Protectionnisme capillaire - Ne coupe pas les cheveux qui
veut (la suite) |
La Loi sur les décrets de convention collective permet au
gouvernement québécois de rendre obligatoires certaines conditions de
travail généralement accordées par les employeurs aux salariés
travaillant dans un secteur d'activité et un territoire déterminés.
J'en
ai déjà traité dans les pages du QL, plus particulièrement
dans le cas de la règlementation qui touche le domaine de la coiffure
dans certaines régions du Québec. Je croyais que le Québec était le
seul endroit au pays où de telles lois débiles existaient encore. Eh
bien je me trompais. On apprenait au début du mois qu'il en existe aussi
en Ontario. Décidément, il y a trop de fonctionnaires qui ont trop de
temps à tuer.
Couper les cheveux en quatre
En effet, les barbiers ontariens pourraient être forcés de retourner sur
les bancs d'école pour apprendre à faire des mèches et des permanentes
‒ même si, pour certains d'entre eux, ils coupent les cheveux depuis
des décennies et qu'ils n'offrent même pas ces services! C'est qu'une
réglementation provinciale force environ 300 000 commerçants à être
certifiés dans leur domaine.
En 1998, le ministère ontarien de la Formation et des Collèges et
Universités a regroupé tous les métiers liés à la coiffure ‒ y compris
les barbiers ‒ sous une appellation officielle et commune de
« coiffeur ». Quinze ans plus tard, soit en avril dernier, l'Ordre des métiers de l'Ontario a
pris en charge la gestion des licences pour barbiers et autres corps de
métier, et a commencé à en appliquer les règles. Ces dernières
étaient en vigueur avant le mois d'avril, mais n'étaient que rarement,
voire jamais, appliquées ‒ ce qui a fait que plusieurs barbiers ont
exploité leur commerce dans l'illégalité depuis tout ce temps.
Dorénavant, pour une première infraction, il en coûtera 195 $ d'amende
aux barbiers employés « illégaux », tandis que leurs patrons, eux, font
face à des amendes de 295 $. Et pour obtenir une licence, tout ce beau
monde devra suivre le nouveau programme combiné pour coiffeurs et
apprendre, entre autres, comment faire les permanentes, les mises en
plis et les colorations.
On croit rêver. C'est comme si on forçait tous les chefs de restaurants
à suivre des cours pour maîtriser toutes les cuisines du monde
(française, italienne, japonaise, vietnamienne, etc.) même s'ils ne se
spécialisent que dans une cuisine bien particulière. Comme si on forçait
tous les automobilistes à apprendre à conduire toutes les sortes de
véhicules (motocyclette, autobus, dix-roues, etc.) pour obtenir un
permis de conduire une voiture. À quoi sert, dans le cadre d'un travail,
d'apprendre à faire des choses qui ne font même pas partie de votre
offre de services?! Quelle perte de temps et de ressources!
Protectionnisme 101
Sur le site du ministère ontarien de la Formation et des
Collèges et Universités,
on apprend que « l'accréditation obligatoire exige qu'une
personne soit titulaire d'un certificat de qualification professionnelle
en bonne et due forme ou inscrite en tant qu'apprentie ou apprenti dans
un métier spécialisé donné pour pouvoir exercer ce métier ou y être
employé ».
En 1944, à la demande des représentants patronaux et syndicaux du
secteur de la réparation d'automobiles, et pour protéger le public
contre les malfaçons, l'accréditation obligatoire a été adoptée pour le
métier de réparateur de véhicules automobiles. En 1958, l'accréditation
obligatoire pour le métier de coiffeur a été adoptée alors que l'entrée
en vigueur de celle pour le métier de barbier remonte à 1963. Un an plus
tard, ce sont des métiers d'apprentissage propres à la construction qui
sont désignés comme des métiers pour lesquels l'accréditation est
obligatoire.
