Le voile de la monnaie
Selon notre auteur, le
pouvoir d'achat est la rémunération de la fabrication d'un produit: les
salaires des ouvriers et des employés, les rémunérations des cadres et
des dirigeants, les profits du capitaliste... C'est avec ce pouvoir
d'achat que l'on peut acheter d'autres produits. Au fond, le boulanger
n'achète pas sa viande avec de l'argent, mais avec du pain. Ainsi, écrit
Say, « dans les lieux qui produisent beaucoup, se crée la substance avec
laquelle seule on achète: je veux dire la valeur. L'argent ne remplit
qu'un office passager dans ce double échange; et, les échanges terminés,
il se trouve toujours qu'on a payé des produits avec des produits. Il
est bon de remarquer qu'un produit terminé offre, dès cet instant, un
débouché à d'autres produits pour tout le montant de sa valeur. »
Mises explique: « Ce n'est pas contre de la monnaie mais en fin de compte
contre d'autres biens que s'échangent les biens, nous fait savoir
Jean-Baptiste Say: la monnaie n'est que le moyen d'échange communément
utilisé, elle ne joue qu'un rôle d'intermédiaire; ce que le vendeur veut
finalement obtenir en échange de biens vendus, ce sont d'autres biens;
tout bien produit est donc en lui-même un prix, pour ainsi dire, en
terme des autres biens produits. C'est pourquoi, la situation du
producteur d'un bien quelconque se trouve effectivement améliorée par
tout accroissement de la production des autres biens. Ce qui porte tort
aux intérêts du producteur d'un article déterminé, c'est de ne pas avoir
correctement prévu la situation à venir du marché. »
Dès lors, les auteurs et
politiciens keynésiens qui accusent de tous les maux la prétendue
pénurie de monnaie et proposent l'inflation (au sens de l'augmentation
de la masse monétaire) comme panacée, n'ont pas compris la leçon de Say.
En réalité, ni la consommation (la dépense monétaire), ni la politique
monétaire (l'inflation) ne constituent un moteur pour la croissance. Say
se range clairement du côté d'Adam Smith sur ce point, le moteur de la
croissance c'est la division du travail, la production et l'épargne.
L'analyse libérale de la
lutte des classes
D'après Say, les
différentes tâches réalisées par l'entrepreneur industriel ne permettent
plus de le considérer comme un parasite. Au contraire,
l'entrepreneur est aussi un producteur. En effet dit Say, les services
fournis sur le marché sont des « biens immatériels » productifs,
c'est-à-dire utiles. On ne produit jamais que de l'utilité, et
donc tous les produits sont immatériels en tant que produits. Say a
souligné le rôle essentiel joué par l'entrepreneur dans l'activité
économique et la création de biens « immatériels », tels que les
services, le capital humain et les institutions, nécessaires à la
création de la richesse.
C'est pourquoi, le profit perçu par
l'entrepreneur rémunère ce dernier pour les tâches ainsi accomplies et
les risques encourus.
Selon ce point de vue, il
y a de nombreux contributeurs à l'industrie: les propriétaires
d'usines, les entrepreneurs, les ingénieurs et les techniciens, mais
aussi les enseignants, les scientifiques et les intellectuels.
Mais les germes d'une théorie
libérale des classes se trouvent dans la deuxième édition du Traité
d'Économie Politique (publié d'abord en 1803). L'auteur écrit: « Les énormes récompenses et les avantages qui sont généralement liés à
l'emploi public avivent grandement l'ambition et la cupidité. Ils créent
une lutte violente entre ceux qui possèdent des postes et ceux qui en
souhaitent. » Et il écrit encore: « Entre les mains d'un gouvernement, une
grosse somme fait naître de fâcheuses tentations. Le public profite
rarement, je n'ose pas dire jamais, d'un trésor dont il a fait les
frais: car toute valeur, et par conséquent toute richesse vient
originairement de lui. »
La doctrine de
Jean-Baptiste Say a directement inspiré le mouvement dit des
« industrialistes ».
Charles Comte (gendre de Say), Charles Dunoyer et Augustin Thierry, vont
développer une analyse de type historique et sociale: entre ceux qui
entreprennent, quel que soit le secteur
d'activité auquel ils appartiennent et de l'autre ceux qui détiennent le
pouvoir et les privilèges ‒ c'est-à-dire l'État et les classes
privilégiées qui lui sont liées ‒, il y a une opposition irréductible.
Ils posent l'existence d'un
collectif élargi « d'industriels » (au sens de Say) qui luttent face à
ceux qui veulent faire obstacle à leur activité ou qui en vivent de
façon improductive par des rentes.
Un autre disciple de Jean-Baptiste Say, Adolphe Blanqui, qui lui succéda
à la chaire d'économie politique au Conservatoire des arts et métiers,
écrit dans ce qui est probablement la première histoire de la pensée
économique publiée en 1837: « Dans
toutes les révolutions, il n'y a jamais eu que deux partis en présence:
celui des gens qui veulent vivre de leur travail et celui des gens qui
veulent vivre du travail d'autrui… Patriciens et plébéiens, esclaves et
affranchis, guelfes et gibelins, roses rouges et roses blanches,
cavaliers et têtes rondes, libéraux et serviles, ne sont que des
variétés de la même espèce. » (Adolphe Blanqui, Histoire de
l'Économie politique en Europe depuis les anciens jusqu'à nos jours,
1837, vol. 1, p. x.). En bref, l'histoire de toutes les
civilisations est celle du combat entre ceux qui produisent les
richesses et ceux qui les spolient et non entre les riches et les
pauvres comme le pensera Marx un peu plus tard. Dans l'histoire, ceux
qui consomment les richesses produites par les autres, sont les
véritables prédateurs de l'ordre social: ils forment des entraves à
l'industrie, dévaluent la monnaie et confisquent ainsi l'épargne des
citoyens. Puis, pour augmenter ses effectifs et donc ses revenus, la
classe politique et bureaucratique étend ses activités tous azimuts: au
nom du bien commun, elle commence à s'occuper de l'éducation, de la
santé, puis de la vie intellectuelle et des moeurs.
En conclusion,
Jean-Baptiste Say apparaît comme un précurseur sur de nombreux points.
Il a été l'un des premiers à mettre l'accent sur l'action humaine comme
clé de la science économique, anticipant ainsi les travaux de l'école
autrichienne. Face aux crises, c'est la créativité, c'est-à-dire la
capacité des entrepreneurs à réallouer les ressources vers des secteurs
plus porteurs, qui permet d'envisager une sortie. Et s'il fallait retenir
une ultime leçon de l'oeuvre du génial français, c'est aussi celle-ci:
l'entrepreneur est le meilleur ami du pauvre.
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