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Le
projet de développement du Grand Nord québécois: les coûts
d'investissement (Version imprimée) |
par
Sébastien Richer*
Le Québécois Libre, 15 août
2012, No 302
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/12/120815-13.html
Le plan du gouvernement Charest pour le développement du Grand Nord québécois
entraînera, selon les autorités gouvernementales, des investissements de 80 milliards de dollars
sur une période de 25 ans.
De plus, ce
plan planifierait « le développement autrement, soit en concertation avec
les citoyens des régions concernées(1) ».
Le gouvernement accorde beaucoup d'importance à un dialogue avec les populations
habitant le Grand Nord, ou du moins avec leurs représentants politiques,
mais cet accent régional est inadéquat dans le contexte d'un projet qui
affectera tout le Québec et mettra à contribution les portefeuilles de
tous les travailleurs québécois par le biais des taxes et impôts qu'ils
payent.
La question à se poser est donc
la suivante: comment évaluer les coûts, pour les contribuables
québécois, d'une entreprise d'exploitation des ressources situées au
nord du 49e parallèle?
Partenariat public-privé: le partage des coûts nominaux
La première étape pour évaluer les coûts du Plan Nord pour les
contribuables québécois est de considérer les
projections en ce qui a trait aux sommes nominales totales à investir dans le projet.
Tel que mentionné, ledit projet coûtera, sur une période de 25 ans, 80
milliards de dollars. De ce montant, Hydro-Québec, société d'État,
investira 47 milliards de dollars, tandis que les entreprises privées et
les autres composantes de l'État investiront les 33 milliards restants(2).
Ainsi, même si l'on ne sait pas exactement comment seront divisées les
dépenses de 33 milliards de dollars, les contribuables du Québec sont
assurés d'assumer la majeure partie des coûts de développement et
d'exploitation du Grand Nord par le biais de leur gouvernement, d'autant
plus que:
[…] le gouvernement Charest maintient un système de redevances désuet,
basé sur les profits (qu'il est possible de ramener à pratiquement zéro
par différents crédits d'impôt), et utilisera les revenus pour payer les
infrastructures utilisées par l'industrie. Et plutôt que d'instaurer un
système de redevances basé sur la valeur brute et d'exiger une
participation minimale des entreprises comme compensation de base, il
investira 500 millions de dollars d'argent public dans l'achat d'actions(3).
On peut se demander si les contribuables, qui assumeront la majorité
des dépenses liées au Plan Nord, percevront malgré tout la majorité des
bénéfices. Or,
les retombées fiscales du Plan Nord sont estimées à 14,3 milliards de
dollars sur vingt-cinq ans(4)
et les redevances minières, à 120 millions sur cinq ans(5).
Même en supposant des retombées de 120 millions pour chaque période de
cinq ans subséquente, ces profits gouvernementaux n'arrivent même pas
à la hauteur des dépenses publiques engendrées par le plan.
Cependant, la rentabilité du Plan Nord n'est pas l'objet principal de
cet article: il s'agit plutôt de savoir ce qu'il en coûtera aux
contribuables québécois pour investir dans le Nord. Puisque nous
avons une idée des coûts nominaux d'un tel investissement, il faut
établir les bases d'évaluation de ses coûts véritables. Pour ce faire,
il faut appliquer un principe fondamental aux sommes d'argent évoquées
ci-dessus: celui du coût d'opportunité.
Le principe de coût d'opportunité appliqué au Plan Nord
Tout d'abord, il faut définir ce qu'est un coût d'opportunité. Il
s'agit du « coût de ce qui est choisi en termes de ce que l'on cède mais
aussi en termes de ce que l'on renonce à obtenir(6) ».
En d'autres termes, pour évaluer les frais véritables d'un
investissement, il faut considérer non seulement son coût monétaire,
mais aussi son coût en possibilités sacrifiées. En ce qui concerne le
Plan Nord, il ne suffit pas de regarder son prix de 80 milliards de
dollars sur vingt-cinq ans: il faut aussi voir où cet argent aurait pu
être investi et ce qui aurait pu être accompli, n'eût été le Plan Nord. Ce sacrifice en terme d'investissement et d'accomplissement, ce
coût d'opportunité, varie d'un citoyen à l'autre selon ses priorités et
ses préoccupations: certains ont besoin de soins de santé; d'autres de
fonds pour leurs frais d'études; d'autres encore aimeraient bien partir
en voyage à Cuba, ou chasser le gibier dans les territoires intouchés du
Grand Nord, etc.
Ainsi, le coût d'opportunité du Plan Nord, son coût
véritable, n'a pas la même signification pour tous les
investisseurs/contribuables québécois: certains seraient peut-être prêts
à annuler leur voyage pour un tel investissement, s'il était rentable, mais
d'autres préféreraient peut-être, comme on l'a vu lors des
manifestations de 2012, que des fonds soient investis dans l'éducation
supérieure. Cela dit, si l'on reste au niveau agrégé, le
coût d'opportunité du Plan Nord est l'ensemble des biens et services
qui, dispensés par les autorités publiques, verront leur nombre, leur
qualité et leur prix affectés par le détournement de fonds vers ce
projet.
Toutefois, certains proposent l'argument des « retombées
économiques »: en investissant l'argent des contribuables québécois dans
le Nord, le gouvernement créerait de l'emploi et de la richesse
pour ces mêmes contribuables. L'idée que le gouvernement peut « créer »
richesse et emploi par ses investissements est héritée du concept de
multiplicateur keynésien. Le multiplicateur de Keynes, grosso modo,
stipule que l'investissement d'argent public par un gouvernement stimule
la demande agrégée en donnant aux citoyens les moyens de dépenser et
donc, stimule la croissance économique alors que l'argent investi par
les autorités publiques est dépensé et re-dépensé par les individus qui
l'utilisent dans leurs transactions(7).
