Le Québécois Libre, 15 avril 2012, No 299. Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/12/120415-11.html Le film In Time, mettant en vedette Justin Timberlake, offre une petite leçon d’économie. Dans cet univers dystopique, les humains modifiés génétiquement cessent de vieillir physiquement à l’âge de 25 ans. La monnaie est remplacée par une sorte de compteur fluorescent implanté dans le bras indiquant combien de temps (échangeable) il reste à vivre à chacun avant l’arrêt cardiaque automatique. Pour éviter de se faire voler son temps, on peut en laisser une partie à la banque contre intérêt. L'histoire commence lorsqu’un vieillard (paraissant 25 ans), las de vivre, laisse sa fortune (plus d’un siècle au compteur) à un jeune prolétaire fauché (Timberlake) qui vit au jour le jour. Le jeune en profite alors pour se payer une visite (et quelques méfaits) dans le quartier des riches et se taper la fille d’un banquier. Dans ce film, sur le thème de la lutte des classes, les sympathiques prolétaires adhèrent à une théorie économique un peu farfelue selon laquelle ils pourraient tous vivre vieux si seulement il y avait une meilleure répartition de leur « temps ». Les antipathiques banquiers adhèrent plutôt à une théorie économique tout aussi farfelue selon laquelle une telle répartition déstabiliserait leurs marchés chéris ‒ comme si là était le principal problème. Tout au long du film, le coût de la vie augmente, problème qui semble s’exacerber lorsque le personnage principal commence à jouer les Robins des bois, mais les prolétaires n’établissent aucun lien avec la quantité et la vélocité du « temps » en circulation, ou quoi que ce soit en lien avec leurs propres choix, préférant bien entendu blâmer les riches et leur « système » abstrait. Tiens, tiens! Analyse économique D’un point de vue économique, le film ne contient aucune incohérence majeure. Certes, à un certain point, le prix d’un déplacement en autobus semble disproportionné par rapport au coût de la vie, mais bon, les tarifs de nos services publics ne sont peut-être pas toujours cohérents non plus! Il faut dire que In Time se termine sur une ambigüité: les prolétaires se croyant nouveaux riches sont momentanément heureux de pouvoir arrêter de travailler, mais on ne voit pas ce qui les attend. Donc, difficile de conclure si le réalisateur (Andrew Niccol) est un brillant économiste qui s’ignore, ou un autre marxiste confus qui a réussi à pondre quelque chose de cohérent par hasard. En tout cas, l’écoulement du temps sur le compteur de chacun n’est logiquement rien d’autre qu’un loyer ou une taxe à payer sur son propre corps, dont la fonction économique ne diffère pas fondamentalement des autres biens de première nécessité (loyer, épicerie), ce que le film montre généralement bien. D’ailleurs, une taxe sur le CO2 qu’on respire aurait à peu près le même effet de rareté artificielle, ce qui fait réfléchir. Dans le film, comme dans la vraie vie, la réalité économique fondamentale est qu’il faut produire avant de consommer. Si vous êtes seul sur une île déserte et que vous réussissez à attraper trois poissons, vous en mangerez trois; si vous voulez en manger cinq, eh bien vous devrez en attraper cinq. Ce n’est pas la faute du capitalisme. Si vous vivez en société, la même réalité s’applique. Vous pouvez peut-être espérer vivre aux crochets de vos parents (ou de la société!) jusqu’à environ l’âge de 25 ans, mais après cela vous avez l’obligation d’être productifs pour gagner au minimum les biens essentiels de la vie, épargner un peu pour la retraite, etc. Et pour ceux qui n’y ont pas encore pensé: si nous arrêtons tous de travailler, eh bien nous devrons tous aussi arrêter de manger. Ce n’est pas la faute du capitalisme non plus si la production de lait implique de se lever pour traire les vaches. Dans In Time comme dans la vraie vie, ceux qui possèdent de l’épargne (méritée ou non) n’ont pas à se soucier des nécessités de la vie et peuvent se permettre de planifier à long terme ‒ attitude qui, bien entendu, facilite l’accumulation d’épargne supplémentaire sans rien enlever aux autres. Pour ceux qui vivent au jour le jour et qui