Pour un capitalisme de l'entraide |
Les problèmes sociaux soulèvent une des résistances les plus fortes à
l'argumentation libertarienne. La supposition quasi consensuelle de ceux
qui s'intéressent à ces questions, c'est que la « logique du marché » ne
s'applique pas à la misère humaine et que laisser les gens libre d'agir
comme bon leur semble pour l'alléger aboutirait à l'aggraver. Les
libertariens peuvent partager cette croyance et en conclure que c'est le
prix à payer pour être libre, mettre l'accent sur la responsabilité de
l'État dans l'apparition de ces problèmes ou valoriser la charité. Le
texte qui suit explore une autre stratégie: traiter l'entraide comme
un marché à but lucratif et lui appliquer la même logique que n'importe
quel autre marché.
Un argument contre l'initiative privée dans l'entraide pose ceci: les
plus démunis ne peuvent offrir une valeur d'échange suffisante pour
motiver les gens à les aider. Ils n'ont pas assez d'argent pour payer un
salaire et des profits aux organisations qui s'occupent d'eux. En ce
sens, toutes démarches à leur endroit est inévitablement perdante sur le
plan monétaire et il n'y a donc que le gouvernement ou des organismes à
but non lucratif qui peuvent financer une telle entreprise à perte.
Nous pouvons douter de ce raisonnement. Le capitalisme se développe
notamment en trouvant des moyens innovateurs de rentabiliser ce qui
semblait ne pas pouvoir l'être au départ. La valeur d'échange que le
démuni peut fournir n'est qu'une variable parmi d'autres pour financer
une entreprise leur venant en aide. La volonté d'aider, ainsi que le
bénéfice en termes de réputation qu'il y a à le faire, peuvent être
commercialisés comme n'importe quel autre service. Les clients d'une
entreprise de relation d'aide ne sont pas seulement l'aidé, mais aussi
les aidants et ceux qui veulent redorer leur image. Nous pouvons
imaginer qu'un entrepreneur créatif trouve un moyen efficace de financer
des programmes d'entraide en exploitant au maximum ces multiples
demandes au point même de pouvoir offrir des profits à des
investisseurs. A priori, rien ne l'empêche.
Un obstacle à prévoir est celui des préjugés culturels. Les gens
percevraient comme étant scandaleux de faire des profits avec la
générosité des gens. Pourtant, l'entraide actuelle n'est pas
désintéressée et profite à des gens. Premièrement, l'État et ses
fonctionnaires se servent des programmes d'aide aux démunis pour se
vendre et s'étendre. Cet argument de vente est puissant au point
d'amener une grande quantité de gens à concevoir leurs impôts comme
étant un acte volontaire. Or, ce que l'État gagne ainsi en prestige, de
grandes entreprises pourraient trouver intérêt à le récupérer si l'État
délaissait ce marché. Nous pouvons imaginer qu'une concurrence
s'installerait entre ces entreprises d'entraide. Deuxièmement, les
intervenants sociaux et les administrateurs de programmes ne reçoivent
pas de dividendes mais gagnent un salaire en échange de leur service.
Ils vendent, littéralement, leur entraide. En ce sens, l'entraide est,
de facto, à but intéressée. Accepter que les entreprises de
relation d'aide deviennent des organismes à but lucratif générant des
profits ne reviendrait, en ce sens, qu'à reconnaître la réalité.
Une fois ce pas franchi, la prochaine question à se poser est:
qu'arriverait-il si nous déréglementions et privatisions ce marché? Pour
répondre à cette question, prenons un cas extrêmement sensible: les
enfants abusés et négligés. C'est le cas limite où la compassion est
probablement la plus universelle que nous pouvons imaginer.
Actuellement, diverses organisations leur viennent en aide, mais c'est
principalement, au Québec, la Direction de la protection de la jeunesse
(DPJ) qui mobilise la plus grande part de ressources dans cette
direction. Elle envoie des travailleurs sociaux et des éducateurs
accompagner et encadrer les parents. Elle héberge des enfants et des
éducateurs spécialisés tentent de les éduquer en leur offrant un cadre
qui se veut sécurisant, aidant et chaleureux. Des juges ordonnent dans
bien des cas le placement.
Comme pour n'importe quel monopole d'État, les gens ont de la difficulté
à concevoir que ce genre de système puisse exister et exister mieux sans
lui, car ils ne connaissent pas les solutions de rechange. Si la DPJ
était privatisée, il n'y aurait plus de limite pour les abuseurs
d'enfants.
