Joyeux anniversaire:
Attention, chanter peut vous valoir une amende! |
Je
suis allé au restaurant récemment pour célébrer la fête d'une amie.
Beaucoup de ses proches s'étaient déplacés pour l'occasion. Une fois le
repas terminé, le personnel de l'établissement a fait irruption, gâteau
en main, dans la salle où nous étions réunis en entonnant un Joyeux
anniversaire qui ne ressemblait en rien à ce qu'on a l'habitude
d'entendre. Le fils de mon amie s'est tourné vers moi et m'a demandé:
« C'est quoi ça? » Je lui ai répondu: « Les conséquences des droits
d'auteur! »
Il ne faut effectivement pas se surprendre si les employés des grandes
chaînes de restaurants redoublent de créativité pour inventer des façons
de remplacer le traditionnel Joyeux anniversaire. La chanson ne
fait toujours pas partie du domaine public et n'est pas près d'en faire
partie.
Happy Birthday to You 101
Depuis plus de 100 ans,
Joyeux anniversaire (aussi Bonne fête
à toi) est chantée pour célébrer l'anniversaire de naissance d'une
personne. Initialement écrite en anglais (Happy Birthday to You),
la chanson est la mieux connue dans la langue de Shakespeare, selon le
Livre Guinness des records. Ses paroles ont été traduites dans au
moins 18 langues.
Mais Happy Birthday to You est en fait un dérivé d'une contine
pour enfants. En effet, la mélodie de la chanson provient de Good
Morning to All, composée en 1893 par les soeurs Mildred et Patty
Hill. Les deux femmes sont alors institutrices à l'école Little
Loomhouse de Louisville et elles veulent créer une chanson facile à
retenir que les enfants pourront chanter à leurs professeurs, en
débutant la journée.
Comme les deux femmes sont institutrices, il leur est facile d'utiliser
leur classe pour tester leurs essais. Elles écrivent des chansons le
soir et les soumettent à la classe le lendemain, histoire de voir
lesquelles se chantent le mieux ou sont les plus appréciées des enfants.
Elles apportent des correctifs sur certaines, en laissent tomber
d'autres. En 1893, elles en ont plusieurs à leur actif et publient le
livre de partitions Song Stories for the Kindergarten.
Quelques années plus tard, dans les années 1920, quelqu'un (l'histoire
ne dit pas qui) remplace les paroles Good Morning to You par
Happy Birthday to You ‒ il n'existait alors pas d'airs à chanter
lors de célébrations d'anniversaires. Comme la mélodie de la chanson est
connue par beaucoup d'enfants, elle gagne en popularité en un rien de
temps.
En 1934, Irving Berlin utilise la chanson dans sa revue musicale As
Thousands Cheer. Jessica Hill, soeur cadette de Mildred et Patti,
poursuit le compositeur et fait enregistrer la chanson qui revient ainsi
sous la protection du droit d'auteur ‒ les soeurs n'avaient
manifestement pas cru bon de renouveler leur droit d'auteur, une fois la
période de grâce terminée. Au fil des ans, les droits passent entre les
mains de plusieurs compagnies avant d'être achetés, en 1989, par la
Warner/Chappell Music.
Depuis, l'entreprise maintient que Happy Birthday to You ne peut
pas être chantée publiquement sans avoir à payer une redevance. Cela
comprend l'usage dans un film, à la télévision, à la radio, dans un lieu
public (comme un restaurant), ou dans un groupe où une part
significative de l'audience ne fait pas partie du cercle familial de
ceux qui chantent.
De leur vivant, les soeurs Hill n'ont pas fait beaucoup d'argent avec
les droits sur cette chanson. Aujourd'hui, il peut en coûter jusqu'à 10
000 dollars pour l'utiliser dans un film ou une émission de télé. 10 000
$ pour 6 notes et 5 mots! La filiale de la Warner Music Group recevrait
jusqu'à 2 millions de dollars annuellement en redevances.
Certains, comme Robert Brauneis, professeur à la George Washington
University Law School, prétendent que le droit sur la mélodie est expiré
depuis 1949 et qu'on ne peut réellement attribuer aux soeurs Hill la
composition des paroles. Mais personne n'a jamais tenté de défier la
Warner Music Group.
