En fait, les marchés sont pluriels
tandis que l’État se conjugue au singulier. Il y a des marchés pour le
« pinard » et il y a des marchés pour les grands Bordeaux. Et ces marchés
ne sont pas cloisonnés car la même personne peut, selon ses envies et
les circonstances, goûter et apprécier tous ces produits. Il en est de
même dans la musique ou le cinéma où se côtoient les majors et
les labels plus confidentiels.
On invoque alors la puissance
hégémonique américaine. Mais Hollywood est une toute petite ville et
l’annuaire des professionnels du cinéma américain n’est pas plus gros
que l’annuaire des Pyrénées-Orientales. D’ailleurs, au moment où les
frères Lumière en France inventaient l’appareil cinématographique, des
immigrés de l'Europe centrale ont fondé à Hollywood les premiers studios tandis
qu’un inconnu nommé Walt Disney, dans son atelier, photographiait des
dessins pour produire Blanche-Neige, le premier dessin animé long
métrage. Depuis, l’empire Disney a inventé les premiers parcs
d’attraction touristique et a basculé au numérique avec l’achat des
studios Pixar.
On me dit alors que la culture
n’est pas une marchandise. C’est exact et c’est même un truisme! Mais
l’accès à la culture serait le seul fait d’une élite privilégiée sans la
généralisation de ses supports matériels que sont les DVD, les livres ou
le numérique. Or, la production et la distribution des ces supports (les
produits culturels) obéissent à une logique marchande, pour notre plus
grand bénéfice à tous.
Pareillement, grâce aux entreprises japonaises, les guitares électriques
sont désormais accessibles à tous, et notamment aux enfants, tandis que
seuls les guitaristes professionnels peuvent s’offrir le rêve de jouer
sur une Gibson ou une Fender. À ce propos, je vous mets au défi de me
trouver une entreprise française qui fabrique des guitares électriques
(ou tout autre instrument ou matériel de musique d’ailleurs). C’est
pourtant une inépuisable source d’emplois (mais veut-on vraiment
travailler en France, alors que l’on s’échine à asphyxier un à un tous
les gisements d’emplois?).
Cependant, comme toujours, l’État
est très contradictoire à ce sujet. Quand le prix d’une place de concert
est exorbitant, il va dénoncer le marché et la dictature de l’argent qui
exclut les plus pauvres (il prend donc la défense du consommateur). Mais
quand on peut désormais télécharger gratuitement des films ou de la
musique, il va dénoncer cette gratuité qui menace le revenu des artistes
(et prend donc la défense du producteur). Les artistes sont des
travailleurs comme les autres et doivent donc vivre de leur travail
vivant (les concerts, le spectacle vivant) que l’on ne pourra jamais
télécharger, tandis que la diffusion la plus large possible des oeuvres
permet de faire connaitre les artistes.
Dois-je enfin rappeler à notre
ministre de la Culture que la première oeuvre littéraire majeure,
l’Iliade et l’Odyssée, qui met en scène la guerre, l’amour,
des cyclopes et des sirènes, a été écrite pour distraire les gens (les
faire rêver, les effrayer, les faire pleurer) et non pour flatter les
puissants?
Les socialistes sont si aveuglés
par l’idéologie qu’ils refusent de voir la réalité du monde tel qu’il
est, préférant nous imposer leur monde tel qu’ils le rêvent. Mais le
rêve des uns tourne souvent au cauchemar pour les autres.
Dans le régime national-socialiste, l’art officiel avait pour fonction
de flatter le Reich et le Führer tandis que les livres hérétiques
étaient brûlés. Dans le régime socialiste soviétique (encore du
socialisme), l’art officiel avait pour fonction de célébrer la
révolution prolétarienne et l’ardeur au travail au service des objectifs
du plan (stakhanovisme). Dois-je rappeler enfin que la révolution
« culturelle » initiée par Mao a consisté à exécuter les intellectuels
chinois tandis que, dans les salons parisiens, les intellectuels
faisaient l’apologie du maoïsme? En fait, le bilan du socialisme
culturel est aussi affligeant qu’effrayant. Pourtant, les manuels
d’histoire officiels ne l’enseignent guère, préférant fantasmer sur
« l’horreur libérale ».
L’art officiel n’a laissé rien de
beau (tout y était même laid) tout comme la science officielle ou
l’information officielle débouche sur la propagande, le contraire de la
connaissance. Au fil des siècles, seules la foi, la passion et la
liberté furent les plus puissantes sources d’inspiration et de
créativité artistiques et elles ne seront jamais compatibles avec
l’idéologie, le pouvoir et le monopole. Vous l’aurez compris, quand les
socialistes parlent d’économie, ils font bondir l’économiste que je
suis; mais quand ils parlent de culture, ils font hurler le musicien que
je reste.
Il est désormais bien loin le temps
où le Général de Gaulle savait s’entourer du plus brillant économiste
français, Jacques Rueff, et du plus grand ministre de la Culture, André
Malraux, que la France a connu.
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