Préface de L'âge d'or du libéralisme français, de Robert Leroux et David M. Hart | Version imprimée
par Mathieu Laine*
Le Québécois Libre, 15 février 2014, no 319
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/14/140215-10.html

Le nouvel ouvrage de Robert Leroux et David M. Hart, qui couvre plus d'un siècle d'histoire intellectuelle, retrace les succès et les échecs du libéralisme français, en laissant la parole à ceux qui, de Benjamin Constant à Gustave de Molinari, l'ont façonné et ont contribué à le diffuser.

Cet important courant de pensée, qui prend un essor considérable au lendemain de la Révolution française, est souvent connu de manière superficielle, réduit à quelques auteurs célèbres. En réalité, les grands changements du temps ont eu d'innombrables témoins chez les libéraux. Provenant de différents horizons intellectuels, ils ont défini les principes d'une société libre; d'où leur acharnement à combattre le protectionnisme, le socialisme ou le communisme.

Utopistes, les libéraux l'ont sans doute été, dans la mesure où ils ont mis leur doctrine au service d'une société à faire et à définir. Mais ils ne se sont pas limités à contester l'ordre social et à appeler de leurs voeux diverses réformes; ils ont aussi largement contribué au développement des sciences sociales et de plusieurs disciplines comme l'économie politique, l'histoire, la sociologie, la philosophie et même la littérature.

Chacun des textes est accompagné d'une présentation biographique de son auteur, puis de quelques commentaires sur la nature de son apport à la pensée libérale. C'est, au total, pas moins de quatre générations de penseurs qui se tendent la main à travers le XIXe siècle et qui offrent ainsi une vue d'ensemble de ce qu'on peut appeler « l'âge d'or du libéralisme français ».

Nous publions ici la préface de Mathieu Laine et la table des matières, avec l'aimable permission des auteurs.

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Préface

L'Âge d'or du libéralisme français est un véritable trésor. Une mine remplie des plus beaux diamants intellectuels que la pensée libérale a pu produire. Le travail de sélection de Robert Leroux et David M. Hart, passés maîtres dans l'art subtil et savant de l'extraction des plus beaux textes – et ils sont nombreux ! – que le XIXe siècle a offerts à l'humanité, produit l'effet d'un souffle vertueux.

Du grand Benjamin Constant au visionnaire Gustave de Molinari (son Ultima verba est prophétique) en passant par le génie Jean-Baptiste Say, l'audacieuse et courageuse Germaine de Staël et l'immense Frédéric Bastiat, c'est un feu d'artifice de liberté qui explose à chaque page, un délice pour l'oeil, l'esprit, l'éthique universelle et personnelle. Car ces textes ont en commun d'allier la finesse et l'élégance de la plume, la précision du raisonnement, une puissante modernité et une incroyable capacité d'innovation dans des champs aussi variés que l'économie, la sociologie, la philosophie, le droit ou la morale.

Bien entendu, c'est pour la succession inédite de ces grands penseurs de la liberté que le XIXe siècle peut effectivement être considéré comme un véritable « âge d'or » pour le libéralisme français, et non pour les politiques menées (autoritarismes napoléoniens, régimes monarchiques conservateurs, la Révolution de 1848 marquée par l'opposition violente entre divers courants constructivistes, etc.). Mais c'est bien le bonheur de cet ouvrage de nous replonger dans une pensée qui a su résister aux tyrans comme aux modes et penser avec tant de justesse l'action humaine face aux interventionnismes de toute espèce.

De cette heureuse promenade, qui puise parfois dans le célèbre Journal des économistes du visionnaire Gilbert Guillaumin, on retiendra notamment, sans goût prononcé du paradoxe, que le libéralisme n'est pas un simple économisme, comme ses ennemis veulent souvent le réduire, mais bien un humanisme fondé sur un corps de principes essentiels à la préservation des droits fondamentaux de l'être humain. Car ces penseurs ne sont pas les enfants de la révolution pour rien (on lira Charles Dunoyer sur les révolutions et les révolutionnaires). C'est pour protéger l'individu de l'arbitraire que le droit – naturel – de propriété est sanctifié chez Pierre-Louis Roederer, Charles Comte ou Léon Faucher. Ce n'est pas un vain mot pour Tocqueville de défendre la liberté de la presse ou pour Daunou de combattre pour la liberté d'expression. Et toute personne regardant avec objectivité cette pensée comprend qu'elle s'est très logiquement opposée autant au colonialisme du XIXe siècle (lire le texte d'Yves Guyot) et aux tyrans de son époque (on relira Benjamin Constant sur l'usurpation et le despotisme de Napoléon) qu'elle ne s'élèvera avec force contre tous les totalitarismes du siècle suivant.

