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Affaire
Depardieu: ce que leur rhétorique dévoile de la véritable
nature de nos hommes politiques* (Version imprimée) |
par
Bertrand
Lemennicier**
Le Québécois Libre, 15 janvier
2013, No 307
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/12/121115-3.html
La décision de Gérard Depardieu de s'exiler d'abord en Belgique,
puis finalement en Russie, ne cesse d'attiser les commentaires.
Bertrand Lemennicier nous livre une critique « à la Rothbard » de tout ce que cette logomachie révèle comme lourds
sous-entendus.
Il est intéressant d'examiner la rhétorique et la symbolique
des discours et invectives que les hommes politiques de gauche, mais
aussi de droite, adressent à ces récalcitrants qui ne veulent plus
payer leurs impôts en France et qui désirent changer de
nationalité. Elles dévoilent la vraie nature de ceux qui nous
gouvernent.
Ci-dessous, trois slogans de nos hommes politiques
sur lesquels nous allons nous attarder:
- Depardieu est un déserteur, ce slogan
est utilisé par Dupont-Aignan, Filippetti, Sapin, Hamon et
consorts. Nombre d'artistes, comme Line Renaud et Sardou, ont
approuvé ce terme qui évoque la tradition des émigrés
aristocratiques de 1792 et celle des collabos de 1940 (dixit
Dupont-Aignan);
- Depardieu est un ingrat, il doit
sa fortune aux subventions de l'État au cinéma français. Cet
argument est souvent utilisé par les socialistes contre tous
ceux qui critiquent l'éducation nationale;
- Depardieu, en s'exilant, crée une externalité
négative au détriment des autres contribuables qui,
eux, restent et devront payer davantage d'impôts. Bien que cet
argument reste implicite dans la dénonciation du manque de
solidarité fiscale dont parlent les hommes politiques, il est
très souvent utilisé.
Les solutions
envisagées sont elles aussi significatives de ce climat, bien que
ceux qui les avancent n'en comprennent pas toujours la portée:
- Taxer les émigrants (sous Nicolas
Sarkozy, et mis en oeuvre en URSS pour les juifs émigrant en
Israël);
- Déchéance de la nationalité (Yann Galut,
député socialiste);
- Taxer les individus en fonction de leur nationalité
et non de leur lieu de résidence, ce qui est la pratique
actuelle en France (Sarkozy et Galut).
Cette rhétorique dévoile le vrai visage de nos hommes
politiques: celui d'esclavagistes qui s'ignorent. Le mot est
fort, mais, c'est ainsi qu'ils se comportent. Ces hommes
politiques agissent comme s'ils étaient propriétaires de nos corps
et de nos vies. Ils ne perçoivent plus, tant leur cerveau est
déstructuré, l'incongruité de ce qu'ils disent, ni les
conséquences de leurs actes qui mènent à la tyrannie la plus pure.
Comme ils ont été élus, cela veut dire aussi qu'une fraction
importante des électeurs approuve les mots qu'ils emploient, ainsi
que leurs actes. Cela signifie que votre voisin risque fort d'être
lui aussi un « esclavagiste ». À quand les погро́м?
Revenons sur ces six points.
Désertion
Le mot est intéressant. En langage militaire, il signifie « quitter
son poste sans autorisation ». En langage ordinaire, cela veut dire
trahir, renier, abandonner. Maintenant, pour employer ce terme il
faut accepter son antonyme: engager pour déserter, épouser pour
renier, conserver pour abandonner. Les contribuables ne sont pas des
militaires, ils n'ont pas à obéir à des ordres. Ce sont les hommes
politiques qui, normalement, ont à obéir aux contribuables. Ils
n'ont pas non plus épousé, avec un contrat de « mariage pour tous »,
tous les Français ou tous les autres contribuables. Ceux qui sont
nés sur le territoire n'ont pas non plus choisi d'être français. On
leur a donné quelque chose qu'ils n'ont pas demandé. Ce qui n'est
pas le cas des immigrés, qui ont obtenu la nationalité française.
