Introduction aux Harmonies économiques de Bastiat (3ème
partie) |
Nous avons déjà
montré que Bastiat défendait le primat de l'individu sur la société,
c'est-à-dire l'idée qu'il n'y a pas d'autre agent moral que l'individu
et que tout bien et tout mal vient de lui, en tant qu'être pensant,
capable de choix libres et rationnels.
La thèse de Frédéric Bastiat, dans les Harmonies
économiques, est que la responsabilité individuelle permet seule –
par un processus de découverte – de réduire les maux sociaux. C'est
pourquoi on peut dire qu'elle est la grande éducatrice des peuples, la
source de tout progrès.
La responsabilité est la clé du problème social
Il y a dans les
Harmonies économiques une tentative nouvelle et ingénieuse, pour
élargir les cadres de l'économie politique.
Dans une note trouvée dans ses papiers, Bastiat explique:
« J'avais d'abord pensé à commencer par
l'exposition des Harmonies économiques et par conséquent à ne
traiter que des sujets purement économiques: valeur,
propriété, richesse, concurrence, salaire, population,
monnaie, crédit, etc. Plus tard, si j'en avais eu le
temps et la force, j'aurais appelé l'attention du
lecteur sur un sujet plus vaste: les Harmonies sociales.
C'est là que j'aurais parlé de la constitution humaine,
du moteur social, de la responsabilité, de la
solidarité, etc. » (Notice
sur la vie et les Écrits de Frédéric Bastiat, par
Roger de Fontenay)
Dans la seconde partie inachevée et posthume des
Harmonies économiques, Bastiat procède ainsi à l'analyse de l'action
humaine en tant qu'elle peut conduire au bien comme au mal.
L'homme est faillible, il est sujet à se
tromper, à méconnaître le jeu des lois économiques ou à les détourner de
leur fin. Mais s'il supporte les conséquences, bonnes ou
mauvaises, de ses décisions, l'homme tendra à s'améliorer, à tirer les
leçons de l'expérience. « L'homme étant fait ainsi, dit très bien
Bastiat, il est impossible de ne pas reconnaître, dans la
responsabilité, un ressort auquel est confié spécialement le progrès
social. C'est le creuset où s'élabore l'expérience. »
Le rôle de la souffrance
Car, en supportant les conséquences, bonnes ou
mauvaises, de ses décisions, l'homme tend à s'améliorer et à tirer les
leçons de ses expériences. Le monde social n'est pas parfait et ne le
sera jamais, mais il est perfectible. La responsabilité, par la sanction
naturelle, est le ressort du progrès social.
La souffrance qu'engendre le mal fait comprendre ce
qu'est le mal et remet celui qui le commet dans le droit chemin.
Connaître le mal fait progresser vers le bien. Le libre arbitre est
éclairé par la responsabilité. L'initiative et la prise de risque
développent en chacun l'autodiscipline et la vertu de prévoyance.
En effet, par la souffrance qu'il
s'impose à lui-même ou qu'il impose aux autres, l'homme est ramené à la
vérité et au bien. L'erreur conduit à la souffrance, et la souffrance à
la vérité. C'est parce que l'homme risque de se tromper ou de mal agir
qu'il est incité à être responsable. Il s'efforcera d'anticiper les
aléas qui pourront le frapper afin de s'en prémunir.
De cette observation,
Bastiat réaffirme la loi de la responsabilité. L'homme tire les leçons
des expériences qu'il vit lorsqu'il subit les conséquences de ses actes: la responsabilité est mère de la sagesse. À l'inverse, la suppression
du risque dans une société administrée, où toute la responsabilité est
transférée à ceux qui décident pour nous, produit des individus
irresponsables et passifs.
La solidarité et ses abus au nom d'une fausse
philanthropie
Il y a néanmoins une seconde loi qui entre en jeu
dans le mécanisme de la perfectibilité, que Bastiat appelle la loi de
Solidarité. Il y a une solidarité incontestable entre les hommes,
dit-il. L'action d'un homme se répercute toujours d'une façon ou d'une
autre, en bien ou en mal, sur les autres.
Le problème, c'est que chacun s'arrange pour que
les conséquences utiles de ses actes lui reviennent et que les
conséquences nuisibles retombent sur autrui.
La loi de solidarité, selon Bastiat, c'est la force
de résistance de la masse contre les actes qui lui nuisent. Elle agit
par la répulsion, la réprobation sociale, l'aversion publique.
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« L'initiative et la prise de risque développent
en chacun l'autodiscipline et la vertu de prévoyance. L'importance
de la responsabilité personnelle réside "dans son caractère
expérimental, correctif et par conséquent progressif", nous dit
Bastiat. » |
Prenons l'exemple de la cigarette. Si un fumeur
gène les autres, il s'expose à la réprobation. Un professeur qui
enseigne le négationnisme et l'antisémitisme, confronté à la critique
des historiens, perdra son public. Même chose pour la pollution. Celui
qui rejette ses déchets dans la nature sera identifié et boycotté par
les consommateurs. Un exemple récent est l'affaire
Spanghero. Cette entreprise française de conserverie a
commercialisé des lasagnes à base de viande de cheval sous l'étiquette
viande de boeuf. L'entreprise a alors subi une baisse de 50% de son
chiffre d'affaires en raison des réductions ou des suspensions de
commandes de ses clients et distributeurs.