Ce livre qu'on dévorera, comme je l'ai fait, d'une traite, en jubilant, ou dans lequel on picorera avec gourmandise, recèle autant de pépites insoupçonnées que de monuments de la pensée (on pense par exemple aux fameux « L'État » et « Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas » de Frédéric Bastiat, que tout honnête homme devrait avoir lu au moins une fois dans sa vie, ou encore ce plaidoyer sublime de Jean-Baptiste Say pour l'entrepreneur, redécouvert depuis par Schumpeter puis par Kirzner).

Il est livré à son public, que j'espère nombreux, à un moment clé où le monde se partage entre ceux qui, happés par la pensée magique, troqueraient volontiers leur liberté pour maintenir l'illusion d'une (fausse) sécurité et s'enchaînent d'ores et déjà aux mensonges du socialisme de gauche, de droite et d'extrême gauche et d'extrême droite, et ceux, de plus en plus nombreux, qui aspirent à recouvrer ces valeurs premières qui font le bonheur des peuples en restaurant les droits de chacun.

Nul doute que cet ouvrage savant et accessible servira la noble cause de ces derniers et qu'au-delà du plaisir réel d'une lecture délicieusement enrichissante, il contribuera, dans la lignée d'un Benjamin Constant rayonnant autant sur la perfectibilité de l'être humain que sur la liberté individuelle, à l'élévation des esprits et au triomphe annoncé du pluralisme et de la liberté. Ou mieux encore, comme l'avance Madame de Staël, de « l'amour de la liberté » !

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Table des matières

Préface : 3
Introduction : 5
- 1 - Benjamin Constant et la perfectibilité de l'homme (1805) : 13
- 2 - Pierre-Louis Roederer et le droit de propriété (1800-1801) : 19
- 3 - Jean-Baptiste Say et la division du travail (1803) : 31
- 4 - Antoine Destutt de Tracy et l'Esprit des lois de Montesquieu (1819) : 45
- 5 - Benjamin Constant sur l'usurpation et le despotisme (1814) : 55
- 6 - Charles Comte et la revue Le Censeur (1814) : 71
- 7 - Charles Comte et les causes de la guerre en Europe (1815) : 75
- 8 - Charles Dunoyer sur les révolutions et les révolutionnaires (1815) : 91
- 9 - Benjamin Constant et la liberté individuelle (1815) : 101
- 10 - Pierre-Jean de Béranger et ses chansons sur la liberté et la politique (1847) : 111
- 11 - Charles Comte et Charles Dunoyer et la revue Le Censeur européen (1817) : 117
- 12 - Antoine Destutt de Tracy et la société (1817) : 123
- 13 - Germaine de Staël et l'amour de la liberté (1818) : 133
- 14 - Pierre Daunou et la liberté d'expression (1819) : 141
- 15 - Charles Dunoyer et la question de la liberté chez les peuples industrieux (1825) : 159
- 16 - Charles Comte et la nécessité de protéger la propriété contre l'État et l'usurpation (1834) : 175
- 17 - Alexis de Tocqueville et la liberté de la presse (1835) : 187
- 18 - Gustave de Beaumont et la nécessité d'abolir l'aristocratie en Irlande (1839) : 197
- 19 - Charles Dunoyer et le rôle du gouvernement (1845) : 211
- 20 - Frédéric Bastiat et la question du libre-échange (1846) : 225
- 21 - Ambroise Clément et la spoliation légale (1848) : 235
- 22 - Charles Coquelin et le crédit et les banques (1848) : 249
- 23 - Gustave de Molinari et la production de la sécurité (1849) : 265
- 24 - Frédéric Bastiat et l'État (1848) : 279
- 25 - Frédéric Bastiat et ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas (1850) : 289
- 26 - Michel Chevalier et le protectionnisme (1852) : 293
- 27 - Léon Faucher et la propriété (1852-1853) : 299
- 28 - Jean-Gustave Courcelle-Seneuil et les lois somptuaires (1852-1853) : 317
- 29 - Horace Say et la division du travail (1852-1853) : 323
- 30 - Augustin Thierry et la naissance de la bourgeoisie (1853) : 329
- 31 - Henri Baudrillart et l'objet de l'économie politique (1857) : 343
- 32 - Édouard Laboulaye et la question des libertés individuelles (1863) : 353
- 33 - Louis Wolowski et Pierre-Émile Levasseur et la propriété (1863-1864) : 363
- 34 - Frédéric Passy et la guerre et la paix (21 mai 1867) : 379
- 35 - Gustave de Molinari et l'évolution de l'État moderne (1884) : 397
- 36 - Yves Guyot et la politique coloniale (1885) : 415
- 37 - Hippolyte Taine et la critique de l'étatisme (1890) : 427
- 38 - Paul Leroy-Beaulieu et l'État (1890) : 437
- 39 - Gustave de Molinari et l'avenir du libéralisme au XXe siècle (1902) : 449
- 40 - Émile Faguet et le libéralisme en France (1903) : 457
- 41 - Gustave de Molinari et ses dernières réflexions sur le libéralisme (1911) : 473

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* Mathieu Laine est avocat spécialisé en droit des affaires et enseigne à Sciences-Po.