Guillaumin et Cie: un patrimoine
français unique à explorer* |
Urbain Gilbert Guillaumin fut le fondateur en
1835 de la librairie d'économie politique Guillaumin et Cie., qui fut la
grande maison d'édition des idées libérales au XIXe siècle en France. Sa
revue mensuelle, Le Journal des Économistes, fut le point de
rencontre des esprits les plus brillants de cette période. Elle est le
symbole d'une période particulièrement prolifique en termes de débats
d'idées.
Gilbert-Urbain Guillaumin est né à Couleuvre, dans
l'Allier, le 14 août 1801. Il arrive à Paris en 1819 où il fait la
connaissance de l'éditeur Brissot-Thivars,
et devient libraire. C'est avec la révolution de 1830 qu'il se rapproche
du mouvement libéral, se lie d'amitié avec les disciples de
Jean-Baptiste Say et décide de lancer sa propre maison d'édition,
spécialisée dans l'économie politique.
Citons ici
Gérard Minart, dans sa précieuse
biographie intellectuelle de Gustave de Molinari: « Le Dictionnaire du commerce et des marchandises, première grande
réalisation du libraire-éditeur Guillaumin, paraît de 1835 à 1839. C'est
le début d'une exceptionnelle, originale et passionnante aventure
intellectuelle. Le meilleur jugement porté sur ce personnage remarquable
l'a été par l'historienne Lucette Le Van-Lemesle: ''Guillaumin, a-t-elle écrit, fait partie de ces inconnus qui font
l'histoire''. Cet inconnu possède trois grandes qualités: le dévouement,
la rigueur, le flair. Dévouement à ses amis libéraux, rigueur dans la
gestion de ses affaires, flair qui lui permet de saisir au bon moment
les attentes de l'opinion et d'y répondre par une grande variété
d'initiatives éditoriales. »
Avec Jérôme-Adolphe Blanqui et Horace Say, le fils
de Jean-Baptiste, Guillaumin publie le premier numéro du Journal des
Économistes le 15 décembre 1841. En même temps, il commence la
Collection des principaux économistes, c'est-à-dire des précurseurs
et des fondateurs de la science économique: Quesnay et les
Physiocrates, Turgot, Adam Smith, Malthus, J.-B. Say, Ricardo.
De 1840 à 1847, il publie quinze volumes. Les
textes étaient accompagnés de notices et de notes rédigées par Gustave
de Molinari et Eugène
Daire. Ensemble, ils remirent en lumière des écrits pleins
d'intérêt pour la science économique et pour l'histoire: la Dîme de
Vauban; le Factum et le Détail de la France de Boisguillebert, les
écrits de la brillante pléiade des Physiocrates, y compris des
traductions des oeuvres de Hugo Grotius, Adam Smith, Jeremy Bentham,
Benjamin Franklin, John Stuart Mill et Charles Darwin.
La librairie Guillaumin et Cie était située au 14
de la rue de Richelieu, non loin de la Seine, au carrefour du musée du
Louvre, du Palais Royal, de la Comédie Française et de la Bibliothèque
Nationale de France. C'est là qu'en 1842, avec Joseph Garnier,
professeur d'économie à l'École des Ponts et Chaussées, l'éditeur crée
la Société d'Économie Politique et invite Frédéric Bastiat à se
joindre à eux. Ensemble, ils débattent des causes qui menacent la
liberté en France: l'étatisme, le protectionnisme, le socialisme, le
militarisme et le colonialisme. Les débats donnaient souvent lieu
ensuite à des publications.
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« Ensemble, Guillaumin et
Bastiat débattent des causes qui menacent la liberté en
France: l'étatisme, le protectionnisme, le socialisme, le
militarisme et le colonialisme. Les débats donnaient souvent
lieu ensuite à des publications. » |
Au sein de ce qu'il faut appeler le « réseau
Guillaumin », on trouve toute sorte de professions:
des hommes d'État, des administrateurs, des
journalistes, des professeurs, des négociants… Tous ne partagent pas les
mêmes opinions politiques mais ils s'accordent sur un ensemble
de vérités communes. À tel point qu'on peut parler d'une véritable école
d'économie politique, l'École de Paris.
Gustave de
Molinari s'exprime ainsi dans un
texte de présentation du Dictionnaire de l'économie politique,
le 15 décembre 1853, dans Le Journal des Économistes, p. 425:
« Ils n'étaient pas d'accord, sans doute, sur tous les points de la
science; mais leurs divergences d'opinion, qui servaient d'ailleurs à
alimenter leurs discussions périodiques, ne pouvaient manquer à la
longue de s'affaiblir, sinon de s'effacer. Des hommes intelligents qui
poursuivent une oeuvre commune et qui se trouvent fréquemment en contact
ne finissent-ils pas toujours par éclaircir mutuellement leurs doutes et
par contracter, presqu'en dépit d'eux-mêmes, l'habitude de penser de la
même manière? En science comme en religion, l'association des efforts
n'est-elle pas souverainement efficace pour amener l'unité dans les
doctrines? C'est ainsi que l'économie politique a fini par posséder en
France une école dont tous les membres s'accordent sur les points
fondamentaux de la science, et qui présentent à leurs adversaires,
protectionnistes ou communistes, un bataillon peu nombreux, mais uni,
serré, compacte. »
En 1852, Guillaumin compile et publie le
Dictionnaire de l'économie politique, coédité avec Charles Coquelin.
Ce livre en deux volumes comptait plus de deux mille pages, sur deux
colonnes. Il contenait nombre d'articles écrits par Frédéric Bastiat
dont les idées imprégnaient l'ensemble du Dictionnaire. En 1866, le
catalogue général de la librairie recensait déjà 166 titres de livres
distincts, sans compter les revues et autres périodiques: l'Annuaire de l'économie politique
et de la statistique, la Collection des économistes et publicistes
contemporains, la Bibliothèque des sciences morales et politiques, ainsi
que le nouveau Dictionnaire universel du commerce et de la navigation.
Victime d'une crise cardiaque en pleine rue,
Guillaumin est mort à 63 ans, le 15 décembre
1864, soit deux ans après la publication des oeuvres complètes de
Frédéric Bastiat. Il avait été le premier à découvrir et encourager cet
auteur au talent unique. L'entreprise Guillaumin et Cie fut reprise par
ses filles qui continuèrent brillamment l'oeuvre de leur père jusqu'à sa
fusion avec la librairie Felix Alcan en 1910. Après Joseph Garnier et
Henri Baudrillart, Gustave de
Molinari fut le rédacteur en chef du
Journal des Économistes de 1881 à 1909 et Yves Guyot de 1910 à 1913.
La revue cessera de paraître avec la guerre en mars-avril 1940.
Grâce au dynamisme et à la vision de Guillaumin,
nous sommes aujourd'hui les détenteurs d'un précieux patrimoine
intellectuel qui peut nourrir les débats actuels, qu'il s'agisse de
questions économiques, politiques, juridiques ou philosophiques.
*Texte d'opinion publié le 6 juin 2013
sur 24hGold.
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