Ce
qui fait la popularité d'une vision de la société n'a rien à voir avec
les arguments rationnels. Ceux-ci sont suspects aux yeux d'une majorité
qui aime se faire raconter de belles histoires. Le succès des « grandes
idées » politiques dans l'histoire est grandement dû à des experts
conteurs. À ce jeu, les nationalistes, les conservateurs et les
socialistes ont définitivement damé le pion aux libéraux, qui peinent à
se faire entendre à force de répliquer avec la plate et simple raison.
Les belles histoires ont plusieurs traits en commun. Elles contiennent
des méchants et des héros sur fond d'un grand danger. Il y a un début
calme et paisible perturbé par des êtres mal intentionnés et une fin
heureuse où les gentils l'emportent. Entre les deux, il y a un combat
terrible pour rétablir l'équilibre.
C'est ainsi que les conteurs socialistes vous parleront d'un monde
merveilleux qui commence avec l'émancipation de la classe ouvrière sous
la bannière d'un pouvoir politique bienfaisant au service de son peuple.
Les méchants, ce sont les riches capitalistes; c'est-à-dire les
banquiers, les financiers, les patrons alliés avec les curés. Les bons,
ce sont les mouvements de lutte pour des causes sociales comme le droit
à l'éducation, à la santé, aux programmes sociaux, à l'égalité des
sexes. Le danger qui plane, c'est la concentration de la richesse
combinée à la destruction de planète Terre.
Rendu à ce stade, l'auditeur doit être placé dans un état de tension
terrible. Si les capitalistes l'emportent, les plus démunis n'auront
plus d'éducation, plus de soin, plus d'assistance. Les ressources vont
s'amasser dans des châteaux forts ou se dilapider dans le luxe éhonté
d'une clique triomphante. La Terre aura épuisé ses ressources et l'air
ne sera plus respirable.
Cependant, l'auditeur est réconforté d'apprendre que des gens luttent
sans cesse pour contrer ces maux et que l'histoire témoigne qu'ils
peuvent s'en sortir gagnants. Une fois que le conteur socialiste a
réussi à captiver son auditoire de cette manière, l'économiste libéral
(ou libertarien) qui objecte avec des arguments rationnels sera alors
dépeint par ses ennemis comme un homme de chiffre et de calcul, un être
sans sens de la beauté et de l'humanité dont le coeur est suspect. Le
libéral a perdu alors la bataille des esprits.
Dans le cadre de ce texte, je propose à mes camarades de combat une
stratégie pour vaincre nos ennemis à leur propre jeu en leur opposant un
conte libéral.
Histoires d'aristocrates sociaux
Pour qu'une bonne histoire fonctionne, il faut en appeler à des images
fortes. Si les socialistes ont trouvé chez les capitalistes leurs
méchants, je propose d'y substituer un autre groupe de personnages
diaboliques: les aristocrates sociaux. Nous pourrions parler de
fonctionnaires, mais le terme n'a pas assez de puissance symbolique et
il ne correspond pas entièrement à l'idée que j'ai en tête. Aristocrate,
c'est bien, car ça renvoie sans l'ombre d'un doute dans l'imaginaire
collectif à quelque chose de mauvais.
Qui étaient les aristocrates? Des individus munis de toutes sortes de
privilèges grâce à leur proximité du pouvoir royal. Ils justifiaient ces
privilèges par la possession d'un sang spécial. Ils avaient l'habitude
de mépriser les marchands et les commerçants pour leurs « basses
occupations » centrés sur l'échange d'argent et la quête de profit. En
comparaison, eux s'adonnaient à des activités culturelles et
intellectuelles supérieures. Ils avaient un sens du goût raffiné. Tout
cela justifiait leurs existences. Ils étaient également protégés contre
les vicissitudes des « marchés ». Qu'il y eut famine, tremblement de
terre, guerre, innovation technologique ou fluctuations diverses dans le
comportement de la populace; leur position dans la société était assurée
par la force et ils n'avaient rien à craindre.
L'histoire nous raconte que les aristocrates ont été remplacés par
d'autres classes dirigeantes démunies de privilèges et qui se consacrent
à promouvoir l'intérêt populaire. Je propose une autre histoire. Ils
n'ont pas disparu, ils ont muté, comme une hydre à qui deux têtes
repoussent après décapitation. Auparavant, ils étaient des aristocrates
de sang en vertu d'un droit divin. Ils se sont alors transformés en
aristocrates sociaux en vertu d'un droit politique afin de récupérer à
leur avantage la nouvelle trame narrative en vogue depuis l'apparition
des socialistes.