L'utilisation du mot est donc un contresens. En revanche,
elle révèle les conceptions philosophiques et morales implicites de
ceux qui emploient ce mot: les contribuables sont des esclaves
ou des animaux dont l'État serait propriétaire.
Un droit de propriété sur le corps des Français, c'est le
droit d'en user (conscription ‒ elle n'est toujours pas abolie, mais
suspendue et ramenée à une journée), d'en abuser (réglementer
l'usage de leur vie), de le céder (contre rémunération à un autre
État, ou rachat par l'esclave lui-même de sa propre liberté), de le
détruire (tuer) et d'en tirer des revenus (taxer) comme on peut le
faire de certains animaux. Les mots « sujet » ou « assujetti » (à la
sécurité sociale) expriment bien la même idée. En utilisant ces
termes, ceux qui les emploient révèlent qu'ils sont en fait
partisans de l'exploitation des êtres humains par d'autres êtres
humains au moyen de la violence politique.
Ingratitude
Cet argument est aussi un classique opposé non seulement aux exilés
fiscaux, mais également à ceux qui dénigrent l'État. Il présuppose
que les investissements faits par la collectivité, ou l'État, dans
chaque individu, via l'éducation nationale et tout autre service
public (l'Hôpital Foch, à Suresnes, pour les pontages de Depardieu),
méritent considération de la part de chacun d'entre nous. Si nous
quittons le pays, nous devrions rembourser ces investissements,
comme on le fait pour un divorce vis-à-vis de la femme que l'on
quitte pour une autre.
Cet argument n'est pas recevable. D'abord, les investissements faits
et incorporés dans chacun d'entre nous peuvent être nuisibles et ne
sont pas nécessairement utiles (l'éducation nationale ou la défense
nationale en sont deux exemples flagrants). Ensuite, les individus
n'ont pas le choix: ils sont contraints de les subir. Il n'y a pas
d'exemption de la part d'impôt consacrée à l'éducation si on choisit
une forme d'éducation privée (il en va de même avec la défense
nationale).
Faire appel à l'ingratitude en dit long sur le cerveau de ceux qui
avancent cet argument. Il faudrait démontrer une causalité
entre les revenus de Depardieu et les subventions que l'État verse
au cinéma. Peut-être que les subventions ont conduit à produire des
films qui ont nuit à la réputation de l'acteur et non à sa gloire.
Si on a la prétention de bénéficier d'un droit sur les profits
des bons films, on devrait aussi avoir l'obligation de partager les
pertes!
C'est là aussi un argument esclavagiste puisque cela revient à
revendiquer un droit de propriété sur des investissements incorporés
dans autrui. Ceux qui s'y réfèrent oublient que la réputation
est le résultat d'un choix libre de ceux qui aiment le cinéma, et
plus particulièrement cet acteur (qui a été adulé par la gauche bien-pensante et bobos au début de sa carrière), alors que les
subventions sont le résultat d'une violence politique. Les amateurs
de cinéma peuvent boycotter Depardieu s'ils réprouvent son attitude
en refusant d'aller voir ses films. Ils peuvent également lancer une
campagne d'opinion pour inciter les autres à faire comme eux.
Externalité négative
C'est, implicitement, l'argument de la solidarité. Il est plus
sophistiqué et jette l'opprobre sur des comportements de « cavalier
seuls » ou d'égoïsme. On le résume par la métaphore de l'équipage
d'un voilier dans la tempête. Dès que l'un des membres de l'équipage
se désolidarise, il met en danger les autres. C'est une métaphore
holiste, faite pour les esprits faibles.
Les Français ne sont pas membres d'un équipage et
l'État français n'est pas un bateau dans lequel on serait embarqué,
même malgré nous.
L'argument présuppose que si l'État français disparaissait, ce
serait nécessairement une mauvaise chose. D'une part, il a déjà
disparu au profit d'un nouvel arrangement institutionnel que l'on
nomme l'Europe, l'espace Schengen et l'Euro. Ensuite, que le
gouvernement français disparaisse, ou cesse de fonctionner, ne serait
pas nécessairement en soi un drame. Les Belges se sont passés de
gouvernement pendant plus d'une année et ils sont toujours là.
