L'agonie de l'État-nation québécois et la perspective de
jours meilleurs |
Si le Québec était un individu,
la période précédant 1960 correspondrait à son enfance. Depuis ce
temps-là, il en est à l'adolescence. Ce qui s'en vient, c'est l'âge
adulte.
Les clichés traditionnels sur le peuple canadien-français d'antan
correspondent bien à l'enfance. Ce peuple était censé se voir comme
« petit » et obéissant aux « grands » que représentaient la chrétienté sous
l'égide du pape, Sa Majesté la reine et l'industrie américaine sous la
supervision de Dieu le Père. Il était composé de travailleurs soumis à
leur patron et de femmes, un peu nunuches, aux ordres de leurs maris.
Pendant que les Anglais avaient leurs représentants dans la grande table
des adultes que constitue le monde, nous devions manger à part avec de
vulgaires provinces canadiennes.
Étant d'un naturel sceptique, je soupçonne que ces représentations ont
été construites après coup pour justifier des causes politiques.
Dénigrer nos ancêtres est un vieux truc que les amis du présent pouvoir
emploient pour légitimer l'emprise qu'ils ont sur les postes de police,
les tribunaux, les écoles, les garderies, les hôpitaux, la charité, les
routes et notre portefeuille. Cependant, faisons comme si les choses
s'étaient passées ainsi et poursuivons. Si les Canadiens français
étaient des enfants, les nationalistes et étatistes québécois depuis la
Révolution tranquille sont des adolescents. La comparaison vous
apparaîtra peut-être insultante, mais elle est aussi porteuse d'espoir,
car elle signifie que nous pouvons tendre vers mieux.
Un adolescent se rebelle contre les grands en se racontant une fable
dont il est le super-héros. Une fable, c'est un récit où les événements
et les personnages prennent des dimensions grandioses. Refaire le monde,
vaincre la pauvreté, combattre les injustices, créer un pays, garantir à
tous la santé, bâtir une gigantesque entreprise énergétique, sauver la
planète d'un holocauste climatique et dompter sa soif de consommation
pour préserver le sous-sol d'un épuisement total sont de nobles causes
dignes de n'importe quel esprit tapageur âgé de 15 ou 16 ans qui rêve de
devenir un héros. Les proportions lui donnent un sentiment de puissance.
L'industrie du conte, qui prend le nom prestigieux de médias, peut faire
la piastre en le titillant un max à coup de grands titres menaçants et
de potins jet set sur les sauveurs qui s'y attaquent. Tout un
chacun choisit ses idoles, puis fantasme de faire comme lui.
Tout seul, ce n'est pas vraisemblable d'être aussi héroïque. Pour
parvenir à se la raconter, il nous faut un concept et un instrument
assez forts. L'État-nation est l'outil parfait. Comme au Centre Bell, en
regardant le club de hockey des Canadiens de Montréal, la nation permet
à l'individu de se projeter dans une entité plus grande en ayant
l'illusion de lui donner vie. C'est magique. Si la nation, en plus, a le
monopole de la police, des tanks, des tribunaux, de la taxation, des
écoles et d'un vaste territoire « collectif », elle peut alors commander
ce qu'elle veut, faire fi des obstacles et arrêter les méchants à
souhait. Le Canadien français en phase rebelle contre les parents
oppresseurs a donc trouvé un super-héros à sa mesure pour jouer dans la
cour des grands.
C'est ainsi qu'est né le peuple et l'État-providence québécois.
Les
moulins à vent démocratiques
Cervantès a écrit, au début du 17e siècle, un roman dont le héros est
Don Quichotte. Ce dernier avait passé trop de temps à lire des histoires
de chevaliers et s'était mis en tête de défendre la veuve et l'orphelin.
En réalité, il faisait un fou de lui en combattant des moulins à vent.
La période adolescente du Québec, qui va de 1960 à aujourd'hui, me fait
penser à cette histoire.
Le Québec ne sera pas de sitôt un pays. La peur climatique est une
exagération éhontée nourrie par des groupes de chercheurs en quête de
financement et de journaux qui vendent des sensations fortes. Les jeunes
qui manifestent pour des droits de scolarité ne sont pas en train de
donner leur temps ou leur argent à des vraies causes charitables. Ils
cherchent à se faire payer leurs études avant d'entrer dans la classe
moyenne ou à perdre à rabais des années de leur vie dans l'obtention de
diplômes louches qui n'améliorent pas leur sort, mais celui de leurs
profs. Les programmes sociaux aident beaucoup plus les employés qui les
gèrent que les usagers eux-mêmes. La guerre à la pauvreté ressemble à
celle des tranchés de 1914-1918: l'ennemi ne recule pas d'un pouce.
