La tyrannie fiscale, par Pascal Salin |
Après L'arbitraire fiscal, paru en 1985,
Pascal Salin publie
La tyrannie fiscale,
un nouveau livre qui actualise et développe sa
réflexion sur la fiscalité. L'ouvrage arrive à
point nommé, en plein débat sur une possible « révolution fiscale », après l'épisode des
« pigeons » et celui des « bonnets rouges ». Le
titre rappelle d'ailleurs cette actualité, en
suggérant qu'en moins de trois décennies nous
serions passés de l'« arbitraire » à la « tyrannie ». Mais l'ambition de Salin n'est pas
d'alimenter la polémique mais, au contraire, de
prendre du recul, de rappeler les principes, de
fournir à son lecteur les clés indispensables
pour aborder le sujet en raison.
C'est ce qui le distingue d'autres parutions. Il ne s'agit pas d'un
recueil de statistiques sur la répartition, le poids ou l'évolution de
l'impôt ou l'évasion fiscale. Il ne s'agit pas d'une histoire de
l'impôt, que ce soit pour le glorifier ou pour l'enterrer. De tels
ouvrages existent mais il leur manque généralement une vision
d'ensemble. Salin propose ici une introduction à l'économie politique de
l'impôt, une réflexion sur l'éthique et la philosophie politique de la
fiscalité.
« Il manque au système fiscal français une compréhension des
concepts économiques et la volonté de fonder ce système sur une
construction théorique valide… Le débat sur la fiscalité se focalise
sur des détails plus ou moins techniques, sans principes et sans
vision d'ensemble. »
Comment s'apprécie le poids de l'impôt?
« La part des prélèvements obligatoires dans le
PIB est passée de 30% en 1960 à plus de 46% en 2013. La France est l'un
des pays du monde où ce taux est le plus élevé, mais ce taux ne peut
constituer un critère unique de référence… En particulier, la fiscalité
et la réglementation sont des moyens parfaitement substituables… De
plus, l'impôt ne doit pas s'apprécier seulement du point de vue de son
pourcentage global dans le revenu national, mais surtout du point de vue
de son poids marginal. »
Qui paie quoi? La réponse est étonnante:
« L'impôt ne frappe pas ceux que l'on croit.
On n'a que très rarement – si ce n'est jamais –
les moyens de savoir exactement qui supporte ou
paie effectivement le poids de tel ou tel impôt
dans un système fiscal donné. C'est pourquoi
personne ne peut dire, par exemple, comment le
poids de l'État est réparti entre les
contribuables français. Il n'est donc pas
possible de mesurer l'effet redistributif de la
fiscalité et les gouvernants ont probablement intérêt à ce qu'on ne
puisse pas le faire. »
« Prélever des impôts sur les entreprises, c'est-à-dire sur des
contribuables qui n'ont pas le droit de vote, n'est-ce pas l'idéal? » Mais une présentation
pédagogique de l'incidence fiscale permet de
comprendre pourquoi « l'impôt n'est
certainement pas payé par l'entreprise, »
quoi qu'en disent certains!
Après s'être demandé qui paie, Salin
se pose la question de ce qui est taxé
exactement: est-ce le travail, le capital, la
consommation, l'échange? Cette question est
trop rarement abordée, ce qui conduit parfois à
des débats stériles sur l'assiette de l'impôt.
Or, « un économiste sait bien qu'il y a
équivalence entre revenu et capital, »
c'est pourquoi « restent alors deux
possibilités: imposer la détention des biens ou leur consommation. »
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« L'ambition de Salin n'est
pas d'alimenter la polémique mais, au contraire, de prendre
du recul, de rappeler les principes, de fournir à son
lecteur les clés indispensables pour aborder le sujet en
raison. » |
Il est facile de « comprendre pourquoi l'impôt sur le capital
existe. En effet, il est plus facile de s'emparer du capital matériel
que du capital humain, et c'est pourquoi on s'en empare effectivement. »
« Pour un contribuable, le bonheur consiste alors à posséder
un capital humain, non soumis à l'impôt sur le capital, et à
l'utiliser pour sa propre satisfaction, sans passer par le marché,
de manière à éviter de faire apparaître des revenus monétaires.