Qui sont ces nouveaux aristocrates? Eh bien, tous ceux qui doivent leur
position confortable au sein de la société à leur proximité des
décideurs politiques. J'inclus dans cette catégorie: les enseignants,
les policiers, les juges, les médecins, les travailleurs sociaux, les
banquiers, les fermiers, les ouvriers et patrons d'usine et autres
individus dont la position est protégée par le pouvoir politique contre
la concurrence et les caprices des consommateurs. Cette catégorisation
risque d'en faire sursauter plusieurs et c'est justement cela le but.
Comment dire… je sens de l'hypocrisie dans l'air et j'aime bien m'y
attaquer avec toute la malice libérale qui peut me caractériser en me
disant que j'ai assez enduré la malice des socialistes.
En quoi ces gens sont-ils aristocrates? Eh bien, comparez les privilèges
et attitudes de la veille aristocratie avec les leurs et ça parle assez
de soi.
L'aristocratie du savoir
Un chercheur ou un professeur en sociologie ou en philosophie, par exemple,
n'a pas à quémander des fonds à ses étudiants pour poursuivre ses
activités. Il considère ce marchandage comme étant vil, abaissant,
dégradant à la lumière de la noblesse de son activité, trop noble pour
se conformer aux caprices du « marché », comme si le « marché » était autre
chose que Monsieur et Madame Tout-le-monde en chair et en os qui demande
un service moyennant le fruit de son travail. Ils enveloppe cette
rhétorique dans une logique de « justice sociale », brandissant la peur
que les pauvres n'accèdent plus à la grandeur de son savoir et
dissimulant ainsi le fait qu'il s'est créé subtilement une niche à
l'abri des consommateurs où il peut gagner confortablement sa vie à
faire ce qu'il aime, exactement comme les vicomtes et les ducs d'antan
le faisaient.
Si les étudiants devaient débourser le plein prix d'une étude qui ne les
aide pas à affronter le marché du travail, ils choisiraient de s'ouvrir
l'esprit autrement! Ou bien le sociologue ou le philosophe accepterait
de loger dans un petit local, d'exiger moins et de gagner sa vie comme
un professeur de yoga. L'arnaque, c'est que l'étudiant paie le plein
prix, mais que la facture est dissimulée dans ses taxes, ses impôts,
dans l'inflation et dans un coût d'opportunité. L'idéologie du droit à
l'éducation n'est ainsi qu'une manière de protéger les pourvoyeurs
d'éducation de l'esprit critique de leurs consommateurs.
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« Le succès des "grandes
idées" politiques dans l'histoire est grandement dû à des
experts conteurs. À ce jeu, les nationalistes, les
conservateurs et les socialistes ont définitivement damé le
pion aux libéraux, qui peinent à se faire entendre à force
de répliquer avec la plate et simple raison. » |
Les raisons invoquées sont comparables à celle des aristocrates.
L'activité du savoir est trop noble pour être traitée comme d'autres
services. L'être même du professeur est supérieur de par sa culture, son
savoir, sa sagesse. Le contraindre à s'adapter à une demande qu'il ne
contrôle pas serait l'avilir. Au fond, que cherche-t-il? À vivre sa vie
comme il l'entend sans rendre des comptes à qui que ce soit. Le critère
qui le différencie des anciens aristocrates, c'est qu'il a eu droit à
une « égalité des chances » pour se rendre là où il est, contrairement au
critère du sang. Pour le reste, l'inégalité est amplement justifiée,
façon de dire qu'avec un bon test pour juger les êtres, la nature les a
sélectionnés parmi les meilleurs. De tous les aristocrates sociaux, il
est probablement le pire d'entre eux, le plus bouffis d'orgueil, le plus
dangereux et le plus hypocrite en vertu de son talent dans l'art de la
rhétorique et de toute la publicité qui tourne autour de ses idées.
Des activités trop nobles pour être marchandées
Maintenant, pouvons-nous inclure parmi l'aristocratie tous les autres
protégés mentionnés plus haut? Oui. Ce n'est pas un hasard si le
gouvernement s'occupe des services présumés les plus « nobles » et laisse
aux marchés l'administration des services les plus « vils ». Il y a un
argument nobiliaire commun qui peut rassembler tous les pourvoyeurs de
ces services. Le policier protège les gens. Que serait la protection si
elle était l'objet d'un marchandage? Le juge établit la justice. Que
serait la justice si elle était l'objet d'un marchandage? Les médecins
et les infirmières soignent les gens. Que seraient les soins s'ils
faisaient l'objet d'un marchandage? Nous pouvons inclure dans cette
logique le petit fermier local ou le brave ouvrier d'une usine
d'aluminium dont le labeur ne mérite pas que nous le marchandions.
