La question à se poser est donc
la suivante: comment évaluer les coûts, pour les contribuables
québécois, d'une entreprise d'exploitation des ressources situées au
Nord du 49e parallèle?
Partenariat public-privé: le partage des coûts
nominaux |
La première étape pour évaluer les coûts du Plan Nord pour les
contribuables québécois est de considérer les
projections en ce qui a trait aux sommes nominales totales à investir dans le projet.
Tel que mentionné, ledit projet coûtera, sur une période de 25 ans, 80
milliards de dollars. De ce montant, Hydro-Québec, société d'État,
investira 47 milliards de dollars, tandis que les entreprises privées et
les autres composantes de l'État investiront les 33 milliards restants(2).
Ainsi, même si l'on ne sait pas exactement comment seront divisées les
dépenses de 33 milliards de dollars, les contribuables du Québec sont
assurés d'assumer la majeure partie des coûts de développement et
d'exploitation du Grand Nord par le biais de leur gouvernement, d'autant
plus que:
[…] le gouvernement Charest maintient un système de redevances désuet,
basé sur les profits (qu'il est possible de ramener à pratiquement zéro
par différents crédits d'impôt), et utilisera les revenus pour payer les
infrastructures utilisées par l'industrie. Et plutôt que d'instaurer un
système de redevances basé sur la valeur brute et d'exiger une
participation minimale des entreprises comme compensation de base, il
investira 500 millions de dollars d'argent public dans l'achat d'actions(3).
On peut se demander si les contribuables, qui assumeront la majorité
des dépenses liées au Plan Nord, percevront malgré tout la majorité des
bénéfices. Or,
les retombées fiscales du Plan Nord sont estimées à 14,3 milliards de
dollars sur vingt-cinq ans(4)
et les redevances minières, à 120 millions sur cinq ans(5).
Même en supposant des retombées de 120 millions pour chaque période de
cinq ans subséquente, ces profits gouvernementaux n'arrivent même pas
à la hauteur des dépenses publiques engendrées par le plan.
Cependant, la rentabilité du
Plan Nord n'est pas l'objet principal de
cet article: il s'agit plutôt de savoir ce qu'il en coûtera aux
contribuables québécois pour investir dans le Nord. Puisque nous
avons une idée des coûts nominaux d'un tel investissement, il faut
établir les bases d'évaluation de ses coûts véritables. Pour ce faire,
il faut appliquer un principe fondamental aux sommes d'argent évoquées
ci-dessus: celui du coût d'opportunité.
Le principe de coût d'opportunité appliqué au Plan
Nord |
Tout d'abord, il faut définir ce qu'est un coût d'opportunité. Il
s'agit du « coût de ce qui est choisi en termes de ce que l'on cède mais
aussi en termes de ce que l'on renonce à obtenir(6) ».
En d'autres termes, pour évaluer les frais véritables d'un
investissement, il faut considérer non seulement son coût monétaire,
mais aussi son coût en possibilités sacrifiées. En ce qui concerne le
Plan Nord, il ne suffit pas de regarder son prix de 80 milliards de
dollars sur vingt-cinq ans: il faut aussi voir où cet argent aurait pu
être investi et ce qui aurait pu être accompli, n'eût été le Plan Nord. Ce sacrifice en terme d'investissement et d'accomplissement, ce
coût d'opportunité, varie d'un citoyen à l'autre selon ses priorités et
ses préoccupations: certains ont besoin de soins de santé; d'autres de
fonds pour leurs frais d'études; d'autres encore aimeraient bien partir
en voyage à Cuba, ou chasser le gibier dans les territoires intouchés du
Grand Nord, etc.
Ainsi, le coût d'opportunité du
Plan Nord, son coût
véritable, n'a pas la même signification pour tous les
investisseurs/contribuables québécois: certains seraient peut-être prêts
à annuler leur voyage pour un tel investissement, s'il était rentable, mais
d'autres préféreraient peut-être, comme on l'a vu lors des
manifestations de 2012, que des fonds soient investis dans l'éducation
supérieure. Cela dit, si l'on reste au niveau agrégé, le
coût d'opportunité du Plan Nord est l'ensemble des biens et services
qui, dispensés par les autorités publiques, verront leur nombre, leur
qualité et leur prix affectés par le détournement de fonds vers ce
projet.
Toutefois, certains proposent l'argument des « retombées
économiques »: en investissant l'argent des contribuables québécois dans
le Nord, le gouvernement créerait de l'emploi et de la richesse
pour ces mêmes contribuables. L'idée que le gouvernement peut « créer »
richesse et emploi par ses investissements est héritée du concept de
multiplicateur keynésien. Le multiplicateur de Keynes, grosso modo,
stipule que l'investissement d'argent public par un gouvernement stimule
la demande agrégée en donnant aux citoyens les moyens de dépenser et
donc, stimule la croissance économique alors que l'argent investi par
les autorités publiques est dépensé et re-dépensé par les individus qui
l'utilisent dans leurs transactions(7).
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