Qui plus est, la sélection des
médecins contraste fortement avec les procédures d’embauche dans les
autres secteurs de
l’économie. Les examens sont très intenses lors de l’arrivée à
l’université, mais il semblerait que le tout se relâche après l'entrée
sur le marché du travail, du moins si l'on compare avec les autres
emplois hautement qualifiés. Il y a donc lieu de se demander avec quelle
précision on peut déterminer à l'avance l’aptitude d’un individu à
fournir des soins.
Le cas des Pays-Bas offre un
exemple intéressant. Le nombre de places étant limité par l’État,
l’admission à l’université se faisait par un système de loterie(10)
pondéré par les notes de l’étudiant. Autrement dit, avoir une moyenne
élevée augmentait les chances d’être pigé, mais n’était en rien une
garantie. Suite aux demandes du public, on offrit aux universités la
possibilité de choisir elles-mêmes 50% de leurs étudiants. Arriva un
coûteux système d’évaluations complémentaires et d’interviews, qui fut
aussitôt abandonné lorsque les établissements réalisèrent leurs coûts
élevés et l’absence de différence significative dans les résultats
scolaires. Une histoire similaire arriva en Angleterre pour les écoles
de physiothérapie. On en conclut qu’il est évidemment important de
choisir judicieusement les candidats à ces études difficiles, mais il ne
faut pas croire que cela peut substituer un processus d’évaluation
professionnelle viable à long terme vu son degré d'imprécision.
Il y a également lieu de vérifier
si les Collèges effectuent un contrôle post-études vraiment
supérieur à celui qu’un marché inefficient pourrait faire. Selon une
étude canadienne(11),
il semblerait qu’une qualité de soins insuffisante et des prescriptions
inappropriées ne représentent que 28% des sanctions disciplinaires
envers les médecins. On remarque également que les types d'infractions
les plus courantes sont l'agression sexuelle et une conduite non
professionnelle (36%), ce qui arrive tout le temps dans un marché non
régulé...
Les chercheurs indiquent également
qu'ils n'ont pas trouvé de donnée concernant la proportion de sanctions
disciplinaires dont l'origine est une plainte d'un patient. Or, cette
information devrait être facilement disponible, puisqu’elle permet
d'évaluer dans quelle mesure le Collège est apte à détecter les
médecins-citrons offrant des soins de qualité inférieure.
Le processus de contrôle de la
qualité est donc loin d'être parfait et il faut admettre qu'il n'y a
pas de solutions faciles. Par contre, il n'existe pas de « qualité
optimale » imposable à l'ensemble des actes médicaux, puisque celle-ci
variera en fonction du problème et des ressources utilisables.
Finalement, il faut rappeler que la problématique caractéristique de la
pratique médicale n'est pas le manque de qualité, mais le fait que le
patient peut difficilement la déterminer au préalable. En quoi le
système en place résout-il ce problème?
Un éventail qui ne fait que du
vent |
L’organisation du marché des soins
médicaux est très atypique. Au Québec,
plus de la moitié des ordres
professionnels
ayant des monopoles sur des services appartiennent au secteur de la
santé, ce qui est disproportionné avec leur importance dans l’économie
(10% du PIB). Dans les faits, les tâches et limites de chaque acteur
sont définies par la loi dans ce qu'on appeler un l'éventail de service.
L'offre aura donc les mêmes problèmes qu’occasionne une bureaucratie:
cadre rigide et temporel, accent sur les règles plutôt que sur les
résultats et évolution lente des méthodes de travail.
Au Québec, on peut voir les
diverses associations se livrer des combats de coqs afin de protéger
leur territoire économique. L’année dernière, l’Ordre des pharmaciens du
Québec a demandé à ce que ses membres
puissent fournir
des vaccins à leurs clients, pratique possible dans le reste du Canada
et aux États-Unis.
Un document publié par l’Institut national de santé
publique du Québec
allait dans le même sens. Or, la réaction de l’Ordre des infirmières
a été
pour le moins négative,
et ce pour des raisons de... formation. S’il est impossible pour un
pharmacien d’apprendre à vacciner correctement, on peut se demander
quelle est la capacité d’apprentissage de l’ensemble des acteurs du
système de santé.
L’arrivée tardive et difficile des
infirmières praticiennes est un autre exemple de problèmes causés par un
éventail de soins rigide et inadapté à la réalité. En Grande-Bretagne,
où la division du labeur est faite par les médecins généralistes, la
redéfinition du rôle des infirmières aurait créé du ressentiment et de
mauvaises relations de travail(12).
On a remarqué des problèmes similaires en Ontario lorsque l'introduction
aux nouvelles méthodes de travail était bâclée. De façon générale, il
semblerait que la collaboration (où son absence) entre les différentes
organisations médicales soit l'un des facteurs majeurs de réussite(13)
de cette opération délicate. Au Québec, l’arrivée des
infirmières-praticiennes
tarde pour
un ensemble de raison,
notamment
par manque de budget
et par
résistance du Collège des médecins.
Finalement, un éventail d'actes
prédéfinis a également pour désavantage de ralentir le partage des
expertises entre les différents cercles. Il est pratique courante dans
l’entreprise privée d’engager un gestionnaire venant de l’extérieur afin
d’amener une perspective nouvelle sur l’entreprise ainsi que de
nouvelles idées. Or, ces chocs de culture sont impossibles dans un
secteur hermétique, ce qui ralentit considérablement l’évolution des
mentalités.
Comme bien des domaines, la
gestion de l'offre médicale par l'État est loin d'apporter l'utopie
délivrant la société des contraintes marchandes. Ce mode de
fonctionnement favorise les pénuries, applique un contrôle de qualité
inadapté à la demande, nécessite un niveau irréaliste de collaboration
entre les différents organismes en plus de ralentir l'innovation.
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