Le pouvoir politique tisse ainsi une toile de protection regroupant en
son sein une large coalition d'occupations jugées trop nobles pour être
le fruit d'un marchandage. Ces gens-là auront des augmentations
salariales qui suivront l'inflation. Ils pourront continuer de faire ce
qu'ils font même si la demande pour leurs services diminue. Ils auront
droit à des fonds de pension garantis indépendamment des succès ou des
échecs de leurs investissements. Ils auront tous les privilèges des
aristocrates d'antan supposément parce que leurs activités sont trop
nobles pour être confrontées aux vicissitudes des marchés.
Qu'est-ce qui relient ces gens? La même chose que ce qui reliait
l'aristocratie : le mépris du commerçant, de l'argent, des prix, de
celui qui est habile dans les échanges et qui réussit sans l'aide
d'aucun ordre ou d'aucun pouvoir; mais également le commun des mortels.
Ne vous méprenez pas. Certains banquiers, patrons et investisseurs sont
des aristocrates. Ils sont protégés par le pouvoir. Ces gens-là sont de
la même trempe que les autres et nos aristocrates sociaux ont intérêt à
les exclure de leur rang, même s'ils en font profondément partie. Il
leur manque peut-être la noblesse d'activité, mais ils ne manquent pas
de protection. Cependant, il est erroné de considérer l'ensemble des
activités commerçantes sous le modèle de cette minorité et d'y voir
l'illustration des vices du capitalisme.
Au contraire, le capitalisme renvoie à l'ensemble des sphères
d'activités laissées en dehors de la protection du pouvoir. Le
capitalisme, c'est l'activité de tous ceux qui n'ont pas le privilège de
travailler dans une bureaucratie ou entreprise protégée par le
gouvernement, mais qui doivent tout de même payer 15% de taxes sur tous
leurs achats, de 25 à 50% d'impôt sur leur paie, qui voient le prix des
choses augmenter sans cesse suite à la dévaluation de la monnaie par les
autorités politiques et qui se retrouvent dans des secteurs d'activité
où la croissance est freinée parce que de plus en plus des ressources
sont détournés vers les « services publics ».
Dans l'esprit des aristocrates sociaux, ces gens-là sont victimes de la
« société de consommation », zombifiés par les publicités des méchants
capitalistes, et ne font que « surproduire », contribuant ainsi à menacer
l'équilibre planétaire. Notez ici le même ton de mépris que
l'aristocrate de sang avait envers le peuple, juste pour mieux
comprendre comment l'histoire se poursuit dans l'idéologie
anticapitaliste contemporaine.
Le bien du peuple versus celui des aristocrates
Les aristocrates sociaux vont prétendent qu'ils agissent pour le bien du
peuple. Au fond, n'est-ce pas eux qui leur fournissent éducation,
protection, justice, santé et autres nobles services? Les bienfaits du
pouvoir politique sont largement justifiés par le principe d'un impôt
progressif (les plus riches paient plus) combiné à un accès universel
aux services publics. Cet argument ne tient pas compte de l'ensemble de
la situation et n'en offre qu'une vue bien partielle. « Les plus riches »,
ce sont en partie eux; donc ils agissent comme une bande mafieuse qui
verse un plus gros montant au parrain en échange d'une meilleure
protection.
Ensuite, ils peuvent gonfler à la hausse le prix de leurs services à
même le pot collectif, car ils n'ont pas de concurrents. Ils n'ont pas
non plus d'incitation ou de pression à faire mieux avec moins. C'est
tout un privilège ça! Finalement, ils peuvent ainsi vendre des services
que les consommateurs ne voudraient pas autrement. Il y a des gens qui
devraient tout simplement se trouver une autre occupation en dehors de
ce système d'imposition forcée et de monopole public.
La plupart des étudiants ne paieraient pas pour un cours de philosophie
ou de littérature, pas plus que les gens paieraient pour un inspecteur
de la langue ou pour un guerrier combattant sans succès la drogue. Il y
a des causes judiciaires qui cesseraient d'être poursuivies pour être
réglées à l'amiable. L'administration de ces services seraient réduite à
leur plus simple expression, celle qui est conforme aux désirs des
consommateurs; c'est-à-dire du peuple. Or, cela n'est pas dans l'intérêt
des aristocrates sociaux. Ils s'acharneront donc pour vous convaincre du
contraire en usant du maximum de rhétorique qu'ils connaissent pour vous
faire vraiment peur avec les « méchantes compagnies » et les « méchants
capitalistes égoïstes » qui ne pensent qu'à l'argent et ne voient qu'à
court terme.
