Robin des Bois est nu ou Comment aider les pauvres
autrement
que par la coercition étatique |
Je travaille à venir en aide aux
pauvres et je me définis comme libertarien. Selon moi, le pouvoir
politique et ses institutions sont toxiques et ils doivent être
remplacés par des marchés économiques. Apprenant mes opinions, nombreux
sont ceux qui me demandent « mais comment se fait-il que tu oeuvres dans
les services sociaux? » Ils supposent que contester la légitimité de
l'État revient à contester l'aide aux pauvres. Selon eux, les taxes et
les impôts sont une manière de prendre aux riches pour donner aux
pauvres. L'État serait Robin des Bois. Or, je crois plutôt qu'il est le
Grand Méchant Loup déguisé en Mère Grand. Dans notre monde, le vol, la
contrainte et la tromperie des mouvements politiques passent pour de
l'entraide, alors que l'entraide réelle passe pour de la cupidité. Je
tenterai, dans ce qui suit, de vous résumer brièvement mes raisons de le
croire.
L'entraide comme centre de légitimité populaire
L'État n'a pas toujours été le pourvoyeur de services sociaux. Avant
lui, les institutions religieuses s'en chargeaient. Cela n'est peut-être
pas une coïncidence. Pour fonctionner, une institution doit être
socialement perçue comme étant légitime. De la Révolution française au
développement de l'État Robin des Bois, un phénomène culturel de
déplacement de la source de la légitimité s'est produit. Les
représentants de la volonté divine (les prêtres) ont graduellement perdu
ce rôle au profit des représentants de la volonté du peuple (les
politiciens).
Or, pour gagner le coeur des individus et donc leur consentement, une
institution doit prendre en charge le sort des plus démunis. C'est
pourquoi nous pouvons observer dans l'histoire un déplacement du
contrôle de l'entraide des églises vers les assemblées élues. De ce
point de vue, ce n'est pas le pouvoir politique qui permet l'entraide,
mais l'entraide qui légitime le pouvoir politique. Si cette théorie
causale est vraie, alors le déplacement de l'entraide du politique vers
des institutions privées, se finançant à même des dons, ne détruira pas
l'entraide, mais retirera la légitimé des mains des représentants de la
volonté du peuple (les politiciens) pour la remettre entre celles des
représentants de la volonté des individus en situation d'échange (les
entrepreneurs et les investisseurs).
Dans notre culture, l'État est la source de la légitimité car les gens
se l'approprient et s'identifient à ses actions. Le peuple serait censé
le contrôler en votant, en s'exprimant en public et en exerçant des
moyens de pression. Cette logique est trompeuse.
Supposons qu'un regroupement d'hommes d'affaires se présentait à vous et
vous offrait une assurance contre toutes formes de misère et d'injustice
en vous demandant en échange un accès illimité à votre compte de banque
et un droit de vous interdire les comportements qu'il souhaite, comment
réagiriez-vous? Je soupçonne que vous auriez une méfiance extrême. S'il
vous proposait alors de voter avec ses autres clients à tous les quatre
ans pour le responsable du programme, vous sentiriez-vous rassuré? Je ne
crois pas. Pourtant, c'est ce que l'État fait.
Le simple fait de dire « représentant du peuple » au lieu de « homme
d'affaires » agit sur votre esprit comme une forme d'hypnose éteignant
votre méfiance en un clin d'oeil. Pourtant, dans les faits, vous avez
plus de contrôle sur des hommes d'affaires que sur des « représentants du
peuple », car les premiers n'ont pas le pouvoir de vous empêcher de
magasiner d'autres offres, ils doivent vous présenter une facture, ils
sont liés par un contrat et ils ne vous forcent pas à former une
majorité pour avoir un impact. Objectivement, acheter exprime plus
clairement la volonté du peuple que voter.
En ce sens, si vous achetiez une assistance aux démunis au lieu de voter
pour des programmes d'aide aux démunis, vous auriez plus de contrôle sur
qui recevrait cette aide et qui aurait les fonds pour la donner. Vous
pourriez sélectionner les services sociaux que vous jugez être les plus
efficace pour alléger la misère humaine et pénaliser ceux qui ne le sont
pas. En ce sens, les institutions d'entraide seraient davantage
contraintes à s'adapter à votre idée de la générosité.
