Dans ce film, sur le thème de la lutte des classes, les sympathiques
prolétaires adhèrent à une théorie économique un peu farfelue selon
laquelle ils pourraient tous vivre vieux si seulement il y avait une
meilleure répartition de leur « temps ». Les antipathiques banquiers
adhèrent plutôt à une théorie économique tout aussi farfelue selon
laquelle une telle répartition déstabiliserait leurs marchés chéris
‒ comme si là était le principal problème. Tout au long du film, le
coût de la vie augmente, problème qui semble s’exacerber lorsque le
personnage principal commence à jouer les Robins des bois, mais les
prolétaires n’établissent aucun lien avec la quantité et la vélocité du
« temps » en circulation, ou quoi que ce soit en lien avec leurs propres
choix, préférant bien entendu blâmer les riches et leur « système »
abstrait. Tiens, tiens!
D’un point de vue économique, le film ne contient aucune incohérence
majeure. Certes, à un certain point, le prix d’un déplacement en autobus
semble disproportionné par rapport au coût de la vie, mais bon, les
tarifs de nos services publics ne sont peut-être pas toujours cohérents
non plus!
Il faut dire que In Time se termine sur une ambigüité: les
prolétaires se croyant nouveaux riches sont momentanément heureux de
pouvoir arrêter de travailler, mais on ne voit pas ce qui les attend.
Donc, difficile de conclure si le réalisateur (Andrew Niccol) est un
brillant économiste qui s’ignore, ou un autre marxiste confus qui a
réussi à pondre quelque chose de cohérent par hasard. En tout cas,
l’écoulement du temps sur le compteur de chacun n’est logiquement rien
d’autre qu’un loyer ou une taxe à payer sur son propre corps, dont la
fonction économique ne diffère pas fondamentalement des autres
biens de première nécessité (loyer, épicerie), ce que le film montre généralement bien.
D’ailleurs, une taxe sur le CO2 qu’on respire aurait à peu
près le même effet de rareté artificielle, ce qui fait réfléchir.
Dans le film, comme dans la vraie vie, la réalité économique
fondamentale est qu’il faut produire avant de consommer. Si vous êtes
seul sur une île déserte et que vous réussissez à attraper trois
poissons, vous en mangerez trois; si vous voulez en manger cinq, eh bien
vous devrez en attraper cinq. Ce n’est pas la faute du capitalisme. Si
vous vivez en société, la même réalité s’applique. Vous pouvez peut-être
espérer vivre aux crochets de vos parents (ou de la société!) jusqu’à
environ l’âge de 25 ans, mais après cela vous avez l’obligation d’être
productifs pour gagner au minimum les biens essentiels de la vie, épargner un
peu pour la retraite, etc. Et pour ceux qui n’y ont pas encore pensé: si
nous arrêtons tous de travailler, eh bien nous devrons tous aussi
arrêter de manger. Ce n’est pas la faute du capitalisme non plus si la
production de lait implique de se lever pour traire les vaches.
Dans In Time comme dans la vraie vie, ceux qui possèdent de
l’épargne (méritée ou non) n’ont pas à se soucier des nécessités de la
vie et peuvent se permettre de planifier à long terme ‒ attitude qui,
bien entendu, facilite l’accumulation d’épargne supplémentaire sans rien
enlever aux autres. Pour ceux qui vivent au jour le jour et qui veulent
changer leur condition, la première étape sera toujours d’adopter une
discipline d’épargne individuelle. Aucune quantité de redistribution
ne peut se substituer à cette première étape. Ce que la redistribution
accomplit en elle-même, c’est de faire augmenter le coût des biens
essentiels,
comme on voit dans le film ‒ même si aucun personnage ne l’a
compris (pas plus que la majorité des spectateurs, sans doute).
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