Les vrais méchants de l'histoire
Nous avons donc trouvé-là notre méchant dans la belle histoire libérale
de nos problèmes sociaux. Une difficulté qu'elle pose, c'est que pour
être belle, cette histoire ne doit pas placer l'auditeur dans le rôle du
méchant. Or, les risques sont bien réels que de nombreux lecteurs de ce
texte soient, d'une manière ou d'une autre, associés avec les
aristocrates sociaux, car ce sont eux qui ont l'habitude de s'intéresser
à la société, tel un vautour tournant autour de sa proie. Si vous êtes
complice, ne vous en faites pas. Vous êtes complice aussi du
capitalisme, alors il n'y a pas de quoi paniquer.
Afin de réduire le plus possible la taille du groupe des méchants,
question de ne pas heurter les sensibilités, il faut garder à l'esprit
que dans ce petit jeu de protection par le pouvoir politique, il y a des
dupes. Dans la pyramide des activités protégées, le conducteur
d'autobus, l'ouvrier, le concierge ou la secrétaire d'un service public
ne sont pas ceux qui reçoivent la plus grande part du butin. Dans la
balance de ce qu'ils gagnent en privilèges et de ce qu'ils perdent en
taxes, en impôts et en autres coûts cachés, il y a des chances qu'ils
perdent plus qu'ils n'en gagnent ‒ d'autant que leurs activités ne
disparaîtraient pas du jour au lendemain parce que leurs employeurs
deviendraient une société privée et que, bien souvent, ils ont justement
la capacité de se trouver une activité aussi profitable dans le secteur
privé en y mettant un peu les efforts. La prospérité qui résulterait de
la disparition de l'obstacle politique au développement viendrait
rapidement compenser les bienfaits qu'ils pensent tirer des mamelles du
pouvoir.
En ce sens, les vrais méchants ce sont surtout les gros aristocrates
sociaux; ceux qui reçoivent une grosse part du butin ou qui veulent
obstinément s'adonner lucrativement à une activité dont vous n'avez nul
besoin. Si vous ressentez la pulsion viscérale de rendre quelqu'un
responsable de votre misère, prenez-vous en à eux. Si vous avez besoin
d'une grande menace pour donner de l'ampleur à votre combat, dites-vous
que ces gens-là sont en train de racketter et d'obstruer tous ceux qui
produisent honnêtement dans notre société; qu'ils jouent avec votre
cervelle en tentant d'y implanter des idées tordues et de vous faire
peur avec l'apocalypse; qu'ils causent sans arrêt des crises économiques
en tentant en amateur de les diriger; qu'ils menacent votre propriété en
s'ingéniant à augmenter encore et encore vos impôts.
Si vous voulez vraiment mettre la cerise sur le sundae du drame, pensez
à la dette publique que vous enfants auront à rembourser à cause d'eux.
Représentez-vous cette menace, donnez-lui de l'ampleur, placez les gros
aristocrates sociaux véreux au centre de l'histoire en tant que gros
méchants. Puis, intervenez en gentil libéral héroïque qui est là pour
sauver le plombier, le vendeur du dépanneur, le minier et autres chics
types de cette menace terrible en réclamant sans cesse de nouvelles
privatisations des services publics accompagnés de baisses de taxes
massives et de dérèglementation majeure des marchés, question de briser
une fois pour toute la tyrannie hypocrite des cartels publics.
Même si j'écris cela, je dois vous avouer que je ne suis pas du genre à
apprécier les histoires de bons et de méchants. J'ai tendance à croire
que les gens sont bons, riches ou pauvres, quelles que soient leurs
opinions politiques, leurs occupations dans la vie ou leur culture.
Certains font des erreurs, mais ce sont des erreurs compréhensibles. Cet
écrit a davantage une fonction satyrique visant à illustrer aux
anticapitalistes comment cracher en l'air peut vous retombez dessus. Si
ce texte vous a donné la sensation d'être attaqué, dites-vous que c'est
exactement de cette manière que réagissent vos ennemis.
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Du même
auteur |
▪
Pour un capitalisme de l'entraide
(no
315 - 15 octobre 2013)
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de
marché et de la coopération volontaire depuis 1998.
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