Ne reculant devant rien (!), j'ai testé Kickstarter le mois dernier.
Hayward Williams, un chanteur folk américain que j'ai découvert avec
l'excellent Cotton Bell, y a lancé
un projet de financement pour un nouveau disque. En moins de 15
heures, le chanteur avait financé le coût de production de son prochain
album, soit 4000 $, et l'a par la suite dépassé ‒ en date du 6 mai, date
butoir, Williams avait amassé 7315 $ avec l'aide de 132 « backers ». La
moyenne des « dons » reçus par Williams est de 55,40 $; ceux-ci vont de
1 $ à 500 $.
On peut donner le montant qu'on veut sur Kickstarter. Pour chaque
tranche, le « backer » reçoit quelque chose en retour: le téléchargement
de l'album, le CD autographié, une paire de billets pour un concert,
etc. Pour un don entre 1000 $ et 2000 $, Williams s'engage à donner un
concert solo à la résidence du « backer », n'importe où sur le
territoire américain. Même chose pour un don de plus de 2000 $, mais
partout dans le monde.
Des dizaines de plateformes vouées au financement de projets
artistiques, caritatifs ou autres,
ont vu le jour. Elles remettent en question la croyance qui veut que
« sans fonds publics, point d'art ». Dans un monde où l'État n'a pas le
monopole du financement des arts, de telles initiatives privées se
multiplient et gagnent en popularité.
Trois caractéristiques importantes différencient ces plateformes des
organismes subventionnaires traditionnels. La première est le fait que
leurs fonds sont illimités. Contrairement à la NEA ou au Conseil des
arts du Canada qui ont des budgets très limités (et toujours
insuffisants, selon ceux qui se les partagent), il n'y a pas de limites
à ce que ces plateformes peuvent aller chercher comme fonds.
La seconde est qu'elles contribuent à augmenter le niveau général de
bonheur (voir « Donner
rend heureux », le QL, 6 janvier 2008). Encore une fois,
contrairement au financement de projets créatifs par des organismes
subventionnaires qui se fait sans notre accord, le financement de
projets créatifs par ces plateformes se fait de façon volontaire. Et il
fait plaisir de contribuer à un projet qui nous tient à coeur et dont
nous souhaitons voir l'aboutissement.
Si j'avais à les placer sur une échelle de 1 à 10, payer ces impôts se
retrouverait au bas, acheter un CD au magasin ou sur Amazon, à 5, et
contribuer à l'éclosion d'un projet, à 10. Pourquoi? À cause du lien qui
s'établit entre celui qui reçoit les fonds (l'État ou l'artiste) et
celui qui donnent les fonds (le contribuable ou le consommateur).
Dans le cas des impôts, le lien est forcé: l'État nous force à
subventionner des artistes dont nous n'approuvons peut-être pas les
points de vue ou n'aimons tout simplement pas les produits. Dans le cas
d'un achat de CD au magasin ou sur Amazon, il est intéressé, mais
impersonnel ‒ nous sommes heureux d'acheter un produit que nous aimons,
mais l'artiste n'a qu'une vague idée de notre existence. Dans le cas
d'une contribution à l'éclosion d'un projet par contre, un lien
s'établit entre l'artiste et nous. Ce lien ajoute de la valeur au
produit.
La troisième caractéristique qui différencie ces plateformes des
organismes subventionnaires traditionnels est le fait qu'elles
permettent aux artistes d'accéder à un marché international. Des
artistes qui avant n'avaient accès qu'à leur petit marché (pensons aux
artistes québécois) ont maintenant accès au monde. Ce n'est pas rien.
(Même si parfois, les choses ne se passent peut-être pas comme elles
seraient censées se produire... La formation punk rock Side Effect du
Myanmar
l'a appris à ses dépens. Ayant réussi à financer un disque à l'aide
de la plateforme Indie Go Go, elle a vu son compte gelé par le
gouvernement Obama parce qu'il violait les sanctions américaines contre
ce pays).
Pour toutes ces raisons, les plateformes de type Kickstarter vont se
développer dans l'avenir. Jusqu'à ce qu'un entrepreneur quelque part
trouve une nouvelle façon de financer l'art, puis une autre, puis une
autre. C'est la beauté du capitalisme. Contrairement aux organismes
publics, qui, de par leur statut, peuvent difficilement se renouveler,
les Kickstarter & Cie peuvent changer, se réinventer, s'améliorer.
Comme disait l'autre: « The Future's So Bright, I Gotta Wear Shades ».
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