Toutefois, même en admettant un tel effet multiplicateur reposant sur la
propension des gens à consommer, il faudrait aussi compter sur un effet
diviseur, car considérant la notion cruciale de coûts d'opportunité,
chaque dollar pris dans la poche du contribuable québécois et investi
dans le Nord est un dollar ne pouvant pas être investi ailleurs. Chaque
somme investie par le gouvernement étant une somme d'abord prise
par le gouvernement, tout « effet multiplicateur » résultant d'un tel
investissement est donc également compensé par l'absence d'effet
multiplicateur à l'endroit où l'argent a été pris, c'est-à-dire dans les
portefeuilles des contribuables. Toute création d'emplois dans le
Nord n'est que le fruit d'une destruction d'emplois ailleurs, car les
ressources humaines et matérielles concernées, si elles ne sont pas
investies dans le Plan Nord, seront investies ailleurs.
Conséquemment, l'argument des « retombées économiques » ne vise qu'à
rendre politiquement correct le fait d'investir l'argent des
contribuables dans un projet qui, selon les chiffres ci-dessus, ne
rapportera même pas assez pour couvrir les dépenses publiques
engendrées. On nous dit qu'il faut un contexte économique avantageux
pour attirer les compagnies minières et enrichir le Québec(8),
mais
s'il y avait un véritable profit à faire dans le nord du Québec une fois
prises en compte les dépenses d'exploration, de forage, les taxes, etc.,
les investissements n'auraient pas à être encouragés par le gouvernement.
Les entreprises privées, voyant d'elles-mêmes le profit potentiel, investiraient
de leur propre gré sans avoir à faire assumer la majeure partie de la
facture aux citoyens québécois (et, par le biais de la péréquation, aux
citoyens canadiens).
Là où certains voient une nécessité de taxer davantage
les entreprises, je n'en vois aucune. Pourquoi, en effet, devrait-on
d'une part demander des redevances aux compagnies minières et les taxer,
les décourageant ainsi de s'installer au Québec, pour ensuite d'autre
part les subventionner à même les fonds publics pour quelles fassent
justement cela? Pourquoi ne pas laisser les entreprises minières payer
les pleins coûts de leur forage et exploitation, sans les taxer ni les
subventionner?
Quoi
qu'il en soit, il faut sérieusement se demander comment développer le
Nord de façon à ce que les payeurs de taxes ne soient pas floués. Pour
ce faire, il convient à la base de traiter les citoyens québécois comme
de véritables investisseurs dans le projet nordique, et non comme des tirelires
fournisseuses de fonds. C'est dans cette perspective que je proposerai
maintenant une manière alternative de développer le Nord.
Développer le nord autrement: les citoyens comme investisseurs
Voici ce que je propose: comme c'est le cas pour la plupart des
autres secteurs économiques, le financement des
entreprises exploitant le Nord devrait se faire sur une base volontaire. Ainsi, ceux
qui veulent investir dans un projet de développement nordique pourront
le faire, mais ceux jugeant que leur argent devrait être usé à un autre
escient auront la liberté de le conserver. Un des fondements de la
démocratie est le vote citoyen: alors, pourquoi ne pas laisser les gens
voter avec leur argent? Que les Québécois qui sont en faveur du Plan
Nord investissent dedans par le biais des actions détenues par les
compagnies minières. Certains objecteront que les mieux nantis auront
ainsi plus de pouvoir que les moins fortunés sur un tel Plan Nord. Soit;
cependant, cela vaut mieux que le scénario présent, dans lequel le
citoyen n'a de réel pouvoir, ni sur le Plan Nord, ni sur son argent.
C'est se moquer du contribuable que de lui dire que son vote est
important, pour ensuite dépenser son argent, fruit de son labeur, contre
son gré dans un projet d'une telle envergure. La « concertation avec les
citoyens des régions concernées », peu importe la signification de cette expression
creuse, n'est pas un substitut pour le respect intégral du droit qu'a
chaque citoyen, en principe, de jouir des fruits de son propre travail.
Au final, il faut se poser une question cruciale: si les citoyens
assument la majorité des coûts du développement nordique sans obtenir la
majorité des bénéfices, s'ils sont traités comme des tirelires et non
comme des investisseurs, qu'est-ce qui est en fin de compte exploité? Le
Grand Nord… ou les citoyens?
Notes
1. Québec, Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune.
(2011), Faire le nord ensemble: Le chantier d'une génération, p. 6.
2. Ibid., p. 117.
3. Nature Québec. (2011), « Après la Ruée vers l'or, la ruée vers le
nord – le nord, une bonne idée servie par un mauvais plan », (2011)
En ligne (page consultée le 5
février 2012).
4. Noreau, J. (2011), « Les ressources naturelles: un potentiel en or?
Lorsque le rêve rencontre la réalité », p. 16.
5. Shields, A. (2011), « Plan Nord – Une aventure qui présente un risque
pour les finances publiques ».
6. Andréani, E. (1967), « Le coût d'opportunité », p. 840.
7. Keynes, J. M. (2008), The General Theory of Employment, Interest and
Money, p. 105-06.
8. Davies Ward Phillips and Vineberg LLP. (2011), Le Plan Nord: un
résumé détaillé, p. 3-4.
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Sébastien Richer est candidat à la maîtrise en science politique à
l'Université McGill |