L'éducation publique est une farce. Elle produit souvent des bouts de
papiers déconnectés du marché du travail et de la vraie vie, puis
consiste à nous bourrer le crâne de représentations et de valeurs
citoyennes qui se confondent curieusement avec une sorte de propagande
nous exhortant d'appuyer religieusement l'État-providence et son rituel
démocratique. Les universités ressemblent à un racket de charlatans. Les
policiers perdent leur temps à chasser les automobilistes ou à
emprisonner les drogués et les putes sans jamais nous offrir de résultat
concret. Les juges ont l'air de protéger davantage les criminels que les
innocents. Les hôpitaux masquent la pénurie de services par des listes
d'attentes. Les routes s'effondrent. Etc.
Qui profite du gouvernement? Ceux qui y travaillent ou qui font partie
de ses protégés. Ce ne sont pourtant pas des impotents et ils seraient
capables de se débrouiller tout seul. Pour le reste des gens, les
comptes de taxes, l'inflation et les tarifs de toutes sortes grimpent
sans arrêt. Une dette publique pompe des investissements qui seraient
plus utiles ailleurs et hypothèquent l'avenir de nos enfants.
Serions-nous capables d'obtenir mieux avec cet argent sur des marchés où
les entrepreneurs seraient libres d'entrer en compétition pour nous
faire la meilleure offre? Vraisemblablement.
Il y a un décalage majeur entre
la réalité du Québec et les représentations ambiantes que nos experts
conteurs diffusent dans les médias et les salles de classe. Cela a un
nom: l'idéologie. Comme Don Quichotte, nous croyons avoir mis sur pieds
des institutions qui sauvent la veuve et l'orphelin, mais nous
n'aboutissons qu'à dilapider l'héritage de nos grands-parents comme des
adolescents irresponsables.
Le
défi adulte
Si je voulais jouer les prophètes, je vous dirais que la défaite
électorale retentissante du Parti québécois le 7 avril dernier est un
présage. Ce récit incarné par les ténors souverainistes depuis plus de
50 ans agonise. La réalité les rattrape. L'État n'a plus les moyens de
se donner des allures providentielles salvatrices. Son visage hideux
commence à paraître derrière la rhétorique hypocrite de groupes de
pression égoïstes et d'illuminés en mal d'héroïsme. D'autres événements
suivront dans cette direction. Le Parti libéral du Québec n'est pas en
dehors de cette mouvance, mais en fait partie. Les politiciens
ressembleront de plus en plus à des empereurs décadents en fin de règne
en cumulant les histoires sordides de corruptions et de magouilles, ou
seront contraints à n'être platement que de bons gestionnaires de
crises. Ce destin attend Philippe Couillard et ses successeurs.
|
« J'écris ce texte à
l'intention notamment de mes amis libertariens en nous
incitant à jouer le jeu de nos adversaires, en rêvant nous
aussi. C'est de cette manière qu'ils ont réussi à prendre le
contrôle de l'opinion publique. Faisons la même chose. » |
Cependant, il est logique que le mouvement souverainiste soit le premier
bataillon à tomber au combat, car c'est le premier à avoir investi ce
délire des rêves les plus fous. Les libéraux sont le choix de la plate
raison suivant un lendemain de brosse, mais ils ne feront pas long feu.
Pourquoi? Parce que sans le rêve d'une nation s'incarnant dans
l'histoire pour supporter l'État, les individus réels qui peuplent le
Québec perdront peu à peu les lunettes roses qui leur font croire qu'il
est légitime, vrai, bon et beau. Cette déception se retournera contre la
classe politique au grand complet, ainsi que contre les élites qui les
appuient à la manière d'un clergé moderne.
Cette convergence des astres est un signe d'espoir et non le contraire.
Il est normal pour ceux qui ont cru au mythe de l'État-nation de réagir
comme si l'effritement des institutions démocratiques était la fin du
monde. Pour ceux qui, comme nous, n'y ont jamais cru ou ont depuis
longtemps cessé d'y croire, c'est plutôt une bonne nouvelle, car le vide
qu'elles laisseront dans la société constituera des opportunités de
projets nouveaux que les individus rempliront chacun à leur manière en
toute liberté.