Supposons que nous sommes dans cette société horrible, sans service
étatisé pour s'occuper des enfants abusés ou négligés. Un entrepreneur
flairant une bonne affaire se dit qu'il y a une forte demande pour aider
ces enfants et qu'il existe des moyens d'y répondre et de se financer.
Il soupçonne qu'avec un peu de publicité et une équipe bien rodée de
solliciteurs, il sera capable d'aller chercher des sommes considérables
pour financer son projet. Il pense pouvoir vendre également des logos à
des compagnies de vêtements, de voitures, de bijoux et de tout ce qui
s'affiche en public attestant l'ampleur du don effectué par les
personnes qui les achètent, question de commercialiser ainsi le désir
des gens d'afficher une image de générosité. Il s'imagine également
vendre des listes de donateurs à d'autres entreprises d'aide. Il ajoute
à son calcul que les parents de ces enfants pourront également
être mis à contribution, soit par ordonnance d'un tribunal, soit parce
qu'ils seront heureux d'obtenir de l'aide. Il prévoit se verser un
profit substantiel dans l'opération et ne s'en cache pas, croyant qu'il
le mériterait.
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« Le capitalisme se développe
notamment en trouvant des moyens innovateurs de rentabiliser
ce qui semblait ne pas pouvoir l'être au départ. La valeur
d'échange que le démuni peut fournir n'est qu'une variable
parmi d'autres pour financer une entreprise leur venant en
aide. » |
Il a l'idée, mais il n'a pas les moyens. Il va donc voir des
investisseurs et les convainc de la viabilité de son projet en leur
promettant, en échange de ce financement, un pourcentage significatif des
profits et en leur vendant des actions. Notre entrepreneur met sur pied
son projet. Il prend en charge des centaines, puis des milliers
d'enfants envoyés volontairement ou par ordonnance du tribunal. Il
affiche des résultats encourageant dans ses publicités. Il gagne une
réputation auprès du public. Les dons abondent, la vente des logos et le
prix de la liste de donateurs augmentent. Les profits s'avèrent
considérables et les investisseurs sont satisfaits. Notre entrepreneur
est désormais millionnaire.
Est-ce que ce scénario est vraisemblable? Le contexte culturel et
institutionnel actuel ne le permet pas. Le profit est mal perçu et les
gens font davantage confiance à l'État qu'à des initiatives privés pour
s'occuper de notre générosité. Que se passerait-il si ces deux variables
changeaient, si le profit devenait moralement normalisé et si la
méfiance envers le pouvoir de nos fonctionnaires était généralisée? La
compassion et le désir de bien paraître sont des sentiments qui
préexistent à l'État. L'État oriente ces sentiments vers lui, mais si
nous le tassions, d'autres gens trouveraient des moyens de les orienter
à leur avantage en reconnaissant la présence d'un tel marché. À cet
égard, notre approche socialiste des problèmes sociaux fonctionnent
comme un écran de fumée nous empêchant d'en percevoir l'existence.
Les raisons qui nous amènent à penser que la concurrence économique est
préférable à la planification gouvernementale dans le marché des
chaussures, des loisirs ou des voitures sont tout autant de raisons de
penser qu'elle le serait également dans le marché de l'aide aux enfants
abusés ou négligés.
On constate aujourd'hui de multiples inefficacités dans le
fonctionnement de la DPJ et des Centres jeunesse. La plupart des enfants
qui sont pris en charge par ces services vivent des problèmes
d'itinérance, de toxicomanie, de criminalité et de prostitution à leur
sortie à 18 ans. Les enfants sont programmés du matin au soir. Ils ont
une heure pour prendre leur douche, manger, faire du sport, être seul
dans leur chambre. Les activités sont obligatoires et animés par les
éducateurs. Des experts psychiatres ou psychologues étiquettent les
enfants de noms de maladie mentale et les médicamentent. Il s'agit de
l'univers qui ressemble le plus à une société totalitaire dans nos
sociétés démocratiques. Quiconque travaille dans ce milieu est menacé de
burnout. Il doit constamment s'opposer à la résistance des enfants
contre ce cadre et il tendra à rationaliser son rôle comme une nécessité
pratique. Il est entouré de soi-disant experts qui le réconfortent en ce
sens. S'agit-il du meilleur modèle pour venir en aide aux enfants abusés
et négligés? Je ne crois pas.