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«
De leur vivant, les soeurs Hill n'ont pas fait beaucoup d'argent avec
les droits sur cette chanson. Aujourd'hui, il peut en coûter
jusqu'à 10 000 dollars pour l'utiliser dans un film ou une
émission de télé. 10 000 $ pour 6 notes et 5 mots! » |
Copyright 2.0
En 1893, les soeurs s'attendaient à ce que leur partitions musicales
soient protégées durant 28 ans ‒ et un 28 ans additionnel, si elles
avaient renouvelé la protection. Happy Birthday to You va entrer
dans le domaine public en 2030 (si de nouveaux amendements législatifs à
la loi sur le droit d'auteur ne sont pas introduits d'ici là). C'est 137
ans après que Mildred et Patty Hill l'aient composée. Une période durant
laquelle on aura vu naître puis disparaître rien de moins que le disque
de vinyle, la cassette audio et le disque compact.
À l'époque, il fallait faire une demande de droit d'auteur ‒ et
renouveler (ou pas) cette demande après une période de 28 ans ‒ pour
recevoir des redevances. Aujourd'hui, toute oeuvre culturelle créée est
automatiquement protégée pour l'étendue de la vie de son auteur (qu'il
le veuille ou non) + 70 ans ‒ ou
95 ans dans le cas d'une chanson appartenant à une
corporation.
Comme je l'ai déjà écris
dans les pages du
QL, comment expliquer
qu'une idée à l'origine simple et correcte ‒ créer un droit de
« propriété » pour protéger le fruit du travail des auteurs qui le
souhaitent et, à quelques rares occasions, la santé financière de leur
famille ‒ ait pu être modifiée à ce point? Simple: l'histoire du
copyright est une longue succession d'amendements et d'interventions
étatiques.
En 1790, lorsque le Congrès américain décrète la première loi sur les
droits d'auteur, le terme initial est d'une durée de 14 ans et
renouvelable pour une période additionnelle de 14 ans ‒ si l'auteur est
toujours en vie à la fin du terme. Si celui-ci ne le renouvelle pas,
pour quelque raison que ce soit, son oeuvre passe dans le domaine
public.
Jusqu'au début du 20e siècle, seule une petite minorité d'auteurs
renouvellent leur copyright après la période initiale; les autres
permettent à leurs oeuvres de passer dans le domaine public. C'est sans
doute ce qui se produiraient aujourd'hui si les règles du droit d'auteur
n'étaient pas si rigides.
Plusieurs au sein du mouvement libertarien prônent carrément l'abolition
du droit d'auteur. D'autres s'en accommodent facilement. À défaut d'une
abolition pure et simple du copyright, la solution de rechange mise de
l'avant par Lawrence Lessig dans son livre Free Culture, paru en
2004, serait un pas dans la bonne direction.
Selon l'auteur, il faut retourner à ce que les créateurs du copyright
avaient imaginé. Il faut 1) ramener le nombre d'années de protection à
ce qu'il était au début; 2) élargir le concept de fair use; 3)
faire en sorte que les auteurs soient tenus de renouveler leurs droits;
4) bâtir un registre de produits culturels protégées; et 5) se
débarrasser au passage de quelques avocats ‒ le système, tel qu'il est
aujourd'hui, est devenu un véritable un racket d'avocats bien plus
qu'une quelconque protection.
Dans cette optique, Lessig a fondé, quelques années avant la parution de
son livre, Creative Commons (CC), une organisation à but non lucratif
dont l'objectif est de proposer une solution alternative légale aux
personnes souhaitant libérer leurs oeuvres des droits de propriété
intellectuelle standards de leur pays, jugés trop restrictifs.
L'organisation a créé plusieurs licences, connues sous le nom de
licences Creative Commons. Ces licences permettent aux créateurs de
spécifier ce qui est protégé ou pas.
Et justement, pour revenir à notre chanson, Lessig était membre d'un
jury au début de l'année pour
un concours organisé par la radio
américaine WFMU ‒ éditeur du site de musique libre Free Music
Archive. Le concours visait à offrir au monde un nouveau Happy
Birthday to You qui serait cette fois libre de droits.
Plusieurs dizaines de chansons ont été soumises et les grands gagnants sont
Monk Turner et Fascinoma, qui se sont réunis pour composer It's Your
Birthday. La chanson est proposée sous licence Creative Commons by
3.0, qui autorise quiconque à faire toute utilisation qu'il souhaite de
la chanson, y compris commerciale, à condition d'en citer les auteurs.
Qui sait, la chanson des soeurs Hill sera-t-elle remplacée par une autre
après toutes ces années?
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