Ceux parmi vous qui ont connu la tempête du verglas de 1998 pourront
comprendre l'analogie suivante. Lorsque l'électricité est coupée, nous
avons l'occasion de découvrir des habitudes oubliées, comme, par
exemple, les soirées passées devant un feu à jouer à des jeux de
société. Eh bien, j'ai espoir que la faillite de nos ministères aura le
même effet et que leur présence ne fait qu'inhiber nos instincts les
plus nobles.
Les pans de l'État en ruine deviendront de nouveaux marchés à conquérir.
Les individus créatifs seront encouragés à mobiliser des énergies pour
créer leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs organismes de charité, leurs
régimes d'assurances, leurs services de protection, et à faire mieux
qu'actuellement. Les gens retrouveront des habitudes de solidarité
spontanée centrée sur les liens sociaux immédiats pour parer aux coups
du sort, s'ils en ont besoin. La générosité n'en sera plus une de façade
qu'on se raconte lors d'une élection ou en faisant une manifestation,
mais une nécessité réelle produite par la présence de gens concrets en
chair et en os dans notre voisinage qui ne peuvent compter que sur nous
pour s'en sortir.
Cette situation sera l'occasion de découvrir que nous ne sommes pas des
êtres égoïstes, comme nous l'a inculqué la propagande sociale-démocrate,
mais plutôt des individus dignes d'aider par eux-mêmes. Les barrières
artificielles du gouvernement sur le marché du travail et des
investissements s'effondreront comme le mur de Berlin, augmentant nos
opportunités à tous. Je vous raconte cela avec lyrisme et passion pour
vous dire que nous pouvons rêver de l'effondrement de l'État-nation à la
manière dont nos parents l'ont fait de son avènement.
Ce moment historique peut être présenté comme le défi d'un passage à
l'âge adulte. L'adolescent s'improvise sauveur en se donnant des défis
surhumains dans un univers d'événements présentés comme grandioses.
L'adulte redescend sur terre, reconnaît ses limites et se donne des
projets à la taille d'un individu. Il s'occupe de son carré de terre, de
sa maison, de sa famille, de son voisinage, de sa job et de ses amis. Il
cherche à être souverain lui-même avant de lutter pour l'indépendance de
gens qu'il ne connaît pas. S'il est assez confiant, il se lancera en
affaire en partant une petite entreprise. Si son idée s'avère géniale,
il pourra ambitionner plus grand, mais il ira étapes par étapes.
Il ne se mêle pas de ce qui ne le regarde pas ou dépasse son
entendement. Il n'est pas égoïste. Il peut donner généreusement de son
temps ou de son argent. Il ne croit pas à des solutions miraculeuses qui
vont mettre fin à toutes les injustices et à la souffrance, mais espère
seulement que les choses iront mieux peu à peu à force de petits pas
individuels. Il sait que des gens ont été plus avantagés que lui dans la
vie. Cependant, il a la sagesse de calmer sa jalousie inutile, puis de
regarder les solutions accessibles autour de lui pour améliorer son
sort. Institutionnaliser le vol en le nommant taxation et imposition lui
apparaît comme une arnaque plus qu'une manière de partager la richesse.
Il voudrait forcer les gens à arrêter de déconner, mais se dit que,
souvent, la meilleure manière de les aider, c'est de les laisser se
planter et apprendre de leurs erreurs. Cela a un nom: la maturité.
Vous voulez imaginer un grand peuple? Imaginez alors qu'il est constitué
d'individus de cette stature plutôt que d'imaginer un drapeau aux
Nations-Unies, de grandes dépenses publiques ou une surface visible sur
votre globe terrestre. La taille de votre État vous apparaîtra bien
petite en comparaison.
Nous sommes à la croisée des chemins. Nous pouvons nous enfoncer
davantage dans l'immaturité en nous racontant des récits de plus en plus
déconnectés de la réalité, en rêvant de miracles. Nous pouvons nous
leurrer sur l'existence d'une richesse crasse et éhontée qu'il suffit de
saisir par la force pour revenir aux belles années glorieuses. Nous
pouvons appuyer des mouvements politiques de plus en plus contrôleurs et
violents, comme de nombreuses personnes l'ont fait au cours du 20e
siècle avec les résultats que l’on connaît.
