Lac-Mégantic: notes sur un accident de train |
L'accident de train ayant fait près de
50 victimes à Lac-Mégantic le 6 juillet dernier a soulevé plusieurs
questions. Pour ma part, je me suis attardé sur trois points: les
freins, l'épaisseur des citernes et l'aspect économique de la sécurité
des trains. Voici ce que j'en retiens.
Les freins
Il y a trois types de freins différents sur les
trains aujourd'hui. Le premier type est un frein rhéostatique, qui
utilise les moteurs électriques de propulsion comme génératrice et qui
envoie l'énergie du mouvement (sous forme d'électricité) dans des
radiateurs situés sur le toit de la locomotive. Ce système est le
premier utilisé pour ralentir le train. Quand la vitesse a diminué
suffisamment, un système de freinage à air prend le relais pour
immobiliser le convoi. Enfin, un système de frein à main est aussi
disponible pour achever d'immobiliser les wagons lorsque le train doit
demeurer stationnaire quelques temps.
Or, le bon fonctionnement de celui-ci repose sur un certain nombre de
variables, qui peuvent toutes affecter l'efficacité du freinage.
Premièrement, le bon ajustement du frein, son graissage et son
entretien sont essentiels. Ensuite, il faut savoir que les coefficients
de friction à partir desquels le frein est calculé a une certaine
variabilité, ce qui affecte dans les mêmes proportions la capacité de
freinage. Enfin, la force avec laquelle un individu donné serre
effectivement un frein peut varier considérablement d'une fois à l'autre
(des expériences menées en ce sens démontrent un rapport de 3 entre les
plus grandes et les plus petites forces appliquées, pour un couple de
serrage donné). Seul un appareil de type « clé dynamométrique » peut
donner une valeur assez exacte (1% près) dans tous les cas, mais pas le
bras humain. Le freinage est donc un problème essentiellement
statistique.
Comme d'autres facteurs tels la météo peuvent jouer un rôle, le nombre
exact de freins à appliquer est laissé à l'appréciation du conducteur
‒ au-delà du minimum requis par les tables fournies par la
compagnie. Ces tables donnent un nombre minimal de freins à
appliquer selon le poids du convoi et l'inclinaison de la pente, d'où
l'application de 15 freins lors de l'accident de Lac-Mégantic (le calcul
est direct, une fois que vous assumez une force de freinage donnée sur
chaque frein et que vous connaissez la force avec laquelle le train est
tiré par son poids vers le bas de la pente, il suffit de faire une simple
division).
Notons par contre que la compagnie américaine BNSF (Burlington Northern
Sante Fe, propriété du milliardaire Warren Buffett), elle, aurait
recommandé le double, ce qui effectivement réduit le risque mais ne
l'annule pas totalement ‒ à cause de l'aspect statistique mentionné
plus haut. Les compagnies comme les organismes de règlementation ne
semblent pas vraiment savoir quoi faire pour éliminer ce flou
artistique... Enfin, mentionnons que le Bureau de la sécurité des
transports du Canada considère, sans expliquer pourquoi, que le test
classique consistant à serrer les freins à main puis à essayer de tirer
le convoi avec la locomotive n'est pas vraiment fiable (voir
les
conclusions du rapport).
Donc, après avoir coupé le moteur de la locomotive après l'incendie
à Nantes, les
freins à air se sont progressivement vidés ‒ ce n'est pas parfaitement
étanche ‒ et le train s'est mis en branle quelques minutes avant 1
heure du matin, parce que l'une ou l'autre des variables précédentes a
joué contre le train.
Le wagon DOT-111
L'ancien modèle de réservoir ‒ qui est celui
impliqué dans l'accident de Lac-Mégantic ‒ avait une coque d'une
épaisseur de 7/16 de pouce (11.1mm) alors que le nouveau a une épaisseur
de 1/2 pouce (12.7mm), en plus d'avoir un écran aux extrémités. Ce
nouveau modèle protège aussi mieux ses raccords et valves. Cela paraît
bien, mais est-ce que cela change réellement quelque chose dans les
faits? Certes, cela augmente la résistance au percement de 30%, mais
compte tenu des forces et de l'énergie en cause dans un déraillement, il
est permis d'en douter.
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« Il n'est pas du tout clair
ici que l'état de désuétude (même réel) du réseau de la
Montreal, Maine & Atlantic (MMA) ait joué un rôle quelconque
dans l'accident. Ni, comme on l'a été affirmé plusieurs
fois, la privatisation des réseaux, la vente des actifs
moins ou pas du tout rentables à des réseaux locaux plus
souples en matière de fonctionnement ou même la
dérèglementation réelle ou supposée des activités
ferroviaires. » |
L'ancien modèle peut survivre, plein, à condition d'être seul par
exemple à un percement à l'extrémité par une poutre (comme le bout de
rail qui est entré dans un wagon lors de l'accident de
Lac-Mégantic) à une vitesse de l'ordre de 1,5 km/h. Le nouveau wagon,
avec un écran d'un pouce (c'est l'épaisseur que j'ai assumée, n'ayant
pas trouvé de plans m'indiquant l'épaisseur réelle dudit écran), pourra
difficilement y parvenir si la vitesse dépasse les 3km/h. Accrocher les
valves ou autres avec un objet fixe lors d'un déraillement mènera au
même phénomène, tout dépendant comment elles sont protégées (cas de l'accident où
un butoir est entré dans le wagon et de l'accident
où un attelage est entré dans le réservoir). Pour atteindre des vitesses
de cet ordre, il faut moins d'une minute, ce qui est très peu. S'il y a
plus d'une citerne, la marge est encore plus faible.