Ici la société civile a un rôle à jouer selon
Bastiat. Elle est l'interface entre l'individu et l'État et peut servir
de contrepoids à la fois aux comportements nuisibles de certains
individus irresponsables et à l'emprise d'un pouvoir centralisateur et
bureaucratique, donc irresponsable lui aussi.
L'erreur par contre, serait de multiplier les
interdits législatifs, chaque fois qu'il y a des victimes. De même, pour
répondre à la misère, au chômage, on multiplie les droits économiques et
sociaux: droit à la santé, droit au logement, droit à l'éducation etc.
C'est ainsi qu'on en vient à imposer la charité et à institutionnaliser
la solidarité.
Il ne faut pas étendre artificiellement la
Solidarité de manière à détruire la Responsabilité. Or, c'est
précisément là la tendance non seulement de la plupart de nos
institutions gouvernementales, mais encore et surtout de celles qu'on
cherche à faire prévaloir comme remèdes aux maux qui nous affligent.
Sous le philanthropique prétexte de développer entre les hommes une
Solidarité factice, on rend la Responsabilité de plus en plus inerte et
inefficace. On altère, par une intervention abusive de la force
publique, le rapport du travail à sa récompense, on trouble les lois de
l'industrie et de l'échange, on violente le développement naturel de
l'instruction. (Harmonies économiques, À la jeunesse française)
L'accroissement de l'action collective, au nom
d'une fausse philanthropie, se traduit par le déplacement de la
responsabilité et son transfert de l'individu à l'État. Le résultat
c'est la perte d'indépendance et d'initiative de la société civile et
l'anéantissement de la responsabilité comme de la solidarité naturelle.
« La charité gouvernementale indépendamment de ce
qu'elle viole les principes de la liberté et de la propriété intervertit
encore la loi de la responsabilité en ce qu'elle ôte à l'aisance le
caractère de récompense, à la misère le caractère de châtiment que la
nature des choses leur avait imposé. La loi ne doit donc pas édicter une
solidarité obligatoire, car pour la réaliser, il faudra disposer d'une
partie de la fortune des uns en faveur des autres. » (Lettre à M. de
Lamartine, 1845). Autrement dit, il appartient à la société civile
et non à l'État d'organiser cette solidarité.
Conclusion
L'initiative et la prise de risque développent
ainsi en chacun l'autodiscipline et la vertu de prévoyance. L'importance
de la responsabilité personnelle réside « dans son caractère
expérimental, correctif et par conséquent progressif », nous dit
Bastiat.
En d'autres mots, l'individu est imparfait mais
perfectible, c'est-à-dire capable de commettre des erreurs mais doté
d'une raison qui lui permet, par un processus de découverte, d'en tirer
les leçons. L'erreur et l'échec découlent de la liberté mais la
perfectibilité aussi. « La responsabilité, mais c'est tout pour l'homme: c'est son Moteur, son professeur, son rémunérateur et son vengeur.
Sans elle, l'Homme n'a plus de libre arbitre, il n'est plus perfectible,
il n'est plus un être moral, il n'apprend rien, il n'est rien. Il tombe
dans l'inertie et ne compte plus que comme une unité dans un troupeau. »
Texte complémentaire
Quand l'État se charge
de tout, il devient responsable de tout. Sous l'empire de ces
arrangements artificiels, un peuple qui souffre ne peut s'en prendre
qu'à son gouvernement.
[...] Quel triste spectacle offre maintenant la France! Toutes
les classes souffrent, et, au lieu de demander l'anéantissement, à tout
jamais, de toute spoliation légale, chacun se tourne vers la loi, lui disant: « Vous
qui pouvez tout, vous qui disposez de la Force, vous qui convertissez le
mal en bien, de grâce, spoliez les autres classes à mon profit.
Forcez-les à s'adresser à moi pour leurs achats, ou bien à me payer des
primes, ou bien à me donner une instruction gratuite, ou bien à me
prêter sans intérêt, etc. » C'est ainsi que la loi devient une grande
école de démoralisation.
[...] La spoliation
[...] finit par devenir toute une savante théorie
qui a ses professeurs, ses journaux, ses docteurs, ses législateurs.
[...] Malheureuse, trois fois malheureuse la nation, où les questions se
posent ainsi; où
nul ne songe à faire de la loi la règle de la justice;
où chacun n'y cherche qu'un instrument de vol à son
profit, et où toutes les forces intellectuelles
s'appliquent à trouver des excuses dans les effets
éloignés et compliqués de la spoliation! (Harmonies
économiques, Service privés, Services publics)
*Texte d'opinion publié le 27 août 2013
sur 24hGold.
Première partie.
Seconde partie. |
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Du même
auteur |
▪
Introduction aux Harmonies économiques de Bastiat (2ème
partie)
(no
315 – 15 septembre
2013)
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Introduction aux Harmonies
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liberté
(no
310 – 15 avril
2013)
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
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