« Mais les gens ne donneraient pas, car ils sont égoïstes! », nous
répliquera-t-on. Cette croyance peut être réfutée en deux arguments très
simples.
Premièrement, si les gens étaient si égoïstes, ils ne voteraient pas
pour des représentants qui les forcent à donner aux pauvres. Le fait que
vous soyez disposés à donner un accès à votre salaire et à vos achats à
des gens de peur que les pauvres manquent d'aide prouve que vous avez un
fond généreux. En ce sens, si c'était un regroupement d'entrepreneurs en
services sociaux qui vous proposait d'acheter de l'aide au lieu d'un
regroupement de représentants politiques qui vous proposait de voter
pour de l'aide, il est fort probable que vous le feriez autant.
Deuxièmement, l'action politique est également égoïste. Si les gens sont
égoïstes au moment de piger dans leur portefeuille, ils le sont aussi au
moment de voter l'allocation des ressources d'un pot collectif. Dans la
joute politique, les groupes cherchent à tirer la couverture de leur
côté et tendent donc à détourner votre générosité en leur faveur en
employant des stratégies rhétoriques trompeuses. Passez du niveau de la
spontanéité économique à la spontanéité politique ne génère donc pas une
générosité supplémentaire. Cette supposition est tout simplement
arbitraire.
|
« Si nous en revenons
philosophiquement à la signification fondamentale des
concepts, l'échange est la forme la plus élevé de
considération pour l'autre, alors que le contrôle centralisé
en est la négation. » |
Donc, un marché riche, efficace et prospère de l'entraide qui repose
essentiellement sur le consentement des individus est possible et
souhaitable (Voir « Pour
un capitalisme de l'entraide », le QL, no 315).
Les huit plaies publiques
Cette conviction peut être renforcée par huit raisons de croire que
l'État n'aide pas les pauvres, mais leur nuit plutôt et qu'il serait
donc avantageux de lui retirer cette tâche.
1) L'obstruction. Nos bien-pensants socialistes présentent
l'éducation publique universelle comme une façon d'égaliser les chances
de tous dans la vie, alors que c'est plutôt une forme d'obstruction.
Pour travailler dans un secteur spécialisé, et donc payant, nous avons
besoin de suivre une longue formation complexe passant par
l'apprentissage de la trigonométrie, de la culture religieuse, des
règles de conjugaisons d'une langue inutilement compliqué, de la
littérature, de la philosophie et de bien d'autres choses encore. À
entendre un intellectuel, tout cela est nécessaire. Pourtant, plus
l'accès aux métiers payants est compliqué, plus ce sera difficile pour
les moins habiles à étudier de gagner un bon salaire. Ajoutez à cela que
l'État impose pour tous une seule façon de se former, pénalisant ainsi
tous ceux qui apprendraient mieux d'une autre manière, et vous vous
retrouvez avec des pauvres encore plus pauvres.
Une autre forme d'obstruction sournoise se retrouve dans les politiques
visant à hausser le salaire des travailleurs. Ces mesures sont
présentées comme une manière de les protéger de l'exploitation. Or,
elles sont plutôt des moyens d'interdire aux candidats potentiels à un
emploi de faire compétition à un cartel établi de travailleurs en
proposant aux entrepreneurs, aux investisseurs et aux consommateurs
qu'ils desservent un prix plus bas. Le chômage chronique de la catégorie
de population la plus vulnérable en résulte.
2) La répression. Il y a un service public qui se consacre
largement à détériorer le sort des pauvres: la police et les tribunaux.
La guerre pour interdire la drogue et la prostitution jette en prison
quantité de jeunes vulnérables qui y apprennent à parfaire des
comportements antisociaux. Les toxicomanes et les prostitués sont
contraints d’échanger sur des marchés noirs coûteux sans avoir la
possibilité de faire appel à la police pour les protéger. La société
n'accomplit rien. Les ailes de prison sont sous l'emprise des chefs de
gang et des gardiens de prison font entrer de la drogue de contrebande.
Bref, les coûts pour les pauvres sont énormes. Les bénéfices et le
contrôle sont nuls.