La résistance d'un wagon lors d'un déraillement est largement une
affaire de circonstances. En effet, d'un côté, plus la vitesse est
élevée plus les forces impliquées le sont aussi (c'est une fonction du
carré de la vitesse). De l'autre côté, plus vous répartissez cette force
sur une large surface, plus vous réduisez le niveau de contraintes
subies par votre citerne et plus vous réduisez votre risque de la voir
se déchirer (évidemment, une épaisseur de plus y contribue). Mais comme
avec le percement simple, si votre vitesse est assez élevée, si votre
wagon tombe sur un gros caillou ou en bas d'un talus de disons plus
de quelques mètres, vous vous retrouverez fort probablement avec une
fuite. C'est un problème extrêmement complexe, parce qu'il implique de
tenir compte de beaucoup de variables.
Certes, à circonstances données, cette augmentation d'épaisseur donne
une marge supplémentaire de par exemple 15% sur la vitesse, mais si le
wagon ne tombe pas correctement sur une surface plane, cela ne servira
pas à grand-chose. Ce genre de mesure apparaît donc assez limité en
matière d'efficacité, voire même plus cosmétique qu'autre chose compte
tenu des différentes variables pouvant jouer en faveur ou contre le
maintient de l'intégrité de la citerne. De toutes façons, un autre
problème survient lorsque l'on dépasse les 65 km/h environ. Il s'agit de
ce que l'on appelle le coup de bélier (« Hammer », en anglais). Entraîné
par son inertie, le liquide dans la citerne va se fracasser contre la
paroi avant de la citerne, défonçant celle-ci. Comme l'accident est
survenu à une vitesse de 90 km/h environ ‒ c'est ce que me donne un
calcul sur l'énergie du système ‒, il n'y a aucune citerne au monde qui
aurait pu résister à l'impact. Il n'y avait pas d'urgence à changer
les wagons pour des plus récents avant l'accident, il n'y en a toujours
pas maintenant, quoi que puisse dire Greenpeace par exemple.
Aspects économiques de la sécurité
Un monde aux ressources limitées comme le nôtre
doit forcément faire des choix. Certes, après une catastrophe aussi
spectaculaire, des voix s'élèvent pour augmenter la sécurité des trains
de marchandises. Or, dépenser trop d'argent pour corriger ce problème ne
corrigera rien du tout, parce que les ressources mises ici pour sauver
des vies ne seront pas
mises ailleurs d'une manière peut-être plus efficace.
Comme on suppose que le gouvernement du Québec se sentira obligé
de dépenser
pour augmenter la sécurité des voies ferrées, on peut se demander: combien
de gens seront sacrifiés silencieusement, par exemple, sur les listes
d'attente des hôpitaux pour éviter un autre désastre aussi
spectaculaire? Les nouveaux règlements qui seront édictés coûteront
aussi très chers aux entreprises, ce qui réduira à terme leurs
possibilités de croissance, et donc d'augmenter l'embauche. Or, les
groupes de gauche se font un devoir de nous rappeler à l'occasion que la
pauvreté réduit l'espérance de vie. Combien de milliers d'années de vie
ces règlements enlèveront-ils à une partie de la population pour
augmenter ailleurs de quelques centaines d'années celle d'autres
individus?
Il n'est pas du tout clair ici que l'état de désuétude (même
réel) du réseau de la Montreal, Maine & Atlantic (MMA) ait joué un rôle quelconque dans l'accident.
Ni, comme on l'a été affirmé plusieurs fois, la privatisation des
réseaux, la vente des actifs moins ou pas du tout rentables à des
réseaux locaux plus souples en matière de fonctionnement ou même la
dérèglementation réelle ou supposée des activités ferroviaires.
L'accident est dû à un problème de freins dont on ne peut jamais
vraiment être sûrs qu'ils sont bien appliqués, même si toute la chaîne
d'opérations agit selon les règles. Ici donc, en plus de n'analyser
qu'une partie du problème de sécurité, on ne se concentre même pas sur
le bon problème.
MMA, en 10 ans d'existence, ne semble pas avoir été
en mesure de générer suffisamment de revenus pour assurer à son réseau
un entretien adéquat, soit. Mais sa direction était consciente du
problème et a quand même donné des directives à ses opérateurs afin
qu'ils réduisent
la vitesse dans les sections les plus dangereuses de son réseau quelques
jours avant l'accident. Le soir du drame, l'opérateur a fait mieux que
ce qui était demandé, soit appliquer et 15 freins et le frein à air de
la locomotive, alors que la règle ne demandait que l'un ou l'autre
jusque-là (en effet, en date du 13 août 2013, le tableau à
la fin du
rapport R11Q0056 a été modifié pour pratiquement tripler
le nombre de freins nécessaires lors d'un stationnement sur
une pente).
Ce drame n'avait qu'une assez faible chance d'arriver, mais je ne suis
pas sûr que de réfléchir comme on le fait présentement va contribuer à
réduire l'ensemble des risques au minimum, que ce soit sur les trains ou
au niveau de tous ceux qui en dépendent plus ou moins...
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auteur |
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réchauffement climatique
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avril 2007)
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
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