Plutôt que de reprendre en ces quelques lignes le continuel débat entre
pro et anti-propriété intellectuelle, nous choisissons d’éclairer la
question sous un angle différent: pourquoi la propriété intellectuelle
existe-t-elle? La réponse donnée à cette question est un premier pas qui
nous permettra, par la suite, d’évaluer l’efficience du droit de la
propriété intellectuelle. À défaut, il nous faudra étudier les
alternatives en présence.
Le droit d'auteur 101
Historiquement, deux grandes raisons reviennent pour justifier
l’existence de droits de propriété intellectuelle: l’incitation à la
création et à l’innovation pour les auteurs et
les inventeurs, et la diffusion de la culture et la promotion du progrès
technique. Ces objectifs fondamentaux supposent toutefois un postulat
dont nous signalerons simplement qu’il n’est pas démontré: l’auteur,
comme l’inventeur, ne serait pas incité à créer et verrait ses efforts
ruinés s’il n’était pas protégé contre la copie de son travail par un
tiers.
Il en découle naturellement que les droits de propriété intellectuelle
s’incarnent en autant de monopoles, de privilèges, accordés par l’État
aux auteurs et aux inventeurs, leur offrant non pas une autorisation
d’exploiter mais le droit d’interdire aux tiers l’exploitation de leurs
oeuvres et de leurs inventions. La spécificité de ce monopole est qu’il
ne porte pas sur un bien matériel, mais sur une chose immatérielle. À y
regarder de plus près, cette chose immatérielle possède toutes les
caractéristiques de l’information: elle peut être reproduite presque
gratuitement et instantanément, sans que celui qui la développe n’en
perde l’usage, tandis que sa circulation profite à tous ceux qui la
reçoivent.
Sous l’appellation de « propriété intellectuelle » se cache ainsi un
mécanisme consistant à réserver l’exploitation d’une information – un
film, un livre ou le contenu d’un brevet – au profit d’un seul. La
propriété intellectuelle est d’une nature qui s’oppose frontalement à
celle du droit de propriété et à la liberté du commerce, ainsi que l’ont
constaté tour à tour les consommateurs amateurs de produits culturels et
les entreprises, entravées par des brevets placés comme autant de
barrières à l’entrée d’un marché.
Cette opposition se révèle régulièrement et par éclat, notamment lors
des procédures engagées contre les membres de réseaux peer-to-peer
et contre les entreprises pharmaceutiques du tiers-monde. Il est peu
dire que la propriété intellectuelle n’a pas bonne presse. De fait, la
volonté originelle de protéger les auteurs et les inventeurs a été
dépassée, dans l’esprit du public, par un conflit systématique entre
producteurs et consommateurs d’information.
À cette tension s’ajoute un lobbying particulièrement présent dans
l’élaboration de nouvelles règles qui a permis, entre autres et sans
réel débat préalable, l’émergence de droits protégeant les
semi-conducteurs, les nouvelles variétés végétales ou encore les bases
de données... Le champ du droit des brevets a lui-même été étendu
jusqu’aux inventions constituées par l’application technique d’une
fonction du corps humain et aux inventions portant sur les végétaux et
les animaux, tandis que la durée du droit d’auteur passait à 70 ans
après la mort de l’auteur. Cette dernière élongation de la durée des
droits, si peu en phase avec nos habitudes de consommation, est
symptomatique du passage d’un système incitatif à un système de rente,
dans lequel les titulaires de droits sont incités à protéger leurs
droits et à les faire fructifier plutôt que d’innover ou de créer.
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