Tragédie de Lac-Mégantic: le rôle de la réglementation |
En tant que natif de Lac-Mégantic passionné par les enjeux
énergétiques, je suis à la fois bouleversé et fasciné par les
événements du 6 juillet. Mes premières pensées sont évidemment pour
les proches des victimes. Plusieurs n’étaient qu’au début de leur vie
adulte.
Lors de tels moments tragiques, il n’est pas bien vu de s’opposer au
refrain dominant: La sécurité à tout prix; Ah! si seulement on avait
resserré la réglementation x y z; C’est la faute du « Grand Capital »
qui a obtenu la privatisation des chemins de fer pour son profit, etc.
Pas besoin de citations puisqu’on en a parlé dans tous les médias. Une
fois les esprits reposés, on assistera sans doute à un vif débat entre
ceux qui réclament toujours davantage de réglementation, peu importe sa
qualité, parce qu’ils ne comprennent pas que cela engendre des coûts (y
compris pour eux-mêmes), et ceux qui ne voudront pas trop resserrer la
réglementation parce qu’ils en comprennent les coûts mais n’en subissent
pas les risques. Or, il ne vaut pas la peine d’entrer dans ce débat
puisqu’il est totalement futile! Voici pourquoi.
Dans une économie de marché, la sécurité est le rôle naturel, si on peut
s’exprimer ainsi, des assureurs. Ceux-ci décident librement s’ils
préfèrent payer des inspecteurs ou payer des réclamations. Si un
assureur choisissait d’embaucher trop d’inspecteurs, il finirait par se
ruiner et ferait faillite. S’il choisissait d’embaucher des inspecteurs
trop pointilleux, il ferait fuir les clients et ferait faillite aussi. À
l’inverse, s’il choisissait d’être trop laxiste ou de ne pas embaucher
assez d’inspecteurs, il croulerait sous les réclamations et ferait
rapidement faillite. Les seuls assureurs qui prospèrent sont ceux qui
embauchent juste assez d’inspecteurs, qui s’attardent seulement sur les
aspects pertinents de la sécurité, et qui sont juste assez pointilleux.
Prenons l’exemple des incendies causés par des feux de cheminée. Ce
phénomène est pratiquement disparu parce que les assureurs ont compris
depuis longtemps qu’il valait mieux exiger la mise aux normes des
systèmes de chauffage, quitte à frustrer quelques clients, plutôt que de
payer des réclamations. Peu importe que les normes soient d’origine
étatique: nous savons tous qu’il existe de nombreux
organismes non gouvernementaux capables de produire des normes de
qualité.
En l’absence de réglementation étatique, les pratiques dangereuses
tendent à disparaître car leur abandon génère des économies par
l’entremise d’une réduction des primes d’assurance. Le nombre
d’accidents s’approche alors de son
optimum économique: c’est-à-dire lorsque chaque individu serait
autant malheureux qu’on l’appauvrisse pour le surprotéger (trop de
précautions), qu’il serait malheureux qu’on lui fasse subir des risques
pour son propre bénéfice (trop d’accidents).
En mathématiques, on ne peut jamais améliorer un optimum en ajoutant des
contraintes aux variables de décision. De la même façon, les
contraintes que la réglementation ajoute aux décisions individuelles les
dévient de l’optimum: elles appauvrissent sans protéger et elles font
subir des risques sans bénéfice. La réglementation appauvrit lorsque,
pour rassurer l’électeur de l’irréprochabilité de son maternage par
l’État, elle impose des rituels inutiles qui ralentissent le travail,
comme la pose d’attaches redondantes sur des voitures de foin roulant à
basse vitesse. Elle fait subir des risques lorsqu’elle réduit les
efforts concrets de prévention requis de la part de certains groupes
politiquement bien organisés, en espérant que si jamais un accident
grave survenait, le blâme pourrait être jeté ailleurs. Plus
généralement, la réglementation remplace le calcul économique par le
calcul politique, avec des conséquences néfastes prévisibles par la
théorie des choix publics.
