Questionné lors d'un point de presse sur le coût d'une telle stratégie,
De Schutter s'est contenté de répondre que le Canada pouvait se le
permettre et que ça ne coûtait pas très cher ‒ on ne sait pas ce qu'il
veut dire par « pas très cher », mais bon... on s'imagine quelques
centaines de millions de dollars. Le haut fonctionnaire onusien est
catégorique: « Puisqu'il (le Canada) a pu ces dernières années
redistribuer aux riches, peut-être le temps est-il venu de redistribuer
aux pauvres. »
Les critiques du rapporteur ont été fort mal reçu par les ministres
conservateurs. « D'après nous, a lancé le ministre de l'Immigration,
Jason Kenney, l'ONU doit mettre l'accent sur les pays en voie de
développement où les gens n'ont pas de nourriture et c'est un gaspillage
de ressources de venir dans des pays démocratiques, bien développés,
pour donner des leçons politiques ». La ministre de la Santé, Leona Aglukkaq, a ajouté: « J'ai rencontré l'individu ce matin et j'ai trouvé
qu'il était un intellectuel mal-informé, condescendant qui étudie de
loin, encore une fois, les peuples autochtones, les Inuits et l'Arctique
canadien. »
Même si cela fait du bien d'entendre des ministres laisser de côté leur
habituelle langue de bois et tomber à bras raccourci sur un rond-de-cuir
franchement pédant, je ne peux m'empêcher de croire que l'avènement
d'une telle stratégie est inévitable. Il y a trop de do-gooders
qui travaillent sur les questions de nutrition et d'obésité pour qu'elle
ne se concrétise pas un jour. D'ailleurs, les membres de l'opposition à
Ottawa étaient
très sensibles aux propos du rapporteur...
À quoi pourrait bien ressembler une stratégie nationale en matière de
droit à l'alimentation? De Schutter en a donné
quelques indices lors de
son passage. Le Canada devrait en gros augmenter les revenus des plus
pauvres, faire en sorte que des produits sains et frais soit disponibles
partout pays et cela, à des prix abordables, et organiser une sorte de
grande rencontre nationale sur l'alimentation.
On s'en doute, les do-gooders ont applaudi les propos du
rapporteur. Prenez Sécurité alimentaire Canada, une alliance
« pancanadienne d'organisations de la société civile et d'individus qui
collaborent pour promouvoir le dialogue et la collaboration en faveur de
politiques et de programmes qui améliorent la sécurité alimentaire au
Canada et à l'échelle mondiale ». Comme on peut le lire dans
un de ses
récents communiqués:
« Le rapporteur spécial a parcouru le Canada au cours des dix derniers
jours, recueillant des données et des récits troublants au sujet de
l'insécurité alimentaire, des problèmes de santé qui y sont reliés,
ainsi que du coût scandaleux des aliments dans les régions éloignées et
nordiques. Il nous a rappelé que l'alimentation demeure un droit
fondamental, et que le Canada faillit à ses obligations d'assurer ce
droit [...] ».
Comme l'alimentation est un « droit fondamental » pour plusieurs, et qu'il
est primordial que chacun mange bien et à sa faim, un large pan d'une
éventuelle politique nationale serait consacré à un réseau pancanadien
de banques alimentaires. Or, comme l'avait brillamment démontré
l'avocate Karen Selick il y a quelques années
dans le National Post,
les banques alimentaires ne sont pas la solution.
Tous à la banque (alimentaire) |
Selon Selick, les banques alimentaires ont contribué à créer le problème
auquel elles prétendent remédier ‒ aider les personnes à court d'argent
pour l'épicerie avant le prochain chèque de paie ou d'aide sociale ‒ en
aidant à éliminer la stigmatisation qui accompagnait l'acte de mendier
pour de la nourriture.
Il peut être humiliant de révéler à vos proches ‒ famille, amis ou
voisins ‒ que vous ne pouvez pas vous permettre d'acheter l'épicerie
cette semaine. Mais avec un intermédiaire comme une banque alimentaire
entre vous et des donateurs anonymes, aucune de vos connaissances ne
sera au courant de votre situation. Vous aurez aussi la consolation de
voir de nombreux autres habitués fréquenter les banques alimentaires;
vous ne devez pas avoir honte, vous n'êtes pas seul dans cette
situation.
Et une fois que vous aurez fait votre première visite à la banque
alimentaire, et que vous en serez ressorti le coeur léger, il sera
encore plus facile d'y retourner! En fait, vous pourrez même revoir la
façon dont vous gérez votre budget en gardant à l'esprit cette « porte de
sortie ». Vous pourrez dépenser un peu plus sur les frivolités de la vie
et laisser la banque alimentaire combler le vide à l'aide de boîtes de
thon, de riz et de beurre d'arachide. C'est très censé, d'un point de
vue économique.
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