Votre culte du peuple souverain - Lettre à l'élite
québécoise |
Il est courant de trouver parmi vous, l'élite cultivée québécoise, la
croyance selon laquelle nous vivons depuis les années 1960 une ère de
lumières qui en a suivi une de noirceur. Nos ancêtres avaient la foi;
vous avez la science. Votre supposition a des ramifications politiques,
car les décisions venant de votre État nous sont largement présentées
comme résultant d'une étude réussie de nos vies. Cette aura
d'omniscience contribue largement à stimuler notre obéissance à vos
commandements.
Tout cela relève du mythe. Vous n'êtes jamais sortis de l'obscurité et
c'est encore la foi qui vous guide. Vous n'avez pas troqué Jésus pour la
science, mais vous vous êtes seulement converti à une autre religion: le
culte d’une abstraction collective, le « peuple souverain ». L'Assemblée
nationale est votre temple. Vous en êtes les fidèles. Quiconque s'oppose
à son pouvoir en défendant l'idéal d'une société fondée sur des échanges
volontaires se buttera inévitablement à votre culte, ainsi qu'à vos
curés déguisés en experts. Votre combat contre notre liberté économique
est fondamentalement religieux.
Origine de l'ordre
Les religions visent à expliquer l'ordre d'une réalité jugée trop
complexe et trop bête pour fonctionner « toute seule ». Nos ancêtres
avaient de la difficulté à concevoir qu'un ensemble de particules de
matières dépourvus d'intelligence puisse produire spontanément de
l'harmonie entre les êtres. C'est pourquoi ils ont supposé l'existence
du divin. Forcément, une conscience supérieure doit être intervenue pour
organiser le chaos et lui donner une forme aussi splendide.
Vous, membres de l'élite savante, avez largement cessé de croire que
l'univers physique nécessite l'intervention d'une telle conscience. Vous
avez donc l'air d'avoir laissé de côté le mode d'explication religieux.
Cependant, vous n'avez jamais cessé de concevoir ainsi notre univers
social. Vous justifiez la supervision politique de nos choix économiques
comme nos ancêtres prouvaient l'existence de Dieu. Sans l'intervention
d'une conscience collective supérieure incarnée dans votre Assemblée
nationale, vos discours et vos manifestations, nos relations
sombreraient dans le « tout est permis ». Notre égoïsme triompherait. Nos
ressources se concentreraient entre les mains des plus forts. La
pauvreté se répandrait avec son lot de tumultes. La Terre perdrait son
équilibre. Votre peuple souverain, une entité collective supérieure
consciente d'elle-même, intervient alors dans l'histoire et installe
l'ordre dans notre univers jugé trop bête pour s'organiser « tout seul ».
Il joue ainsi le rôle d'un Dieu.
Nous, les individus, pouvons défendre notre liberté économique en
affirmant que votre conscience collective est une fiction qui a comme
fonction de justifier le pouvoir que vous voulez exercer sur nous. Nier
l'existence d'une telle entité revient à affirmer que nos
interactions volontaires entre individus constituent en réalité le
centre de gravité réel d'où émanent la raison, l'ordre et le
progrès et qu'elles n'ont besoin d'aucune de vos représentations
collectives « supérieures » pour fonctionner.
Récit fondateur miraculeux
Les religions se fondent sur des récits de super héros et de super
vilains munis de super pouvoirs qui luttent pour installer cet ordre
sacré. Les gentils font des miracles. Leur mental produit directement
des merveilles sans l'intermédiaire d'un mécanisme. Il y a un
« abracadabra » suivi d'un « pouf! »
Le récit fondateur de votre culte du peuple souverain a exactement cette
structure. Votre super héros, c'est le peuple québécois. Les super
vilains, ce sont les grandes compagnies étrangères, les Anglais,
l'Église et les institutions « néolibérales » trompeuses. Ces
super vilains ont les super pouvoirs de nous faire travailler dans les
pires conditions, de nous abrutir, de nous assimiler et de détruire
notre planète. La misère d'avant les années 1960, la Grande Dépression
et le 19e siècle en témoignent. Ce sont ces êtres malfaisants et leurs
super pouvoirs qui en étaient la cause.
Suite à l'avènement des idées de philosophes, le peuple souverain a
commencé à prendre progressivement conscience de lui-même un peu partout
dans le monde, puis sa volonté s'est incarnée ensuite au moyen de
diverses luttes violentes dans des institutions politiques. Au Québec,
ce mouvement nous a atteints après la mort de Maurice Duplessis. Il s'en
est suivi une explosion de prospérité et de justice. Notre monde
chaotique s'est subitement transformé en un monde de générosité éclairée
où nous nous voyons tous attribuer une juste part. Votre lumière s'est
mise à jaillir. Cependant, les forces de l'ombre veillent et rodent
encore autour de nous et votre peuple reste sur le qui-vive.
