Cinéma made in Québec (ou l'art de creuser des trous
pour les remplir) |
Téléfilm Canada a annoncé
au début du mois son appui à cinq projets de
longs métrages francophones, soit Autrui de Micheline Lanctôt,
Exit de Carole Laure, Forget Me Not de François Delisle,
La guerre des tuques 3D de Jean-François Pouliot et François Brisson
ainsi que N.O.I.R. d'Yves-Christian Fournier. Le montant total
des subventions accompagnant ces projets est de 3,7 millions de dollars.
Le lendemain, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC)
annonçait le financement de douze projets de longs métrages de fiction,
dix en français et deux en anglais, dont les mêmes cinq films. Le montant total des subventions accompagnant ces douze
projets n'a toutefois pas été dévoilé.
Deux femmes en or
Lanctôt et
Laure sont deux artistes dont les profils se ressemblent. Elles
ont presque le même âge (la première est née en 1947 à Frelighsburg, la
seconde, en 1948 à Shawinigan) et portent plusieurs chapeaux (Lanctôt
est actrice, réalisatrice, scénariste, productrice et monteuse; alors
que Laure est chanteuse, actrice, réalisatrice, scénariste et
productrice) depuis le début des années 1970. Ce sont ce qu'on pourrait
appeler des « monstres sacrées » au Québec.
Le film
Autrui, de Micheline Lanctôt, est l'histoire de Lucie,
une jeune femme introvertie, fragile, sans ambition ni projet, qui mène
une vie discrète et qui est dépassée par les vies effrénées qu'elle
observe autour d'elle. Eloi, lui, est un clochard. Elle l'a vu sur le
point de mourir de froid dans la ruelle en se rendant au travail. Elle a
décidé de le prendre chez elle pour lui permettre de récupérer. Ce sera
d'abord un jour, puis deux. Il y restera quelques mois. La cohabitation
sera douloureuse et les réactions d'Éloi imprévisibles.
Ah les sans-abri... Du
point de vue de ces grands romantiques que sont les artistes, ils seraient des êtres
profonds empreints d'une sagesse que notre course effrénée de tous les
jours nous a fait perdre. Je gage un 10$ que la Lucie de Lanctôt va
comprendre de grandes vérités grâce à Éloi et qu'elle va ressortir
« grandie » de cette histoire.
Le film
Exit,
de Carole Laure, est une histoire qui se déroule dans le milieu
artistique de Montréal. Un groupe de personnages se croisent et se
débattent avec leur présent, leur entourage, leurs émotions et leurs
démons. Les répétitions d'un spectacle à fenêtres multidisciplinaires
les réunissent. Et là, leur créativité s'exprime. La beauté qui émane de
leur art nous rapproche de l'émotion pure.
Oh boy!, un autre film d'auteur mettant en vedette des vedettes désoeuvrées. Ça rappelle les films de Binamé des années 1990 dans
lesquels des personnages se promenaient dans les rues du Plateau
Mont-Royal à la recherche d'un but dans la vie, ou de quelque chose à
faire pour tuer le temps. Ironie du sort, Pascale Bussières (qui tenait
le rôle principal dans Eldorado de Binamé) va jouer dans Exit
de Laure. Pas sûr que ça va attirer bien du monde ça...
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« On nous répète dans les
milieux intello et culturel que les entrées au box office ne
veulent rien dire. Qu'elles ne reflètent en rien la qualité
d'une oeuvre ou son importance dans le paysage culturel d'un
pays ou d'une province. Je veux bien, mais si personne ne consomme une
culture, est-ce que cette culture est vraiment pertinente?! » |
Popularité restreinte
Selon le site
filmsquebec.com, Lanctôt a réussi
à attirer 58 521
personnes en salles pour son film Pour l'amour de Dieu en 2011; 4
227 personnes pour son film Suzie en 2009; et 5 595 personnes
pour son film Le Piège d'Issoudun en 2003. De son côté, Laure a
réussi a attirer 4 495 personnes en salles pour son film La Capture
en 2007; 3 289 personnes pour son film CQ2 (Seek you too) en
2004; et 3 138 personnes pour son film Le fils de Marie en 2003.
Ce qui ressort de ces quelques statistiques, c'est que Lanctôt et Laure
(malgré un soubresaut pour le dernier long métrage de la première)
tournent en gros pour les mêmes 5000 personnes depuis des années. Ces
5000 personnes sont sans doute reliées de près ou de loin aux deux dames
– ou bien elles oeuvrent dans le milieu culturel, ou bien elles font
parties de leurs familles et relations plus ou moins rapprochées. En fait, vous et
moi subventionnons les soirées de cinéma d'un club très restreint de
personnes qui auraient sans doute les moyens de financer ces films.
Comment se fait-il qu'année après année des cinéastes qui sont
manifestement incapables d'attirer les foules reçoivent du financement
pour tourner? Il faut voir le nombre de films québécois sur le site
filmsquebec.com qui n'attirent que quelques centaines de personnes par
année (voire même, quelques dizaines!).
Mais on nous répète dans les milieux intello et culturel que les entrées
au box office ne veulent rien dire. Qu'elles ne reflètent en rien la
qualité d'une oeuvre ou son importance dans le paysage culturel d'un
pays ou d'une province. Je veux bien, mais si personne ne consomme une
culture, est-ce que cette culture est vraiment pertinente?! Tant
qu'à cela, pourquoi ne pas donner des fonds aux artistes pour qu'ils se
contentent d'exister?!
Le financement public de la culture au Québec me fait souvent penser à
un programme de création d'emploi à l'aide duquel on paierait de petits
groupes de personnes pour qu'ils creusent des trous pour ensuite les
remplir. Personne ne porte vraiment attention à eux, mais année après
année, le programme de creusage/remplissage de trous est renouvelé. Et
plein d'artistes font des trucs que personne n'écoute, personne ne
lit, personne ne regarde.
L'avenir du financement
Il est sans doute trop tard pour Lanctôt et Laure, mais les jeunes
cinéastes devraient s'inspirer de leur collègue David La Haye. Le
comédien-réalisateur compte travailler sur
un projet de film qu'il financera à l'aide du réseau de
socio-financement Haricot. « On veut utiliser cette nouvelle dynamique de
financement qu'on connaît avec des sites comme touscoprod.com et
kickstarter.com aux États-Unis, dit-il. On parle d'une crise du
financement au cinéma québécois. À cela, je réponds aux gens de se
donner le film qu'ils veulent voir en participant à un effort
volontaire. »
Bravo! Vous voulez faire de petits films intimistes qui mettent en
vedette des sans-abri ou des artistes paumés du Plateau qui se
questionnent sur le sens de leur vie, rien contre ça. J'irai même les
voir, s'ils m'intéressent. Mais de grâce, ne me demandez pas de les
financer! Faites comme La Haye et autofinancez-vous! Internet vous rend
la tâche super facile avec, notamment, les réseaux de socio-financement.
De plus, c'est une excellente façon de tâter le terrain et de savoir
s'il y a un intérêt pour ce que vous souhaitez faire.
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