Extraits de l'introduction
par
Damien Theillier, président de
l'Institut Coppet
L'ambition de ce livre grand public
n'est pas d'initier le lecteur aux
arcanes de la philosophie libérale, ni
même aux subtilités de l'économie
politique. Son ambition est plutôt
d'offrir une diversité d'aperçus
individuels sur le monde contemporain et
la société française en particulier. Le
libéralisme n'est pas un corps de
principes unifiés, fixé une fois pour
toute dans on ne sait quel texte
fondateur. Il y a une grande diversité
de sources du libéralisme et ce livre en
témoigne par la pluralité de ses
approches.
Toutefois, il n'est pas inutile de
rappeler quelques principes communs,
partagés par l'ensemble des libéraux.
Car ce sont ces principes de philosophie
du marché et de philosophie de la
liberté que la plupart des gens
ignorent. Et c'est précisément cette
ignorance qui est la raison fondamentale
du rejet de la liberté dans ce pays.
Tous ceux qui sont passés par
l'Éducation nationale, soit 99% de la
population, puisqu'il s'agit d'un
monopole, ont appris que l'échange est
un jeu à somme nulle où les gains des
uns impliqueraient les pertes des
autres, que la propriété est un vol, que
poursuivre son intérêt est un vice, etc.
Les intellectuels n'aiment pas le
libéralisme et le philosophe de Harvard,
Robert Nozick, explique ce phénomène
comme un effet du ressentiment. Les
intellectuels sont hostiles au
libéralisme, selon lui, parce que les
sociétés où règne le marché ne
rémunèrent pas suffisamment leurs
investissements en années d'étude. C'est
pourquoi les intellectuels adhèrent
systématiquement au socialisme et
imposent une culpabilité imméritée à
ceux qui poursuivent leur propre
intérêt.
1° Qu'est-ce que la main invisible? |
L'expression « main invisible »
provient de La Richesse des Nations
(1776), le célèbre livre d'Adam Smith.
Selon ce dernier, l'entrepreneur qui
cherche à faire du profit est conduit à
rendre service à des gens bien plus
nombreux que s'il avait pour but d'en
faire à des gens connus de lui. Il
produit des biens de plus en plus utiles
et abordables par la division du travail
et la concurrence. Le message de Smith
est que la volonté de chacun d'améliorer
son sort est un élément central du
développement économique, qui profite à
tous. En 1958, l'écrivain américain
Leonard Read (créateur de la
Foundation for Economic Education)
publie dans la revue The Freeman
un petit essai devenu très célèbre:
I, pencil (« Moi le crayon »). Ce
texte est une magnifique illustration de la métaphore de la main
invisible. Il commence ainsi: « Je suis un crayon à
mine, un crayon ordinaire en bois,
familier à tous les garçons et les
filles et les adultes qui savent lire et
écrire. Il est l'un des objets les plus
simples dans la civilisation humaine. Et
pourtant pas une seule personne sur
cette terre ne sait comment me produire. » Milton Friedman (prix Nobel d'économie
en 1976), s'est souvent servi de cette
histoire pour expliquer le « miracle »
de la coopération humaine dans une
économie de marché (notamment dans un
épisode de sa série télévisée Free to Choose). Des milliers de personnes qui
ne se connaissent pas, qui n'ont pas la
même religion ni les mêmes coutumes,
réussissent pourtant à se coordonner
pour produire cet objet. Leonard Read
écrit: « Il y a quelque chose d'encore
plus étonnant: c'est l'absence d'un
esprit supérieur, de quelqu'un qui dicte
ou dirige énergiquement les innombrables
actions qui conduisent à son existence.
On ne peut pas trouver trace d'une telle
personne. À la place, nous trouvons le
travail de la Main Invisible. » Et
l'auteur de conclure: « La leçon que je
veux enseigner est la suivante: laissez
libres toutes les énergies créatrices.
Organisez juste la société pour qu'elle
agisse en harmonie avec cette leçon. Que
l'appareil légal de la société élimine
tous les obstacles du mieux qu'il le
peut. Permettez à tous ces savoirs créateurs de se répandre librement.
Ayez foi dans les hommes et les femmes libres qui répondent à la main
invisible. »
(…) Bien entendu, l'harmonie des
intérêts, réalisée par la concurrence et
le mécanisme des prix, n'est possible
que sur la base du respect des contrats
et des droits de propriété. Il n'y a pas
d'ordre auto-organisé sans règles du
jeu. D'où cette définition de l'État par
Frédéric Bastiat au XIXe siècle: « l'État, ce n'est ou ce ne devrait être
autre chose que la force commune
instituée, non pour être entre tous les
citoyens un instrument d'oppression et
de spoliation réciproque, mais, au
contraire, pour garantir à chacun le
sien, et faire régner la justice et la
sécurité. » (…)
2° Le libéralisme est un humanisme |
La liberté économique est perçue par
une majorité de nos contemporains,
conservateurs ou socialistes, comme
étant radicalement immorale. Elle
révolte et scandalise. On s'indigne de
la spéculation, du profit et des
salaires des patrons, du « règne de
l'argent ». Le libéralisme serait
affranchi de toute considération de
justice et guidé par des mécanismes
impersonnels et inhumains.
(…) La liberté grandit les hommes car
elle implique d'assumer la
responsabilité de ses choix, d'accepter
les règles du jeu et de refuser
d'obtenir un profit par la force. C'est
par le service d'autrui que je peux me
servir moi-même.
Toutefois, les conservateurs
prétendent que le libéralisme est une
belle doctrine mais une doctrine qui ne
peut pas fonctionner, car les hommes ne
sont pas vertueux. Pour eux, le plus
grand bien social n'est pas la liberté
sans réserve, mais un comportement
décent, ou la liberté ordonnée par la
vertu. Cette culture de la liberté dans
la vertu ne s'acquiert pas spontanément.
Il faut le renforcement et la médiation
des institutions, voire du gouvernement
lui-même.
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