Ce récit fabuleux a la forme du miracle, car la plupart d'entre vous
n'avez aucune idée du mécanisme qui l'a produit. Votre peuple souverain
a surgi de la Philosophie Sainte, a gagné le combat contre la mal, a
décrété en assemblée que désormais les enfants iront à l'école, que les
patrons offriront de bonnes conditions aux travailleurs, que la lumière
brillera, que les médecins soigneront tous les malades, que l'argent des
riches ira aux pauvres et « pouf! », tout cela s'est produit. Fin de
l'histoire.
Or, nous pouvons, tel des trouble-fêtes devant la prestidigitation d'un
magicien, vous livrer le truc de poulies et de ressorts qui se cachent
derrière la scène. La misère n'est pas apparue sous l'action du
capitalisme, des Anglais et des curés. Elle a toujours été là. La vie
était dure parce qu'il n'y avait pas encore assez de machines, de
bidules, de trucs et de patentes inventés pour produire des choses et
permettre de se les échanger efficacement.
La précarité stimulait la violence et l'insécurité. Ce climat freinait
le développement car les innovateurs n'avaient aucune garantie qu'ils
pourraient jouir du fruit de leur invention. Cependant, chacun des
progrès dans les techniques de production, d'échange et de protection de
la propriété individuelle a permis de créer des îlots de croissance où
les individus étaient libres de faire leurs expériences et de les
marchander sans crainte de représailles. C'est notre liberté et non
votre peuple qui a fait le travail. Ce n'est que tardivement dans ce
processus, lorsque la croissance a atteint l'ensemble d'entre nous, que
vous vous êtes associés dans des organisations politiques afin de
détourner une partie de notre prospérité à votre avantage en employant
une rhétorique de justice sociale extraite des prophéties de Marx et de
Rousseau.
L'État de votre peuple souverain et son culte ont prospéré alors sur les
cendres de la religion de nos ancêtres. Vos conteurs ont ensuite
réinterprété l'histoire comme l'action d'une conscience collective
présente en chacun de nous, tel le Saint-Esprit. Pourtant, la prospérité
n'a pas suivi votre pensée depuis les années 1960, mais l'a précédée et
elle s'est accrue ensuite malgré vous sans que vous n'ayez à en
comprendre le processus, ni à le diriger. Votre peuple et sa magie ne
sont pas au centre de notre histoire, mais à sa traîne, telle une
communauté de poux narcissiques sur le dos d'un cheval qui se croient
responsable de sa vitesse.
Sermon appuyé sur des sources sûres
Le prétendu savoir des religieux ne repose pas sur un art observable,
mais sur une érudition leur permettant de référer à des sources
identifiées comme « sûres » dans le but de sermonner les gens. « Dans tel
passage du Grand Livre Sacré, il est écrit que ceci ou que cela,
tenez-vous le pour dit. » Un médecin n'a pas besoin de se livrer à ce
genre de facéties pour nous convaincre. Nous sentons le mal s'en aller
et cela nous convainc qu'il sait quelque chose. Or, vos prétendus
experts de la société humaine ressemblent beaucoup plus aux curés qu'aux
médecins.
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« Les religions se fondent sur
des récits de super héros et de super vilains munis de super
pouvoirs qui luttent pour installer cet ordre sacré. Le
récit fondateur de votre culte du peuple souverain a
exactement cette structure. » |
Nous n'avons jamais vu un expert de la pauvreté placé en position de
pouvoir la faire disparaître. Ce que nous voyons, c'est vous référant à
des « études » qui emploient des « méthodes fiables » nous proposer des
interprétations de la pauvreté sans être capable de l'influencer. Votre
« savoir » consiste à pointer du doigt des forces parmi nous qu'il faut
contrôler à coup de lois et de programmes, comme nos prêtres détectaient
la présence du malin en nous et se livraient ensuite à des exhortations
pieuses.
Notre liberté économique peut être défendue en niant cette prétention à
une connaissance de la société dans sa globalité. Le savoir utile à nos
interactions n'existe que dans le microcosme de nos vies individuelles
et c'est justement pourquoi les solutions doivent provenir de ce niveau
d'analyse et non du jugement d'une prétendue conscience supérieure
incarnée dans votre Assemblée du peuple souverain et vos druides
déguisés en experts.
Combat moral, signes confus
Les religieux interprètent les situations comme un combat entre le bien
et le mal plutôt que comme une suite d'actions et de réactions. S'il y a
de la misère, c'est parce qu'il y a de la méchanceté. S'il y a de la
joie, c'est parce qu'il y a de la bonté. Il faut que la bonté l'emporte
sur la méchanceté.
