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Les origines intellectuelles de
l'antisémitisme, selon Ludwig von Mises* | Version imprimée |
par
Damien Theillier** |
Le Québécois Libre, 15 avril
2014, no 321
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/14/140415-3.html
On a beaucoup parlé d'antisémitisme
en France ces temps-ci à propos de
l'affaire Dieudonné. Au-delà de la
question de savoir s'il s'agit d'une provocation ou d'un phénomène
inquiétant, il est intéressant de comprendre la mécanique intellectuelle
qui a engendré l'antisémitisme dans l'Allemagne nazie au XXe siècle.
Pour Ludwig von Mises, l'antisémitisme est
une variante de ce qu'il appelle le polylogisme,
un sophisme inventé par Marx un siècle auparavant.
Jusqu'au milieu du XIXe siècle, personne
n'osait contester le fait que la structure logique de l'esprit était
identique et commune à tous les êtres humains. Toutes les relations
humaines sont fondées sur l'hypothèse d'une structure logique uniforme.
Les hommes peuvent entrer en discussion parce qu'ils peuvent faire appel
à quelque chose de commun à tous, à savoir la structure logique de la
raison. Il est difficile d'imaginer un monde peuplé d'hommes dotés d'une
structure logique différente de la nôtre. Aucune coopération sociale et
intellectuelle avec ces hommes ne serait possible. Or, selon Mises,
Au cours du XIXe siècle,
ce fait indéniable a pourtant été contesté. Marx et les marxistes (...)
ont enseigné que la pensée est déterminée par la situation de classe de
celui qui pense. Ce que la pensée produit n'est pas la vérité, mais des
idéologies. Ce mot signifie, dans le contexte de la philosophie
marxiste, un déguisement de l'intérêt égoïste de classe à laquelle
appartient l'individu qui pense. C'est pourquoi il est inutile de
discuter quoi que ce soit avec des personnes d'une autre classe sociale.
Les idéologies n'ont pas besoin d'être réfutées par un raisonnement
déductif; elles doivent être démasquées en dénonçant la situation de
classe, l'arrière-plan social de leurs auteurs. Ainsi les marxistes ne
discutent pas les mérites des théories physiques; ils dévoilent
simplement l'origine bourgeoise des physiciens(1).
Le polylogisme s'oppose
à l'universalisme, c'est-à-dire à l'idée qu'il existe des vérités
universelles que la raison peut reconnaître. Mises explique comment
le marxisme et le nazisme procèdent de ce genre d'idées: il n'y aurait
pas une structure logique identique pour tout individu, mais une
structure logique de l'esprit différente selon l'appartenance à des
catégories déterminées, selon les classes, les races ou les sexes (ou
les nations). Ainsi, pour le marxisme, il y aurait une logique
prolétarienne et une logique bourgeoise. Pour le nazisme, il y aurait
une logique aryenne et une logique juive. Pour certaines féministes, il
y aurait une logique masculine et une logique féminine.
Aux yeux des marxistes,
Ricardo, Freud, Bergson et Einstein sont dans le faux parce qu'ils sont
bourgeois; aux yeux des nazis, ils sont dans le faux parce qu'ils sont
juifs. Ainsi, les nazis se sont composés un polylogisme à eux, affirmant que la structure logique de l'esprit
serait différente suivant les nations et les races. Chaque race ou
nation aurait sa propre logique et donc une économie, des mathématiques,
une physique et ainsi de suite qui lui sont propres. La seule logique et
la seule science exactes, correctes et éternelles seraient celles des
Aryens. C'est pourquoi un des premiers buts des nazis fut de
libérer l'âme aryenne de la pollution des philosophies occidentales de
Descartes, Hume et John Stuart Mill.
Mises a également montré que le principal
obstacle à surmonter pour Marx fut la critique dévastatrice des
économistes.
Les marxistes ont eu recours au
polylogisme parce qu'ils ne pouvaient pas
réfuter par des méthodes logiques les théories développées par les
économistes bourgeois ou des déductions tirées des théories démontrant
le caractère impraticable du socialisme. Ne pouvant démontrer
rationnellement la solidité de leurs propres thèses ou la fragilité des
idées de leurs adversaires, ils ont dénoncé les méthodes logiques
acceptées.
Le succès de ce stratagème marxiste fut
sans précédent. Il a servi de preuve contre toute critique rationnelle
aux absurdités de la soi-disant économie et la soi-disant sociologie
marxistes. Ce n'est que par la supercherie logique du
polylogisme que l'étatisme a pu s'implanter
dans les esprits modernes.
Mais le polylogisme est
absurde car il est logiquement contradictoire. Il ne peut être porté
jusqu'à ses conséquences logiques ultimes. Aucun marxiste n'a eu assez
d'audace pour tirer toutes les conclusions qu'exigerait son propre point
de vue épistémologique. Le principe du polylogisme conduirait
à la déduction que les enseignements marxistes également ne sont pas
objectivement vrais, qu'ils ne sont que des affirmations idéologiques;
mais les marxistes le dénient. Ils revendiquent pour leurs doctrines le
caractère de vérité absolue.
D'où la conclusion de
von Mises:
Le polylogisme n'est
pas une philosophie ni une théorie épistémologique. C'est une attitude
de fanatiques bornés, qui ne peuvent imaginer que quelqu'un puisse être
plus raisonnable ou plus intelligent qu'eux-mêmes. Le polylogisme n'est
pas non plus scientifique. C'est plutôt le remplacement du raisonnement
et de la science par des superstitions. C'est la mentalité
caractéristique d'un âge de chaos.
Note
1. Ludwig von
Mises,
Le Gouvernement omnipotent. De l'État totalitaire à la
guerre mondiale. Éditions politiques, économiques et sociales —
Librairie de Médicis — Paris (1947). Traduit par M. de
Hulster. Troisième partie — Le nazisme
allemand, VI. Les caractéristiques particulières du nationalisme
allemand, 6. Polylogisme.
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*Texte d'opinion publié le 17 mars 2014
sur 24hGold. **Damien
Theillier est président de l'Institut
Coppet et professeur de philosophie à Paris. |