3) La fausse universalité. « L'État offre à tous également
ses services. » Or, tous ne les demandent pas également. Ce sont des
groupes dans les classes moyenne et riche qui estiment qu'une longue
éducation qui nous ouvre l'esprit à l'histoire, les lettres, les arts et
la culture générale est nécessaire à la vie et qui appuient des
politiques imposant des diplômes compliqués un peu partout sur le marché
de l'emploi. Les pauvres valorisent plutôt l'expérience pratique et
répugnent souvent à s'assoir pendant des années sur une chaise. Dans le
même ordre d'idée, lorsqu'ils sont confrontés à des choix économiques,
ils ont tendance à exiger une couverture de santé ou contre le danger
moindre que les classes moyenne et riche de manière à libérer des
ressources pour leur loisir et leur qualité de vie. Ils feraient garder
leurs enfants par les proches ou la gardienne du coin et, plus tard,
iraient demeurer chez leurs enfants adultes plutôt que d'aller en CHSLD
(Centre d'hébergement et de soins de longue durée). En leur dissimulant
les coûts réels de ces services, l'État les amène à réclamer plus de
services que ce qu'ils accepteraient s’ils avaient une facture devant
les yeux.
4) La fausse captivité. Les services offerts par l'État
sont présentés comme étant « essentiels », mais c'est faux. Ils sont vus
ainsi parce que nous sommes habitués à les évaluer en faisant
abstraction des coûts. Par exemple, allonger la vie a un coût et je peux
choisir qu'il n'en vaut pas la peine. Si j'avais la possibilité de
réduire de plusieurs milliers de dollars ma couverture d'assurance
maladie annuelle en choisissant de mourir sans traitement si j'attrape
une maladie mortelle après l'âge de 75 ans advenant que je n'ai plus les
moyens, je le ferais. Ces soins médicaux ne sont donc pas « essentiels ».
La même logique est encore plus évidente lorsqu'il est question
d'accoucher dans un centre hospitalier ou de consulter un médecin pour
un symptôme mineur. De plus, si je n'ai pas de comportements à risque
concernant certaines maladies, je pourrais obtenir des primes
d'assurance beaucoup moins coûteuses si j’étais en position de
marchander. En ce sens, le nombre de service offert par l'État excède la
demande réelle, contribue à en gonfler les coûts et à disperser des
ressources limitées. Ce qui est vrai de la santé est vrai des autres
secteurs. L'État vend plus que ce que le client en demande en lui
dissimulant la facture.
5) L'infantilisation. Les pauvres sont souvent capables
d'obtenir de l'aide eux-mêmes. Ils peuvent accepter de travailler en
diminuant leurs exigences. Sans loi sur le salaire minimum, ce serait
facile. Nombreux sont ceux qui peuvent avoir plus que l'aide sociale
simplement en quêtant. Ceux qui ont encore des proches qui les aiment
peuvent trouver un toit le temps de se remettre. L'encadrement de maman
et papa risque d'être plus efficace que celle d'un travailleur social.
Les seuls qui ne passeraient pas à travers ces filets seraient les
individus les plus isolés, les plus antisociaux ou ceux qui ont eu la
malchance d'avoir une maladie ou un accident grave sans avoir eu les
moyens de se payer une assurance au préalable. Ils représentent une
minorité des bénéficiaires actuels de l'aide sociale. Les institutions
de charité pourraient s'en charger facilement. Vous pouvez trouver que
le sort réservé à ces personnes est terrible dans une telle société,
mais prenez en compte le fait que l'inconfort peut servir de motivation
à modifier les comportements toxiques au développement d'une personne.
Les nourrir jusqu'à la fin de leur vie alors qu'ils croupissent dans des
appartements miteux n'est pas particulièrement « aidant ».
6) L'inflation. Nos gouvernements tendent à favoriser une
politique monétaire qui augmente le nombre de billets de banque en
circulation en baissant, notamment, les taux d'intérêt, de manière à
stimuler la dépense et donc l'économie, ainsi qu'à supporter
l'endettement de l'État. Cette augmentation diminue la valeur de la
monnaie en circulation. Le pauvre qui n'a pas eu une augmentation de
salaire qui suit cette hausse se retrouve donc avec moins de pouvoir
d'achat sans être capable de voir le préjudice qui lui a été fait.
7) Le cartel des aidants. Les gens qui offrent des
services aux pauvres, que ce soit les enseignants, les intervenants
sociaux, les avocats, les médecins et autres professionnels ont tendance
à camoufler leurs intérêts derrière la noblesse de leurs activités.