Les Alsaciens ont vécu de 1870 à 1918 (48 ans) sous juridiction
allemande, ils sont toujours là avec des réglementations héritées
des Allemands qui leurs sont plus favorables que les lois
françaises. Que l'État disparaisse est plutôt un bien et non un mal.
Faut-il rappeler que la Normandie, la Sicile et l'Angleterre ne
formaient qu'un seul État sous Guillaume le Conquérant? Les États
meurent et disparaissent, mais les territoires sous leurs
juridictions et leurs habitants restent. La métaphore du bateau est
vraiment faite pour impressionner les ignorants.
Par ailleurs, le lien entre la hausse des impôts que devraient
supporter les autres contribuables consécutivement à la baisse des
revenus de l'impôt due à l'exil fiscal de certains ne peut être
démontré mécaniquement. C'est la volonté des élus de maintenir les
dépenses publiques et leurs gaspillages au même niveau qui les
contraint à augmenter les impôts sur les contribuables restants.
Si la chute des recettes prive nos élus de ressources
fiscales, ils ne pourront plus distribuer autant de subventions et
acheter légalement nos votes pour se faire réélire. L'exil
fiscal n'est-il pas alors un acte civique? Moins de subventions veut
dire que nos élus devront renoncer à certains services publics et
laisser le secteur privé s'en charger. Mais n'est-ce pas alors un
bienfait que rendent les exilés fiscaux à ceux qui restent?
Au lieu de les vilipender, on devrait les remercier, ils nous
évitent des actions collectives de révolte (fiscale) qui sont
toujours coûteuses à mettre en oeuvre.
Si les subventions comme les impôts étaient utilisés à faire le
bien, le consentement de tous serait acquis facilement en exigeant
simplement un acte volontaire de la part des citoyens par
l'intermédiaire du secteur privé. Or, si les élus usent de la
violence politique pour prélever les impôts et aussi distribuer les
subventions, c'est que sans doute ils n'en sont pas convaincus.
En fait, ils le savent, puisque leur activité consiste à dépouiller
Paul pour habiller Pierre. Si donc la subvention et l'impôt
constituent un viol de droit de propriété individuel, il est
parfaitement constitutionnel de résister à cette oppression (article
II de la Déclaration des droits de l'homme). Que les non-exilés
fiscaux se laissent dévaliser naïvement par le premier élu venu ne
justifie aucunement que les récalcitrants qui s'exilent doivent se
laisser voler eux aussi. Cette « injustice » est imputable
entièrement au voleur, non à celui qui résiste au vol.
Taxer les émigrants
Ceux qui désirent quitter le pays, en ayant déjà acquitté tout le
tribut qu'ils doivent aux prédateurs locaux qui les gouvernent,
devraient, en plus, payer le droit d'acheter leur liberté en passant
la frontière (fiscale). Ceux qui évoquent cette solution,
paradoxalement, ne figurent pas parmi ceux qui proposent de taxer
les immigrants pour les services publics dont ils vont profiter sans
avoir contribué à leur production! Or, il s'agit d'un problème de
nature identique. La taxe sur les émigrants compenserait les
Français de l'intérieur de la perte de services publics engendrée
par la moins-value fiscale dont leur comportement est responsable.
De tels mécanismes existent dans le privé lorsque l'on investit dans
le capital humain d'un étudiant, ou d'un joueur de football.
En général, la nouvelle firme, ou le nouveau club, qui bénéficie des
services de cette personne rachète par un transfert monétaire le
droit de bénéficier de ses services en dédommageant les précédents
employeurs pour leur investissement dans le capital humain de
l'employé.
Il est intéressant de constater que les partisans de la taxation des
très riches qui ont révélé leur talents et qui ont quitté leur pays
pour un autre (les Anglais et les Belges applaudissent à ces
transferts) sont souvent les mêmes qui critiquent les transferts
privés entre clubs de football et les dénoncent comme une forme d'esclavage privé! Mais dans le privé, contrairement à l'État, ces
investissements dans le capital des êtres humains sont purement
contractuels et volontaires.