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« Il est raisonnable de croire
que la réglementation de la sécurité ferroviaire au Canada a
augmenté, plutôt que diminué, la probabilité que survienne
la tragédie de Lac-Mégantic. En effet, cette réglementation
crée l’illusion que toutes les compagnies ferroviaires
s’équivalent, en termes de risque pour les assureurs, tant
qu’elles respectent une série de règles. » |
Réglementer la sécurité est particulièrement dangereux lorsque de
facto l’inspection devient un monopole d’État. Cela fait perdre aux
assureurs leur capacité d’observer la dangerosité des pratiques et
d’ajuster les primes d’assurance en conséquence. Pour un industriel,
investir dans la sécurité devient moins rentable qu’investir dans le
lobbyisme pour faire assouplir la réglementation. Les pratiques
dangereuses sont alors libres d’augmenter tant que les accidents ne
deviennent pas un enjeu électoral majeur. Pendant ce temps, on fauche
des vies.
Par exemple, les assureurs privés ne s’occupent pas du tout de sûreté
nucléaire car les centrales nucléaires ont droit à une limite de
responsabilité (75 millions $ au Canada), en échange d’une
réglementation d’apparence tatillonne mais dont on ne peut
comparer l’efficacité, faute de concurrence. On ne se surprendra donc
pas que les centrales nucléaires soient dotées de nombreux dispositifs
redondants capables d’éviter les accidents de 75 millions $ autant que
possible, mais de bien peu de moyens d’empêcher un accident de 75
millions $ de se développer en catastrophe de 75 milliards $.
Bien qu’évidemment personne ne souhaite une catastrophe nucléaire, le
contexte réglementaire rend tout de même difficile de justifier, par
exemple, l’achat d’un équipement de dernier recours qui permettrait
hypothétiquement de réduire la contamination lors d’un accident grave.
Un tel achat ne serait pas logique puisqu’il n’existe pas de prime
d’assurance qui pourrait diminuer en contrepartie. On se retrouve ainsi
avec
Fukushima, où il n’existait aucune procédure en cas de panne totale
d’électricité puisque le scénario était jugé impensable tant
par le propriétaire que par les autorités réglementaires japonaises.
(Était-ce politiquement rentable d’y penser, ce qui aurait inquiété tout
le monde?)
Un assureur privé, qui engage sa propre responsabilité, n’a pas l’option
de jouer à l’autruche s’il souhaite faire des profits encore longtemps.
Personne ne confierait son épargne à un assureur qui prend des risques
avec la sûreté nucléaire, de peur de tout perdre au premier accident.
Ainsi, même si une série catastrophique de défaillances était inévitable
à Fukushima, un contexte réglementaire différent aurait quand même pu
permettre de diminuer la gravité de la contamination.
Il est raisonnable de croire que la réglementation de la sécurité
ferroviaire au Canada a augmenté, plutôt que diminué, la probabilité que
survienne la tragédie de Lac-Mégantic. En effet, cette réglementation
crée l’illusion que toutes les compagnies ferroviaires s’équivalent, en
termes de risque pour les assureurs, tant qu’elles respectent une série
de règles plus ou moins permissives concoctées par l’industrie et
approuvées par Transports Canada. Cette illusion incite très fortement
les assureurs à ne pas exercer de surveillance et à ne pas effectuer
d’inspections qui dédoubleraient celles de Transports Canada. Si cette
réglementation avait plutôt été absente, les assureurs de la compagnie
ferroviaire fautive (la Maine & Atlantic Railway) se seraient
nécessairement intéressés aux pratiques de la compagnie, ne serait-ce
que pour évaluer correctement la prime à facturer. Soucieux de leurs
profits, ils auraient pu identifier la pertinence de revoir les
pratiques de la compagnie lorsque des trains de matières dangereuses
sont immobilisés la nuit, et exiger de simples changements sous peine
d’une augmentation de la prime d’assurance.
En conclusion, la réglementation a joué un rôle prépondérant dans la
tragédie de Lac-Mégantic tout simplement parce qu’elle est superflue.
Cela ne veut pas dire que les fonctionnaires et les inspecteurs de
Transports Canada sont des gens mal intentionnés ou incompétents. Cela
veut seulement dire que si ces mêmes gens étaient plutôt les employés
d’assureurs qui se font libre concurrence, alors leur travail serait
probablement mieux organisé, et il y a de bonnes chances que
nous serions tous davantage en sécurité.
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In Time: une réalité économique alternative cohérente
(no
299 – 15 avril 2012)
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de
marché et de la coopération volontaire depuis 1998.
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