Quinze années de crise, quinze années de progrès |
Parmi les raisons qui m’avaient
poussé à fonder le QL, il y a exactement quinze ans, figurait mon
dégoût devant la vacuité intellectuelle des débats au Québec et
l’absurdité de la couverture médiatique de ce qui s’y passait. Comme je
l’écrivais dans un
éditorial du 14 mars 1998,
[L]a lecture d'un quotidien ou l'écoute d'un journal télévisé se résume
à peu de choses près, jour après jour, à la même sempiternelle recension
des doléances et revendications des uns et des autres (…). Suivre
l'actualité, c'est suivre pas à pas la crise de l'industrie porcine qui
fait face à une chute des prix, celle des urgences bondées dans les
hôpitaux, celle des pêcheurs au chômage, celle des acériculteurs
sinistrés, celle des travailleurs de l'auto qui ne veulent pas de
compétition, celle des nationalistes dont « l'âme collective » fout le
camp, etc.
Les causes profondes de cet état
de crise permanent n’étaient toutefois jamais correctement
diagnostiquées. Les journalistes et commentateurs faisaient preuve d’une
incompréhension fondamentale de la logique économique qui leur aurait
permis de le faire.
Crise de l’État
Un gros État interventionniste
génère des crises de deux façons.
D’abord, tous les secteurs qu’il
contrôle tels que la santé et l’éducation sont constamment en crise. La
planification bureaucratique ne permet pas d’ajuster la production avec
la demande des consommateurs. Les signaux et mécanismes de marché –
prix, profits et pertes, possibilité d’embaucher les employés les plus
productifs et de les rémunérer de manière compétitive, innovation
constante pour ne pas se laisser distancer par la concurrence, etc. –,
qui permettent aux gestionnaires de savoir s’ils répondent adéquatement
à cette demande, sont tout simplement absents.
De leur côté, les
« consommateurs », c’est-à-dire les contribuables forcés de payer pour
ces services publics et à qui on interdit d’en obtenir ailleurs, n’ont
aucune raison de les consommer de façon responsable. Ils n’ont également
aucune façon de manifester leur mécontentement, à l’exception d’un vote
tous les quatre ans qui ne change rien à la situation. L’école des Choix
publics a bien expliqué pourquoi le simple citoyen, qui est confronté à
des difficultés d’organisation quasi insurmontable, n’a pratiquement
aucune chance d’exercer un contrepoids face aux syndicats, corporations
professionnelles, et autres lobbies qui ont l’oreille des gouvernements.
L’interventionnisme étatique
entretient également les crises dans le secteur privé. Tous les secteurs
économiques subissent constamment des hausses ou baisses de prix, des
changements technologiques, une évolution des conditions du marché. Dans
la très grande majorité des cas, ces transformations ne provoquent que
des frictions localisées. Mais il suffit que des pertes d’emplois par
exemple soient concentrées dans un secteur jugé « stratégique » ou une
région électoralement importante pour que le gouvernement intervienne et
retarde ainsi les ajustements nécessaires. La crise devient alors « nationale » et fait les manchettes, alors qu’en réalité elle ne
concerne qu’une fraction minuscule de la population.
Quinze ans plus tard, les
urgences et l’industrie porcine sont encore en crise. Les garderies
publiques, la chanson et le cinéma subventionnés, l’agriculture protégée
et cartellisée, sont en crise. L’éducation supérieure est en crise. Le
gouvernement va d’ailleurs tenir un « sommet » sur le sujet dans les
prochaines semaines avec
les
« partenaires » habituels, selon le modèle corporatiste bien établi au Québec depuis des
décennies, auquel je consacrais mon éditorial du No 1 du QL
le 7 mars 1998.
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« Aujourd’hui, les crises
provoquées par l’État sont encore bien présentes. Mais le
monde a tout de même beaucoup évolué depuis quinze ans,
grâce au dynamisme de l’économie de marché. La diffusion des
idées libertariennes a connu un essor fulgurant à travers le
monde, en bonne partie grâce à Internet. » |
Crises économiques
Une autre crise provoquée par des
interventions étatiques se poursuit depuis quinze ans à une plus grande
échelle, celle de l’économie mondiale.