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« À quoi sert, dans le cadre
d'un travail, d'apprendre à faire des choses qui ne font
même pas partie de votre offre de services?! Quelle perte de
temps et de ressources! » |
En tout, il y a en tout
22 métiers à accréditation obligatoire en
Ontario qui se retrouvent principalement dans deux grands secteurs: la
construction et l'automobile. Dans le secteur des services, on en
retrouve un seul, celui de coiffeur. Pas de différence entre la
construction d'un gratte-ciel, l'assemblage d'un moteur de voiture et...
la coupe de cheveux.
Pour des élus qui discourent constamment de l'importance de la création
d'emplois, qui la subventionnent à grands coups de millions pour ensuite
s'approprier les « retombées » (lorsqu'elles vont dans le sens désiré), le
fait de fermer des secteurs comme celui de la coiffure de cette façon
(car c'est bien de cela qu'il s'agit, ils rendent l'entrée dans un
secteur donné plus difficile en instaurant des barrières) est pour le
moins... contradictoire.
A-t-on réellement besoin en 2013 d'une réglementation qui tire ses
origines du temps de la Seconde Guerre mondiale pour protéger un secteur
comme celui de la coiffure? Houston, nous avons a un problème! La fille
qui bousille les têtes de ses clients ne fera pas carrière en coiffure.
Cela va se savoir qu'elle n'est pas suffisamment qualifiée et elle va
perdre son emploi. Pas besoin de réglementation pour ça, le marché s'en
charge.
Contrairement aux employés de la fonction publique, les travailleurs du
secteur privé font face à la concurrence. Peut-être que les
fonctionnaires de l'Ordre des métiers ont de la difficulté à faire la
part des choses et qu'ils croient qu'un mauvais barbier qui bousille les
têtes de ses clients va sévir tant et aussi longtemps qu'ils
n'interviendront pas... Eh bien non. De la même façon que les restaurants
qui servent une bouffe infecte ne gardent pas leurs portes ouvertes bien
longtemps, un mauvais barbier ne se bâtit pas de réputation (et de
clientèle).
La riposte
Vous trouvez qu'il y a trop de compétiteurs dans votre domaine?
L'accréditation obligatoire est une excellente façon de réduire leur
nombre! Et l'Ordre des métiers de l'Ontario,
sur son site Internet,
donne même la marche à suivre pour ceux qui souhaiteraient que leur
métier y soit soumis. On rigole, mais ce n'est pas drôle. Cette forme
complètement anachronique de protectionnisme empêche des gens de
travailler et de gagner leur vie. Elle doit être abolie.
En attendant, des voix s'élèvent pour dénoncer la situation. « Nous sommes
barbiers, pas des neurochirurgiens!, de déclarer Frank Olszynko, qui
coupe les cheveux depuis les années 1960. Pourquoi devons-nous passer
par là? Maintenant, il faut se taper 2000 heures d'école, payer 5000 $,
pour apprendre à faire des permanentes, des mises en plis, des
colorations et Dieu sait quoi! Je ne connais rien de tout ça et je ne
veux pas l'apprendre. »
« Je suis très fâché! », s'est exclamé pour sa part Sam Lou. Même s'il
coupe les cheveux depuis une quinzaine d'année, il a ouvert son propre
salon de barbier le mois dernier. Des inspecteurs de l'Ordre des métiers
de l'Ontario lui ont rendu visite et ont découvert qu'il n'était pas en
règle. Ils l'ont sommé de cesser ses opérations. « Le gouvernement veut
qu'on réussisse, qu'on ouvre des entreprises et qu'on crée de l'emploi.
J'ai créé un emploi, ils sont venus m'arrêter », déplore-t-il avant
d'ajouter avoir perdu environ 6000 $ dans cette affaire.
Qui a dit que les politiciens étaient à l'emploi des citoyens?!
Heureusement qu'il y a encore des gens comme M. Olszynko, qui n'entend
pas céder: « Je vais prendre le chemin des tribunaux, c'est sûr. Je ne
vais pas payer d'amende. Et je ne suivrai pas cette loi stupide. »
Heureusement aussi que Monsieur et Madame Tout-le-monde sont encore
capables de gros bon sens. À la question de la CBC: Croyez-vous que les
barbiers devraient avoir à apprendre les techniques de coiffure des
femmes pour obtenir une licence? 97,69% ont répondu « Non ».
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