L'imprudence consiste à travailler, à se priver pour accumuler des
richesses qu'on met à la disposition d'autrui. L'idéal pour le fisc
consiste au contraire à trouver un capital facile à mesurer et un
revenu qui le soit également. »
Puis on se demande qui prélève
l'impôt. Outre la distinction entre impôts
directs et indirects, Salin rappelle que, bien
souvent, « les hommes de l'État se servent de
l'entreprise comme d'un collecteur d'impôts. »
En raison de son lien avec la crise
économique actuelle, « une place à part doit
être attribuée à l'impôt d'inflation… Certes, ce dernier n'est pas
nécessairement perçu entièrement par l'État, dans la mesure où celui-ci
n'est pas forcément propriétaire de tout le système bancaire, mais, à
notre époque, ce sont toujours les hommes de l'État qui sont à l'origine
de l'impôt d'inflation car ce sont eux qui se sont attribué le pouvoir
de décision ultime dans le domaine de la création monétaire, en mettant
en place un système bancaire hiérarchisé… Le développement de ces
politiques a eu pour conséquence de faire passer les économies
capitalistes d'un monde de fonds propres, c'est-à-dire de droits de
propriété individualisés, à un monde de crédit, bien souvent illusoire,
d'origine monétaire. Ainsi, le financement par l'inflation remplace le
financement par l'épargne. »(1)
Les questions éthiques liées à l'impôt sont
abordées, et en particulier la distinction entre
« assurance et solidarité » ou, en jargon
économique, entre impôt contributif et impôt non
contributif. Les deux sont souvent confondus,
comme dans certains livres de Thomas Piketty
(cf.
Pour une révolution fiscale). Mais une
fois la distinction faite, il apparaît
clairement que « la réforme la plus
importante consisterait à réintroduire la liberté de choix dans les
services d'assurances. La solidarité serait assurée par ailleurs au
moyen de financements spécifiques. »
Salin critique les arguments avancés depuis
la création de l'impôt progressif en 1917 et
défend l'idée que
« la disparition de toute
progressivité devrait apparaître comme une amélioration du système
fiscal. Il nous paraît même utile de réhabiliter l'impôt de capitation. » Ces clarifications sont
bienvenues et vont à l'encontre des propositions
de fiscaliser la Sécurité Sociale, qui
aboutiraient à rendre progressif et non
contributif un impôt qui est aujourd'hui
proportionnel, contributif et plafonné.
Le livre aborde également les aspects politiques de l'impôt sous l'angle
des choix collectifs: « La résistance collective à l'impôt est un
signe d'autant plus remarquable de non-consentement à l'impôt qu'elle
est particulièrement difficile à organiser. Chaque citoyen a intérêt à
chercher un avantage étatique – puisque cela est plus facile et peut
rapporter davantage – plutôt que de lutter contre l'impôt. »
Pour Pascal Salin, l'objectif principal d'une
réforme fiscale devrait être la suppression ou
l'atténuation de la surtaxation de l'épargne.
C'est pourquoi il défend depuis longtemps
l'impôt sur la « dépense globale » qui consiste
en ce qu'aucun impôt n'est prélevé s'il n'y a
pas consommation(2).
« La révolte fiscale étant d'autant plus difficile à organiser que les
intérêts des contribuables sont divergents, la réforme fiscale est donc
d'abord une réforme institutionnelle. » Enfin, face aux
tentations d'harmonisation fiscale européenne,
Salin rappelle son attachement à la concurrence
fiscale(3).
Parmi les points qui peuvent faire débat, Salin écrit qu'« il n'est
pas possible de supposer que le taux de rendement moyen du capital dans
une économie est significativement supérieur à 2 ou 3% sur une longue
période… Les revenus du capital sont aléatoires, de même évidemment que
sa valeur. Toutes sortes de facteurs concourent donc pour empêcher la
concentration durable du capital dans une même lignée ». Or, Thomas Piketty, dans son livre
Le capital au XXIème siècle, affirme que
le rendement moyen net d'inflation est proche de
5% et conduit justement à une accumulation
dynastique si aucune mesure de redistribution
fiscale n'est prise (à défaut d'une guerre).
À lire sans tarder, donc, en particulier pour
ceux qui ne connaissaient pas L'arbitraire
fiscal.
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Salin |
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