Plus personne ne s’en souvient
aujourd’hui, mais en 1998, une crise financière importante venait de
frapper plusieurs pays asiatiques, la Russie, le Brésil, et menaçait de
se répandre à la planète toute entière. Le FMI et la Banque mondiale,
deux organisations bureaucratiques aspirant à planifier l’économie de la
planète, tenaient des conclaves avec les grands argentiers des pays
riches pour trouver des moyens de calmer les fluctuations monétaires et
de venir à la rescousse des pays les plus secouées (tout comme ils le
feront, pour des raisons similaires, lors d’une rencontre du G20 cette
fin de semaine à Moscou).
La première fois que
j’ai écrit
sur cette question, en juillet 1998, le président Bill Clinton venait de proposer un New
Deal à l’échelle mondiale pour contrer la crise.
« Just as free nations found a way after the Great Depression to tame
the cycles of boom and bust in domestic economies, we must now find ways
to tame the cycles of boom and bust that today shake the world economy. »
Dans Le Devoir, l’éditorialiste Jean-Robert Sansfaçon proposait
de baisser les taux d’intérêt et de stimuler l’investissement et la
consommation avec des plans de relance. La Réserve fédérale, dirigée par
Alan Greenspan, venait de sauver un important fonds d’investissement de
Wall Street, Long-Term Capital Management, et de réduire les taux
d’intérêt. Le FMI distribuait quant à lui des dizaines de milliards aux
pays touchés par la crise. Plus ça change...
Ces coûteuses interventions ont permis de gagner du temps.
Mais elles n’ont fait que repousser la crise à plus tard, en
empirant les distorsions financière et économiques déjà
présentes, notamment le boom artificiel des « dotcom ».
On connaît la suite. Un krach plus sévère et une récession sont survenus
au début des années 2000. Greenspan a réagi de la même façon en pesant
sur l’accélérateur monétaire et en réduisant les taux d’intérêt. Une
nouvelle frénésie spéculative, centrée cette fois sur l’immobilier, a
pris son envol et a duré quelques années. L’effondrement inévitable est
survenu en 2007-2008. Depuis, les gouvernements cumulent les plans de
relance fiscaux et monétaires. Rien n’y fait. Cinq ans plus tard,
plusieurs économies (Japon, Europe) sont en récession, la stagnation ou
l’incertitude dominent ailleurs, on parle de guerre internationale de
devises, et la quantité gigantesque de « liquidités » créées par les
banques centrales alimentent de nouvelles bulles spéculatives…
Pour comprendre les véritables fondements de ces crises, il faudrait
évidemment remonter plus loin qu’il y a quinze ans: à 1971, quand Nixon
a coupé le dernier lien qui existait entre l’or et le dollar; à 1944,
lors de la mise en place des accords de Bretton-Woods, qui ont redessiné
le système financier mondial selon la vision keynésienne; ou encore plus
loin, durant la Première Guerre mondiale, quand le régime classique
d’étalon-or a été à toutes fins utiles abandonné et que la Fed a été
créée. La seule théorie économique qui met en perspective historique et
qui offre une explication logique de ces crises est celle de l’école
autrichienne.
Des progrès
Lorsque j’ai écrit ces articles
en 1998, je le faisais sur mon premier ordinateur, un ACER acheté
quelques mois plus tôt, doté d’un écran cathodique gigantesque, et que
Gilles et moi avions dénommé Dolly en l’honneur de la première brebis
clonée qui faisaient alors les manchettes. Nous avions une connexion 56k
et le téléphone ne fonctionnait plus quand nous étions branchés. Les
iPad, Blackberry, Facebook, YouTube, Twitter et autres bidules qui font
partie de la vie quotidienne en 2013 n’existaient pas encore. Les écrans
plats étaient très rares et se vendaient une fortune.
Pratiquement personne au Québec
ne savait ce que signifiait le mot « libertarien ». Je ne connaissais
personnellement qu’une poignée de gens partageant ces idées, dont
quelques-uns avaient accepté d’écrire pour le QL.
Aujourd’hui, les crises
provoquées par l’État sont encore bien présentes. Mais le monde a tout
de même beaucoup évolué depuis quinze ans, grâce au dynamisme de
l’économie de marché. La diffusion des idées libertariennes a connu un
essor fulgurant à travers le monde, en bonne partie grâce à Internet. De
plus en plus de gens comprennent pourquoi les crises surviennent et
persistent.
Et nous sommes toujours là.
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
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