Suarez (1548-1617) est un Jésuite né à
Grenade et mort à Lisbonne. Théologien, disciple de Saint Thomas, il a
enseigné dans de nombreuses universités: Paris, Ségovie, Salamanque,
Valladolid et Rome.
Son Tractatus
de legibus et deo
legislatore est paru en 1612. Dans celui-ci, Suarez explique
que le « vrai sens strict et correct du droit, c'est une sorte de
force morale que tout homme a sur ses biens personnels et à l'égard
de ce qui lui est dû ». Le droit est donc quelque chose que l'homme peut
exercer en son nom propre et qui ne peut lui être enlevé sans injustice.
Cela signifie qu’un État ou une administration n’a
pas le pouvoir de conférer des droits naturels aux individus, ce qui lui
permettrait de reprendre éventuellement ces droits par la suite. Suarez
insiste sur le fait que les droits naturels appartiennent aux êtres
humains par leur existence même et non en vertu d’une reconnaissance
sociale ou d’une concession politique.
Selon Suarez, le droit à la vie, le droit à la
liberté et le droit de poursuivre le bonheur, sont trois droits qui non
seulement appartiennent à l’être humain par son existence même, mais
sont aussi les motifs de toutes les autres lois. Si un État (les
autorités exécutives, législatives ou judiciaires) échoue à protéger ces
droits naturels, les lois de cet État perdraient leur raison d’être.
Elles deviendraient alors de simples affirmations arbitraires des
autorités politiques.
Suarez a sans doute été le plus lu des philosophes scolastiques de son
époque et il est raisonnable de supposer que John Locke était familier
de son oeuvre, ce qui lui a probablement permis de formuler sa célèbre
théorie des droits naturels dans le Second Traité sur le gouvernement
civil.
Locke reprend à Hobbes sa théorie
de l’état de nature, mais comme pour Suarez, son point de départ est
théologique. Pour Locke, Dieu a appelé l’homme à une vocation dans le
monde et le pouvoir civil n’est là que pour assurer les conditions les
plus favorables à l’accomplissement de cette vocation (le travail, la
production). Dieu nous donne l’être. Nous avons donc le devoir de
conserver notre vie comme un dépôt que Dieu nous a confié. De là
découlent le droit naturel de propriété (qui comprend la vie, la liberté
et les biens) et le droit de le défendre c’est-à-dire le pouvoir de
faire ce qui est nécessaire pour se protéger contre les menaces et punir
ceux qui commettent des crimes. « La plus grande et la principale fin
que se proposent les hommes lorsqu’ils s’unissent en communauté et se
soumettent à un gouvernement, c’est de conserver leurs propriétés ».
Mais alors que Hobbes plaidait
pour un pouvoir absolu, conséquence logique de son pessimisme absolu, Locke a développé une théorie du pouvoir limité de façon à combattre
l’arbitraire du pouvoir qu’il considère comme le plus grand mal. Le
principe général est que chaque fois qu’il existe un pouvoir parmi les
hommes, celui-ci ne dispose légitimement que des droits qui lui sont
nécessaires à atteindre sa fin propre. En vertu du statut de créature,
le pouvoir que l’homme possède sur lui-même et sur les autres est limité
par la loi naturelle qui nous commande seulement de conserver notre vie,
ce n’est pas un pouvoir arbitraire. Ce principe s’applique aussi au
pouvoir souverain et il est au fondement de la critique lockéenne de
l’absolutisme.
Enfin, contrairement à Hobbes,
l’état de nature selon Locke n’est pas un état
de guerre, c’est un état de liberté et d’égalité, régi par la loi
naturelle. En principe, c’est un état de paix car la loi naturelle nous
interdit de nuire à autrui, mais en fait il menace toujours de dégénérer
car chacun est juge de sa propre cause. Il manque donc un arbitre
impartial pour régler les conflits, des juges indépendant et des lois
écrites.
La véritable raison d’être de
l’État |
Ainsi l’unique raison d’être de
l’État, selon Locke, est de remédier aux défauts de l’état de nature en
établissant une autorité publique capable de faire appliquer les lois et
les sentences des juges. Mais si l’État ne nous protège pas,
conformément à sa mission, ajoute Locke, il devient alors un tyran et on
a le droit de lui résister, y compris par la force.
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