Déchéance de la nationalité
Avec cet argument, on atteint les sommets de la déstructuration du
cerveau! Non pas parce que, constitutionnellement, en France,
c'est impossible, mais parce que l'introduction d'une telle
proposition frappe au coeur même de l'État et de l'assujettissement
de ses citoyens au pouvoir fiscal.
Pourquoi croyez-vous que l'on ne peut pas perdre sa nationalité?
Pourquoi croyez-vous que le Haut Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (HCR) lutte contre l'apatridie? Le député
socialiste Yann Galut a oublié de réfléchir à ce qu'il disait sous
l'emprise de la passion. En quoi la déchéance de la nationalité
peut-elle effrayer quelqu'un? Elle effraie surtout les hommes de
l'État!
Imaginez un État où 10 millions d'individus demandent la
déchéance nationale et l'obtiennent. Ils deviennent apatrides (des
gens dont aucun État ne reconnaît qu'ils sont leurs citoyens). Ils
n'ont pas de papiers d'identité. Ils vivent entre eux, sans aucune
juridiction autre que celles qui émergent de leurs libres
interactions individuelles. Ils n'ont aucun accès aux services
publics et ne paient pas d'impôts faute d'une résidence recensée
par le pouvoir local (qui a été noyé dans cette population). Ils
vivent et s'enrichissent dans le Massif central et sont tous armés.
Ils achètent les terres adjacentes avec de l'argent liquide et
étendent petit à petit leurs communautés, jusqu'au jour où se
produit une sécession de fait du territoire. Les nationaux qui les
visitent, les journalistes qui font des reportages sur ce trou noir,
découvrent leur richesse insolente! Tout de suite, les nationaux
demandent de bénéficier également de la déchéance de leur nationalité
et rejoignent les apatrides. Par imitation, tous les nationaux
deviennent apatrides. C'est intolérable pour le pouvoir local.
Il va
de soi que le HCR, issu du cartel des États appelé ONU, fait très
attention à ce qu'il n'y ait pas d'apatrides et que la déchéance
nationale ne soit pas généralisable. L'identification nationale est
à l'origine du pouvoir fiscal et réglementaires des États.
Réclamer la déchéance de nationalité pour les plus riches est
dangereux pour le pouvoir de taxation lui-même car les riches ont
les moyens de vivre sans État.
Taxer les individus en fonction de leur nationalité
Là aussi la réflexion des élus est bien faible. Une telle solution
est impossible dans l'Europe des 27 sans l'unanimité de ses membres.
Mais cette proposition recèle en germe une possibilité d'évasion de
la nationalité encore plus forte que la déchéance nationale compte
tenu de ce que, en France, la perception des impôts sur le revenu
est concentrée sur les plus riches.
L'acquisition de la nationalité se fait par le sang ou par le lieu
de naissance. Elle ne se fait pas par consentement. On n'a pas le
choix de sa nationalité. À l'âge de raison, on n'a pas la liberté de
choisir la nationalité que l'on préfère. Les seuls Français par
choix sont les immigrés qui ont voté avec leurs pieds et demandé la
nationalité du pays où ils résident.
Imaginez deux secondes que l'on instaure cette proposition et qu'un
État, peu gourmand en matière d'impôts, propose de vendre son identité
nationale aux plus offrants: le Luxembourg par exemple. Les
contribuables français les plus taxés font leur calcul et achètent
la nationalité luxembourgeoise si cela leur fait économiser revenu
et fortune! On aura un bon million de citoyens en moins et, cette
fois, surtout des cadres.
Il y a au moins un argument qui est justifié: s'exiler n'est
pas résister de l'intérieur. Or les révoltes et les
révolutions fiscales se gagnent par la lutte à l'intérieur du pays,
et par l'expulsion des hommes politiques prédateurs par la
désobéissance fiscale ou par les armes. Il n'est pas interdit
aux chefs d'entreprises (et à leurs syndicats) d'entamer une grève
de la collecte de la TVA, et l'affaire est jouée. En attendant
une nouvelle nuit du 4 août...
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*
Article publié le 7 janvier 2013
sur le site de l'Institut Turgot. **Bertrand
Lemennicier est économiste, professeur émérite à
l'Université Paris Sorbonne et auteur. |