Ou au contraire, nous pouvons nous ressaisir et profiter de la situation
pour démonter pièce par pièce l'État qui nous contrôle, congédier ses
fonctionnaires, récupérer l'argent de nos taxes, magasiner nous-mêmes
nos services et nos partenaires sans bureaucrate pour nous tenir par la
main, puis occuper nous-mêmes en adulte responsable l'espace laissé
vacant en partant nos propres projets. Cela s'appelle « privatiser »,
terme péjoratif que nous gagnerions à réhabiliter, car le privé, c'est
nous. Le public, c'est eux: les profiteurs qui se sont servis à nos
dépends en s'autoproclamant nos représentants et nos sauveurs.
Démasquons-les comme les intrus parmi nous et exigeons d'eux qu'ils se
cherchent une occupation plus respectueuse de la dignité de notre
portefeuille. Si nous remettons ainsi l'Assemblée nationale à se place
en l'éjectant de notre nation comme étant une institution de fraudeurs
et de voleurs, alors, peut-être, nous aurons envie d'en faire de même
avec la Chambre des communes.
Les
représentations perdantes et gagnantes
L'idée de nation n'est pas à rejeter. Le sentiment d'appartenir à un
grand groupe restera une puissante source de motivation individuelle à
entreprendre des projets. Cependant, nous devrions apprendre à nous la
représenter de façon plus gagnante. Voici quelques conseils rapides:
-
L'État ne représente pas la nation, mais la pille;
-
Les frontières ne nous protègent pas des étrangers, mais nous
empêche de saisir les opportunités qu'ils nous offrent;
-
L'immigration n'est pas une menace pour la langue française,
mais une occasion de convaincre des gens de la parler;
-
La meilleure manière de convaincre les nouveaux arrivants
d'adopter nos modes de vie n'est pas de les contrôler, mais de se
montrer attirants;
-
Un territoire collectif qui n'appartient à personne en
particulier est une poubelle, alors qu'une propriété individuelle
est un jardin que nous cultivons afin de le revendre plus cher ou de
le léguer en héritage;
-
Nous n'avons pas besoin de fonctionnaires pour nous forcer à
être généreux. Ce sont plutôt eux qui ont besoin de croire que nous
le sommes pas pour pouvoir l'être à notre place;
-
Nos jeunes doivent apprendre à gagner leur vie par eux-mêmes
avant d'ambitionner de sauver le monde. Subventionner leurs
fantasmes est donc une mauvaise idée;
-
Nous sommes plus habiles à négocier nos prix et nos services
d'assurance contre la maladie, les dangers et les agressions que les
experts des ministères de la Santé et de la Justice peuvent le
faire;
-
Nous avons parmi nous de brillants esprits capables de devenir
millionnaires en partant des projets géniaux d'organismes de
charité, d'écoles, d'assurances et d'hôpitaux qui feront le bonheur
de notre collectivité;
-
Au lieu de se lamenter contre les paradis fiscaux, devenons-en
un et attirons l'argent de tous ceux dans le monde qui sont épuisés
de se faire racketter par leurs gouvernements;
-
Nous ne sommes pas le gouvernement. Leur indépendance n'est pas
la nôtre, mais celles de ses fonctionnaires.
Peut-être qu'en pensant ainsi,
nous cesserions de nous concevoir comme des perdants en lutte pour notre
survivance. Nous commencerions enfin à nous présenter comme des gagnants
qui luttent pour se déployer. L'État ne nous agrandit pas, il nous
rapetisse.
Vous me direz que je suis rêveur. Oui, je le suis. Je suis cependant
pragmatique et je constate l'impact des rêves sur notre société. Je me
désole que nous rêvons mal. J'écris ce texte à l'intention notamment de
mes amis libertariens en nous incitant à jouer le jeu de nos
adversaires, en rêvant nous aussi. C'est de cette manière qu'ils ont
réussi à prendre le contrôle de l'opinion publique. Faisons la même
chose. Récupérons le nationalisme et tous les idéaux qui les animent au
lieu de les combattre en montrant comment ils seront mieux défendus dans
le privé. Diffusons cette fabuleuse histoire et permettons-nous d'être
un peu romantique. Le terreau sera de plus en plus fertile, car nos
adversaires ont étiré l'élastique jusqu'au bout. Pauline Marois a
sombré, Philippe Couillard la suivra sous peu et, un jour, ce sera la
flotte au complet. Préparons l'offensive. |
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
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