Revenons à notre entrepreneur et à notre entreprise privée et profitable
d'aide aux enfants abusés et négligés. Appelons cette entreprise
« Enfants sacrés ». Supposons qu'Enfants sacrés fonctionne de façon
comparable à nos Centres jeunesse actuels. Un cadre de l'organisation,
après de multiples burnouts, en est venu à penser à un autre
modèle de gestion. Selon lui, moins de règles, moins d'animation, moins
de programme, plus de liberté pour les enfants, de meilleurs sélection,
formation et encadrement du personnel, une philosophie centrée davantage
sur l'implication émotionnelle des intervenants que sur la neutralité
d'experts et l'implication de bénévoles, tout cela offrira de bien
meilleurs résultats, attirera davantage les employés compétents et
rendra plus heureux les parents et les enfants tout en se vendant mieux
aux donateurs. Il soupçonne que s'il peut publiciser toutes les lacunes
d'Enfants sacrés, défendre son modèle et démontrer qu'il sera capable de
battre Enfants sacrés au jeu de la concurrence et d'aller lui chercher
une bonne part de ses donateurs.
Il va convaincre des investisseurs de financer son projet. Voyant
comment la marge de profits d'Enfants sacrés est élevée, nombreux sont
ceux qui se montrent disposé à prendre le risque. Le profit joue ici son
rôle d'informateur. C'est ainsi qu'est mis sur pied « Enfants libres ».
Les résultats sont convaincants. À la sortie, les taux d'itinérance, de
toxicomanie, de criminalité et de prostitution ont diminué grandement.
Il y a également davantage d'enfants qui sont réintégrés dans leur
milieu familial. Enfants libres fait confirmer ces statistiques par une
firme indépendante et les publicise. Elle déloge Enfants sacrés et lui
saisit sa part de marché. Les actions d'Enfants sacrés perdent en valeur
et les actions d'Enfants libres montent en flèche, attirant ainsi de
nouveaux investisseurs, permettant une croissance du nombre de
succursales venant en aide aux enfants abusés et négligés. Les enfants,
les parents, les travailleurs, l'entrepreneur, les investisseurs, les
donateurs: tous sont plus heureux, illustrant ainsi la capacité du
capitalisme de générer des situations où tous gagnent.
Ce scénario applique à un secteur traditionnellement conçu comme
économiquement perdant la logique gagnante du marché dans les autres
secteurs. Mon hypothèse, c'est que de concevoir ce secteur comme
économiquement perdant est une erreur de pensée universellement partagée
au même titre que l'était jadis l'idée que « la Terre est plate » ou que « le soleil
tourne autour de la Terre » et que si nous la remettions en question,
nous pourrions obtenir des résultats radicalement différents de ce que
nous obtenons aujourd'hui avec notre modèle socialiste de l'entraide.
Pourquoi les choses ne se passent-elles pas ainsi? D'abord, l'État nous a déjà prélevé des taxes dans ce but, donc nous
aurions l'impression de payer deux fois, en plus d'avoir moins à donner.
Ensuite, nous faisons l'erreur d'attribuer les lacunes de nos
institutions à une mauvaise administration plutôt qu'à leurs logiques
coercitives et monopolistiques. Financer l'entraide sans avoir à
persuader et à convaincre des individus libres d'accepter ou de refuser
contribue probablement à l'inefficacité structurelle de ces programmes.
Finalement, nous nous attentons collectivement à ce que l'entraide soit
altruiste et, en ce sens, nous condamnerions la Croix-Rouge ou Centraide
si elles se déclaraient carrément entreprises à but lucratives et
intégraient le marché des actions en offrant des profits aux gens qui
mettraient à leur disposition un capital supplémentaire pour venir en
aide aux démunis. Les gens auraient l'impression de donner leur argent à
des profiteurs plutôt qu'aux démunis et ils refuseraient donc de le
faire. C'est cette logique que nous aurions intérêt à changer et ce,
dans l'intérêt de ceux que nous voulons aider.
Ces remarques permettent d'illustrer une idée centrale de Hayek: la
force du capitalisme libéral repose sur le fait que le profit informe.
Notre entrepreneur fictif, en faisant fortune, et nos investisseurs, en
engrangeant des dividendes, informeraient ainsi le reste de notre
société de l'existence d'une méthode efficace d'aider les enfants abusés
et négligés. À l'inverse, tous ceux qui, aujourd'hui, prétendent agir de
façon altruiste et désintéressée face à ce problème social ne nous
informent pas, mais nous désinforment. Ils masquent leurs intentions et
leurs intérêts pour nous vendre un service coûteux et de moindre qualité.
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de
marché et de la coopération volontaire depuis 1998.
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