Vous interprétez la société largement de cette manière. Votre peuple
souverain vous sert de balance départageant le bien du mal. Celui
d'entre nous qui lui prête allégeance et se soumet à sa volonté est bon
et celui qui s'y refuse est méchant. Il est un « ennemi de classe », un
« égoïste », un « traître à la nation », un « matérialiste », un « néolibéral
de droite », un « individualiste », traductions modernes du concept
ancestral de « possédé par le démon ». Vous confondez alors l'esprit de
votre troupeau avec un sens de la justice.
Les religieux cherchaient le contenu de la volonté supérieure à travers
des signes confus. Votre « volonté du peuple souverain » est interprétée
d'une manière à peine plus savante. Votre vote, vos sondages d'opinion,
vos chroniques, vos manifestations et votre panel d'invités à Tout le
monde en parle sont censés nous indiquer ce que le peuple souverain
veut. Vous y allez tous de votre petite théorie, mais personne d'entre
vous ne peut prétendre en avoir eu la révélation claire.
Vous confondez principalement la volonté de votre gang avec celle du
peuple souverain.
En faveur de notre liberté économique, nous pouvons vous répondre que
nos achats, nos ventes, nos dons et nos choix d'employeurs expriment
notre volonté réelle beaucoup plus clairement que vos votes ou
vos sondages d'opinion, car nous décidons alors pour nous-mêmes dans le
respect du droit d'autrui en étant informé des coûts devant une vaste
diversité d'options sans être dupé par de vagues promesses trompeuses.
Choisir les mécanismes politiques démocratiques comme signe de nos
volontés plutôt que les mécanismes économiques libres est non seulement
arbitraire, mais vraisemblablement contraire à la réalité. Il est
possible de nous faire vouloir à peu près n'importe quoi si vous ne nous
présentez pas une facture et vous nous suggérez que quelqu'un d'autre en
paiera le prix. C'est ce que vous faites.
Exhortation aux sacrifices
Les religions sont passées à l'histoire en nous exhortant à faire des
sacrifices. Elles se sont livrées ainsi à des meurtres ritualisés, mais
elles ont également préconisé la privation matérielle comme moyen de
purifier son âme. Vous et votre culte du peuple souverain vous
nourrissez largement de cette tradition ancestrale. Se priver d'un
revenu et le mettre en offrande à l'État du peuple souverain est un acte
vertueux peu importe le résultat. Il faut réduire notre consommation
pour éviter des malheurs épouvantables.
Cet appel au sacrifice ne suit pas une analyse rationnelle, mais un
instinct millénaire auquel vous superposez ensuite des motifs rationnels
ramassés dans un bric-à-brac conceptuel de chiffres sorti de leur
contexte, d'appel à l'autorité, d'anecdotes et de légendes urbaines.
Vous pensez que nous épuisons les ressources, alors que nous les
produisons et que notre potentiel à le faire défie les limites de votre
imagination craintive.
En termes de sacrifices humains, votre culte aura été la religion la
plus sanglante. Presque toutes les guerres, depuis la Révolution
française, ont une justification commune: le combat du peuple souverain
contre ses ennemis. Auparavant, la guerre était largement une affaire
privée entre des rois et des mercenaires professionnels à leur solde et
se limitait à des querelles territoriales délimitées. Avec l'avènement
mondial de votre culte, la guerre s'est transformée en une industrie du
meurtre visant à protéger votre Dieu du danger. Ces exactions ont été
commises peu importe si la volonté du peuple s'exprimait dans la
personnalité d'un chef charismatique ou dans une assemblée de
représentants élus.
Et alors?
Si nous cessons de nous vouer à votre culte, qu'est-ce qui se passe? Vos
agissements nous apparaissent sous un nouvel éclairage. Vos discours
expriment votre volonté particulière d'imposer votre vue à la
collectivité tout entière. Votre défense d'un « idéal collectif » n'est
plus une vertu civique, mais une menace. Vous ne semez plus l'ordre et
la justice, mais agressez aveuglément notre propriété et notre liberté.
Nous en récoltons le désordre, la pauvreté et l'injustice.
Le monde en dehors de l'association politique ne nous suggère plus le
chaos, mais une marche vers le progrès. La source du mal n'est plus à
nos yeux la mauvaise volonté des individus, mais la mécanique du pouvoir
politique, la rareté des ressources, l'envie, la peur et vos
superstitions. Le peuple souverain nous apparaît comme une chimère utile
à votre emprise sur nous. Nous avons désormais foi dans notre capacité
d'échanger, d'aider, de nous associer et de nous protéger sans la
supervision de votre conscience supérieure incarnée dans un monopole de
la violence « légitime ».
Le problème, ce n'est peut-être pas le crucifix qui y est accroché, mais
l'Assemblée nationale elle-même, point de convergence de toutes les
prières du Québec moderne. C'est elle le plus grand signe ostentatoire
qui devrait se faire plus discret.
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
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