veulent changer leur condition, la première étape sera toujours d’adopter une discipline d’épargne individuelle. Aucune quantité de redistribution ne peut se substituer à cette première étape. Ce que la redistribution accomplit en elle-même, c’est de faire augmenter le coût des biens essentiels, comme on voit dans le film ‒ même si aucun personnage ne l’a compris (pas plus que la majorité des spectateurs, sans doute). L’étatisme et ses conséquences Dans In Time, le rôle de l’État est joué par un groupe de policiers nommés « gardiens du temps ». Leur unique préoccupation semble être de protéger le temps des riches. Il est assez clair que les banquiers profitent immensément du système des compteurs de temps, même s’ils ne semblent pas le contrôler directement. Par contre, il est difficile de déterminer pourquoi les prolétaires sont confinés à leur sort: est-ce leur propre incapacité à s’organiser (petite entreprise, caisses populaires, auto-défense) et leur propres choix de procréation (faire des enfants sans avoir une longue vie à leur « transférer » d’avance au compteur), ou y a-t-il véritable oppression de la part d’un régime injuste (manque de libertés civiles et économiques)? Y a-t-il une rareté réelle inhérente au fonctionnement de la fontaine de jouvence virtuelle qui alimente le rajeunissement de tous ces corps, ou est-ce que le temps disponible est contrôlé par quelques fous technocrates eugénistes? On ne le sait pas vraiment. Le manque d’espace est invoqué, mais cet argument ne tient pas la route car le prix des terrains peut très bien accomplir à lui seul la fonction de refléter la rareté de l’espace, incluant sur nos choix de procréation, peu importe que nous soyons mortels ou immortels. D’une certaine façon, le film présente une belle analogie avec des problèmes réels de notre système financier actuel, qui subit constamment une intervention étatique majeure: la politique monétaire. Même si elle est pratiquée avec la meilleure des intentions, celle-ci transfère subtilement la richesse de chacun vers ceux qui ont les moyens de l’analyser, l’anticiper, voire l’influencer, notamment les banquiers. On le voit bien dans le film: même si en première approximation l’inflation devrait soulager tout le monde en permettant à chacun de recharger son compteur plus rapidement, dans les faits le coût de la vie augmente plus vite que les salaires et ce sont les travailleurs salariés qui en arrachent. En ce sens, le personnage principal n’a pas complètement tort en affirmant que la monnaie se trouvant dans une banque est déjà volée. Mais de là à s’imaginer que la rareté des nécessités et de leurs moyens de production est elle-même un artifice ‒ discours marxisant qu’on entend dans le film comme ailleurs ‒, il y a un pas à ne pas franchir. Même si notre propre monnaie était un bien essentiel, par exemple le blé (étalon-blé pour le dollar), il ne faudrait pas confondre la rareté du crédit, qui peut être manipulée par les banques et l’État, avec la rareté des moyens de produire le blé, qui ne peut pas être manipulée ainsi. Aucune redistribution de la propriété des champs de blé ne peut magiquement faire apparaître du blé pouvant nourrir des bouches supplémentaires. La meilleure façon de permettre à tout le monde de manger à sa faim sera toujours d'enlever les entraves bureaucratiques aux initiatives de ceux qui veulent améliorer leur sort. Conclusion De plusieurs façons, la réalité économique présentée dans In Time est beaucoup plus près de la nôtre qu’il ne paraît au premier abord et son univers n’est en fin de compte pas si dystopique que ça. Après tout, qui ne voudrait pas être entouré de jeunes corps sexy pour l’éternité, contre un modeste loyer supplémentaire à payer? Lorsqu’une société respecte les libertés civiles et économiques, l’élimination du vieillissement procure une liberté supplémentaire bienvenue! ---------------------------------------------------------------------------------------------------- * Etienne Bernier est diplômé en génie chimique (doctorat) de l'École Polytechnique de Montréal. Il s'intéresse entre autres aux relations entre économie, ressources et environnement. |