Pourtant, ils sont comme vous et moi. Ils cherchent à vendre leurs
services le plus cher possible en vivant le moins de stress possible. En
ce sens, ils auront tendance à adopter des méthodes de travail lente,
inefficace, qui demandent de grosses équipes chèrement payées, et qui
résiste à tout processus d'évaluation, rendant ainsi le coût de
l'entraide exorbitant et les résultats décevants. Ils aident les
pauvres, mais se servent aisément au passage et conseillent aux élus
d'interdire l'entrée à leur profession à tous ceux qui ne font pas
partie de leur ordre ou de leur gang, raréfiant ainsi le nombre
d'experts aidants dans la société.
8) Le détournement politique. Les employés de la fonction
publique voudront avoir des hausses de salaires, les habitants des
régions voudront des subventions, les agriculteurs voudront des prix
planchers et des tarifs à l'importation, les étudiants voudront des
cours gratuits et une job garantie à leur sortie, les jeunes familles
voudront un service de gardiennage à rabais, les artistes voudront vivre
de leur hobbies, les personnes âgées voudront de grosses retraites le
plus tôt possible, et ainsi de suite, même si tout cela implique un coût
pour les pauvres. Quels sont les chances que ce soient eux qui tirent
leur épingle de ce jeu? S'ils sont faibles lorsque vient le temps de
vendre leurs compétences sur les marchés, ils seront également
malhabiles à jouer du coude, à comprendre la joute politique, ou à user
de rhétorique sur les tribunes publiques. Pourtant, il est à prévoir que
la plupart des causes actuelles que nos institutions politiques appuient
n'iraient pas, avec raison, chercher la générosité des donateurs lors
des levées de fonds
Les marchés aident les pauvres
Nous vivons dans une société à la 1984 où le sens de certains
termes est inversé. Le capitalisme – un modèle d'échanges volontaires
libres de l'interférence politique – est associé à l'égoïsme, alors que
le socialisme démocratique – un modèle de contrôle centralisé de la
société centré autour des intérêts de clientèles électorales cibles –
est associé au partage. Pourtant, si nous en revenons philosophiquement
à la signification fondamentale des concepts, l'échange est la forme la
plus élevé de considération pour l'autre, alors que le contrôle
centralisé en est la négation.
Échanger n'est pas prendre, n'est pas voler et n'est pas forcer. C'est
un mode d'entrée en relation qui consiste à améliorer son sort en
offrant aux autres des moyens d'améliorer le leur et en
respectant leur droit de dire non. C'est une forme de collaboration qui
vise des solutions mutuellement bénéfiques et qui respecte la capacité
de l'autre à faire des choix par lui-même. L'échange est donc une forme
de partage. Le capitalisme est un idéal de société qui vise à placer ce
type d'activités au centre de la société.
En fin de compte,
qu'adviendra-t-il de ceux qui seraient vraiment mal pris en l'absence
d'un État Robin des Bois? Vous allez continuer de les aider, mais vous
cesserez simplement de vous tourner vers des politiciens pour le faire.
Votre centre de gravité moral aura seulement changé de place! De plus,
si l'entraide devenait un marché, toutes les stratégies de marketing
pour vous faire acheter des parfums, du linge et des voitures seraient
désormais utilisées pour vous faire donner à des œuvres de charité.
Quant aux professionnels
eux-mêmes, sont-ils des sans cœurs? Le médecin va-t-il laisser mourir
les gens plutôt que d'adapter son prix à leur situation? Vous avez une
piètre opinion de leur humanité si vous le pensez. Et si je me trompe?
Je fais le pari alors qu'un tel médecin sans coeur risque de vous perdre
comme client au profit d'un autre dès que la rumeur commencera à
circuler. La même chose vaut pour une école ou un poste de police privé.
Pourquoi? Parce que leur « légitimité sociale » en dépend.
L'idée que le pouvoir politique soit une forme d'entraide et que
l'échange soit une forme d'égoïsme m'apparaît être l’une des plus
bizarres hallucinations collectives de notre temps. Notre erreur est de
croire que notre humanité se trouve dans des institutions étatiques
alors qu'elle réside fondamentalement en chacun de nous.
|
|
Du même
auteur |
▪
Les aristocrates sociaux
(no
316 - 15 novembre 2013)
▪
Pour un capitalisme de l'entraide
(no
315 - 15 octobre 2013)
|
|
Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de
marché et de la coopération volontaire depuis 1998.
|
|