité, puisque les employeurs attribuent une valeur à l’obtention du diplôme. Considérons un autre exemple: Anne et Camille passent des entrevues pour être embauchées comme actuaires. En discutant, Anne admet avoir complètement oublié le contenu de son cours optionnel d'espagnol, tandis que Camille avoue l'avoir échoué puisque qu'elle n'avait pas étudié. Selon la théorie du capital humain, Anne et Camille ont des compétences égales: oublier est la même chose que ne jamais apprendre. Pourtant, l'employeur risque fortement d'engager Anne, puisqu'il sait qu'elle est plus disciplinée dans son travail, ce qui l'avantage par rapport à Camille. Or, cet atout n'est strictement pas relié aux études effectuées! Est-ce un investissement social judicieux? La réalité est que la valeur d'un diplôme n'est pas seulement qu'une question de capital, c'est aussi une question d'information. En effet, la réussite d'études suscitent la création de signaux qui permettent aux employeurs d'embaucher les meilleurs talents en fonction des réussites passés. Or, on peut se demander si une formation universitaire coûteuse est un moyen approprié de qualifier des travailleurs… Ironiquement, la dette d'étude elle-même peut servir de signal. Reprenons Anne et Camille, nos deux actuaires, mais en variant l'histoire: Anne à étudié gratuitement dans une grande école européenne, tandis que Camille a décidé d'accumuler une dette de 200 000$ pour aller à Harvard. La théorie du capital humain indique que ces deux formations de valeur équivalente devraient laisser un employeur indifférent. En réalité, il sait que Camille à un couteau sur la gorge et qu'elle n'a pas le choix de travailler très dur pour rembourser son prêt. De plus, si elle a fait ce choix, c'est qu'elle est confiante dans sa capacité de gagner cet argent, ce qui n'est pas nécessairement le cas d'Anne. Camille risque donc d'obtenir un meilleur rendement sur son « investissement », même si ce dernier a la même valeur que celui de sa concurrente! La guerre des tuques La majorité des études empiriques cités dans le débat ne font aucune distinction entre le capital humain et le phénomène de signalement. Généralement, les lologues vont s’exciter devant leur capacité à faire des régressions pour « démontrer » que l'université est le Graal du développement. Et puisque les deux théories ont des impacts corrélés, il est très facile de méprendre l'une pour l'autre. Comme plusieurs autres secteurs, l’éducation est un domaine bureaucratisé, contrôlé et centralisé. Via l’État, plusieurs groupes d’intérêt y interviennent afin de se procurer des avantages au détriment de la société. Qui plus est, l’université est maintenant un « levier social » dont chaque changement implique de nouvelles manifestations des différents groupes concernés. La question du « juste prix » des études est nécessairement caduque; la connaissance est un bien fondamentalement gratuit, mais le maintien d'infrastructures visant à sa diffusion dépend des préférences de chacun. Certains ont besoin d'entendre la voix d'un professeur, tandis que d'autres préfèrent rester chez eux et lire le manuel. Imposer la même solution à tous n'est certainement pas la meilleure manière de procéder, surtout quand cette dernière est faite sur des bases économiques désuètes avec l'aide d'une institution inefficiente. Contre la hausse? Bof... surtout contre l'université. ---------------------------------------------------------------------------------------------------- * Jean-Philippe L. Risi habite Québec où il est étudiant à l'Université Laval. |