Pierre Paul Rubens (1577-1640) est reconnu comme le géant de la
peinture baroque. Comme dans le cas d'autres artistes-peintres, il
possède une véritable armée d'assistants et d'élèves (des « petites
mains ») pour effectuer ses toiles. « Aux Pays-Bas [du Sud], les
artistes sont soumis (...) à une corporation, la guilde de Saint-Luc.
Elle impose, entre autres, un nombre restreint d'apprentis qui sont en
charge des basses besognes ainsi qu'une limitation du nombre de
compagnons habilités à exécuter les copies. Mais Rubens s'affranchit de
ces normes peu valorisantes. Il a des appuis de poids... Il met en place
sa "Factory". Non seulement emploie-t-il un grand nombre de petites
mains, mais encore organise-t-il leur tâche de manière précise afin
qu'elles rendent une productivité maximale. »
« Dans l'atelier de Rubens à Anvers, la division du travail est poussée
très loin, avec des peintres spécialisés dans les personnages, les
animaux, le paysage, la nature morte. Mais pour mener à bien une telle
entreprise, il faut qu'elle soit dirigée par un artiste de la trempe de
Rubens, doté d'une grande réputation et d'une large clientèle désireuse
d'acquérir les produits de sa griffe. »
Rembrandt Harmenszoon van Rijn, mieux connu sous le nom de Rembrandt
(1606-1669), est le géant de l'école hollandaise du XVIIe siècle.
Lui aussi a sa propre manufacture. Le peintre Arnold Houbraken
(1660-1719) décrit ainsi le lieu: « Pour ses hôtes et apprentis, il
louait un local sur Bloemgracht, dans lequel chacun d'eux se voyaient
attribuer un petit cube délimité par du papier ou de la toile afin que
chacun puisse peindre sur modèle sans perturber les autres. L'atelier
des copistes est une petite industrie du talent. »
« On sait que le maître se présente lui-même dans ses toiles plus
souvent que d'autres peintres de son époque. Ses autoportraits sont
évalués à une cinquantaine de tableaux, vingt gravures et une dizaine de
dessins. Mais il fait souvent réaliser par ses "petites mains" de
l'atelier des copies de ses autoportraits. [L'auteure] Svetlana Alpers
pose alors la question: "Quel genre d'oeuvre est un autoportrait réalisé
par une autre personne? Un capital, répond-elle en quelque sorte en
écrivant: L'investissement que Rembrandt fit en lui-même demeure une
opération profitable". »
Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (1697-1768), est reconnu
pour avoir représenté les charmes architecturaux de Venise. « Ses toiles
sont de grandes constructions urbaines aux formes géométriques remplies
d'une multitudes de détails qui les rendent fascinantes. » Fait à noter,
il vend le gros de sa production en Angleterre ‒ où un courtier
travaille pour lui. « Canaletto pour les Anglais n'est pas simplement un
peintre. Il est celui qui a inventé Venise. »
« À la fin des années 1720, Canaletto trouve un nouveau sujet porteur:
il élargit son répertoire aux cérémonies grandioses pour lesquelles la
cité est célèbre. Là encore, il s'agit de trouver des débouchés inédits.
Car les participants à ces différentes manifestations sont naturellement
désireux de repartir avec un souvenir sur toile. »
Gustave Courbet (1819-1877) est le peintre a qui l'on doit
l'« une des oeuvres les plus emblématiques de la modernité: L'Origine
du monde ». « En 1855, il met au point une méthode de production
inédite qui pourrait faire pâlir d'envie Damien Hirst. Il ouvre, tout
seul et pour lui tout seul, la première grande exposition-vente
particulière jamais organisée par un artiste hors de son atelier.
L'exposition universelle consacre un lieu à la peinture au Palais des
beaux-arts. L'artiste-entrepreneur décide alors tout simplement de
s'installer juste en face (...), afin de profiter de l'afflux engendré
par la manifestation planétaire. »
On le voit, les grands peintres du siècle dernier étaient tout sauf
déconnectés des réalités du marché. Alors que dans le Québec
contemporain on a souvent l'impression d'entendre parler d'art et
d'argent seulement dans une dynamique de revendication (il en manque, on
en demande plus), ce que démontre Benhamou-Huet dans son bouquin, c'est
que « art » et « argent » ne sont pas nécessairement antinomiques. Et
que des artistes qui vivent une relation saine avec l'argent et le
marché ont existé. Il en existe sans doute encore, sauf qu'on en entend
peu parler...
Promotion, adaptation au marché, logo, division du travail: au fil du
temps, les artistes ont découvert de nouvelles façons de maximiser leur
production et, par le fait même, leur possibilité de mieux vivre de leur
art. L'argent est en fait un instrument de mesure de leur réussite
personnelle.
Les artistes ont toujours aimé l'argent est un must pour
quiconque s'intéresse de près ou de loin aux arts visuels ‒ et à l'art
en général. Tel que mentionné plus haut, c'est court (225 petites
pages), mais c'est une lecture passionnante.
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