Le Québécois Libre, 15 août 2012, No 302 Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/12/120815-9.html Les valeurs le plus souvent véhiculées par les artistes québécois sont celles de la solidarité, de la tolérance et de la compassion. Comment se fait-il qu'ils n'appliquent pas ces mêmes valeurs entre eux, au sein de leur propre communauté? Peur de s'afficher Lors du référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec, j'étudiais à l'UQAM. Un camarade de classe, membre de l'Union des artistes, nous appris un jour que le camp du Non avait approché l'UDA dans le but de trouver quelques comédiens pour jouer dans une campagne publicitaire télé. « Ils vont avoir de la difficulté à trouver quelqu'un », disait le camarade en question, sourire en coin. Il devait bien y avoir quelques fédéralistes dans les rangs du syndicat des artistes, mais pas question pour eux de laisser planer le doute sur leur possible affiliation avec le camp du Non. Au plus fort de la récente crise étudiante, la chroniqueuse du Journal de Montréal Sophie Durocher s'est interrogée à savoir où se cachaient les artistes carrés verts? « Je viens de recevoir mon bottin des membres de l'UDA (dont je fais partie) et je ne peux pas croire que parmi les 277 pages de noms d'artistes, il ne se trouve pas un seul qui trouve la hausse justifiée ou qui considère que les étudiants vont trop loin. Où sont les verts, où se cachent-ils? » Encore une fois, il devait bien y avoir quelques opposants au mouvement étudiant, mais ils ne souhaitaient manifestement pas s'afficher ouvertement en faveur d'une hausse des frais de scolarité. Au début du mois, le chef de la Coalition Avenir Québec a rencontré la presse pour parler de culture. François Legault a annoncé qu'il allouerait 100 millions $ de plus au budget du ministère de la Culture si son parti était porté au pouvoir. À part le chanteur des B.B., Patrick Bourgeois, qui était sur place pour encourager la candidate Hélène Daneault, une amie personnelle, il n'y avait pas un artiste en vue. Il doit bien y en avoir quelques-uns qui penchent un peu plus pour un parti considéré (à tort ou à raison) comme en faveur d'un État un peu moins obèse et qui ne se reconnaissent pas dans les autres partis! Sans doute, mais ils ne tiennent pas à être étiquetés caquistes pour autant. On s'entend, personne n'est obligé de s'afficher pour quoi que ce soit. « It's a free country », comme disait ma mère. Mais avouez qu'il est étrange qu'à toutes les fois qu'un artiste s'affiche au Québec, c'est toujours pour les mêmes causes, toujours du même bord. Pourquoi tous les artistes ont-ils peur de s'afficher comme autre chose que de gauche et/ou souverainistes? La raison qui revient le plus souvent, c'est qu'ils disent craindre les représailles. La solidarité, la tolérance et la compassion ne sont malheureusement plus des valeurs qui tiennent dans le milieu culturel québécois lorsque vient de temps de s'afficher à contre-courant de la majorité. Règne de peur « C'est vraiment ELLE [la candidate caquiste Hélène Daneault, dans Groulx] que je suis venu encourager », a insisté le chanteur des B.B., visiblement mal à l'aise de l'intérêt soudain des journalistes. Interrogé sur son état d'âme, il a répliqué: « C'est toujours un peu compliqué et on marche toujours un peu sur des oeufs. Les artistes font bien attention et je les comprends », a-t-il observé, expliquant que certains d'entre eux craignent de perdre des subventions. Pourtant, si l'on en croit le député sortant de Deux-Montagnes, Benoit Charrette, la Coalition Avenir Québec a de nombreux appuis dans le milieu culturel. « On en a plusieurs, et de grands noms, qui nous ont témoigné un appui sans réserve mais sous le couvert de l'anonymat. Ça peut être compromettant pour une carrière et au niveau des relations professionnelles donc on le respecte et on ne peut pas faire autrement. » Le candidat caquiste dans Taschereau, Mario Asselin, abonde dans le même sens. « Moi, je pense qu'il y a des artistes qui ont des sympathies pour notre parti qui est nationaliste et qui croit à la culture. Évidemment, sur la place publique, ce n'est pas toujours facile pour des questions d'orgueil et de contrats, on en entend parler. » Tant M. Charrette que M. Asselin disent comprendre la discrétion des « anonymes ». C'est tout de même curieux! Ces gens-là ne sont pas atteints d'une maladie honteuse ou n'ont pas été reconnus coupables d'actes pédophiles! Ils ne pensent tout simplement pas comme leurs camarades et se positionnent ailleurs sur le spectre politique. Il n'y a rien de mal à cela! C'est comme ça dans toutes les autres sphères d'activités de la société. Où sont les artistes qui ne sont pas de gauche et/ou souverainistes? Ils se cachent chez eux, écrit Sophie Durocher. Et ils ne disent leur opinion que sous le couvert de l'anonymat, terrorisés qu'ils sont à l'idée que leurs camarades découvrent ce qu'ils pensent vraiment. Dans une chronique publiée en mai et intitulée « La peur rouge », elle écrit:
Imaginez. On n'est pourtant pas en ex-Union soviétique ou dans un
quelconque pays où l'on envoie les dissidents aux travaux forcés dans
des goulags ‒ quand on ne les lynche pas carrément sur la place
publique! On est au Québec, terre d'accueil et de solidarité ‒ dont les
artistes sont les supposés ambassadeurs! Tout cela ne serait-il que de
la fiction? |