Dans un entretien au Journal du dimanche, le ministre souligne
que la morale laïque ne doit pas s’apparenter à l’« ordre moral » ou à
l’« instruction civique »: « Le but de la morale laïque est de permettre à
chaque élève de s’émanciper, car le point de départ de la laïcité c’est
le respect absolu de la liberté de conscience. Pour donner la liberté du
choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes,
familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix »,
précise-t-il.
On voit ici que la question de la liberté est au coeur du débat. Il
faudrait donc notamment arracher les enfants à l’influence de leurs
parents et les convertir aux valeurs républicaines, prétendument
universelles, pour les rendre libres. Mais qu’en est-il du déterminisme
et de l’ingérence politique? Ne faut-il pas aussi et surtout arracher
les enfants à la tutelle de l’État? Le projet républicain
d’uniformisation des consciences par l’école d’État est-il compatible
avec le respect de la liberté de conscience?
Républicains et libéraux
Depuis 200 ans, à la suite de Jules Ferry, les républicains se disent
partisans de la liberté par l’enseignement, c’est-à-dire par
l’émancipation à l’égard des traditions et des dogmatismes.
Descartes tient une place particulière dans les origines de l’idée
républicaine (voir sur ce point Claude Nicolet, L'Idée républicaine
en France, 1789-1924, Gallimard, Tel, 1994, p. 54-55). On en a
un bon exemple sous la plume de Condorcet (Esquisse d'un tableau
historique des progrès de l'esprit humain, 1794). Pour Condorcet,
tout homme est doté d'une « raison » que Descartes appelle aussi « bon
sens », c’est-à-dire la capacité de comprendre suffisamment le monde pour
se guider soi-même dans sa vie tant privée que publique. C'est cette
faculté qui fait la dignité de l'homme. C'est elle qui permet aux
disciples de Descartes de récuser le « sujet » de la monarchie ou de
l’Église, dépendant et soumis, pour constituer le « citoyen » de la
République, autonome et responsable. En conséquence, la politique
éducative républicaine consistera à concevoir l’école, et l’enseignement
de la morale, comme un service de l’État, lui-même conçu comme
l’incarnation de la Raison. Cette conception repose sur une double
assimilation: celle de la vie culturelle à l’État et celle de l’État à
la Raison.
Au contraire, pour les libéraux, la vraie liberté, c’est liberté de
l’enseignement, c’est-à-dire le libre choix par les parents de
l’école qui correspond à leurs convictions profondes.
Les libéraux défendent l’État minimal lockien car la vie
sociale comprend une dimension morale et culturelle qui, en tant que
telle, est indépendante de l’État. Pour eux, l’école n’a pas vocation à
être au service de l’État. La science est universelle, l’État est
toujours particulier. Lier l’école à l’État, c’est mettre en danger la
liberté de l’esprit, en liant la science ou la morale à une idéologie
particulière, celle de la république laïque par exemple, avec l’égalité
réelle, le solidarisme, etc.
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