Les adeptes de la redistribution de la richesse aux États-Unis ont
trouvé un nouveau héros en la personne de l'économiste français Thomas
Piketty. L'auteur de l'ouvrage Capital au XXIe siècle, récemment
traduit en anglais, critique sévèrement les inégalités engendrées par
les économies capitalistes modernes et avertit que l'économie de marché
« peut menacer les sociétés démocratiques et les valeurs de justice
sociale qui en découlent ». Pour corriger le tout, il propose un impôt
mondial sur la fortune et un taux d'imposition de 80 % pour les revenus
supérieurs à 500 000 $ aux États-Unis.
Il n'en fallait pas moins pour soulever l'euphorie à gauche. Dans
les deux derniers mois, le livre de Piketty a été cité plus d'une
demi-douzaine de fois par le New York Times, honneur qu'aucun
livre n'a reçu récemment. L'économiste et chroniqueur Paul Krugman
encense l'ouvrage comme étant « le meilleur livre sur l'économie de
l'année ». De son côté, Martin Wolff du Financial Times louange le
livre en le qualifiant d'« extraordinairement important ».
Capital au XXIe siècle est bien documenté, contient beaucoup
d'information utile et offre d'importantes réflexions. Mais le livre
n'est pas sans faille. Il y a quelques problèmes d'ordre technique –
Piketty tend à sous-estimer l'élasticité du retour sur investissement en
capital –, mais la plupart sont plutôt d'ordre philosophique. Piketty
tient pour acquis les méfaits de l'inégalité, négligeant au passage de
se demander si ce qui augmente la richesse des plus riches n'augmente
pas aussi le bien-être des plus pauvres. En d'autres termes, doit-on se
soucier que certains soient immensément plus riches du moment que l'on
puisse réduire la pauvreté au passage? Doit-on prioriser l'égalité ou la
prospérité?
Pour ne prendre qu'un exemple, Piketty consacre beaucoup de temps à
critiquer l'augmentation des inégalités en Chine ces trente dernières
années au fur et à mesure qu'elle adoptait des politiques de libre
marché. Par contre, il passe complètement sous silence le fait que ces
politiques ont extirpé plusieurs millions de personnes de la pauvreté.
Les « solutions » qu'il apporte sont tout aussi problématiques. Il semble
croire que l'on peut imposer un « impôt prohibitif » (son expression) sans
changer les incitations ou décourager l'innovation et la création de
richesse. Le monde selon Piketty serait sans doute plus égal, mais
serait aussi nettement plus pauvre.
Néanmoins, l'auteur marque quelques points. Plus particulièrement, il
observe correctement qu'un retour sur investissement en capital surpasse
presque toujours un même investissement en travail. Comme le capital est
détenu par un groupe relativement restreint, on observera une
augmentation inévitable des inégalités. De plus, quand les riches
transmettent ce capital à leurs héritiers, cette inégalité se perpétuera
et risque même d'augmenter.
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« Plutôt que d'attaquer le
capital et le capitalisme, pourquoi ne pas augmenter le
nombre de personnes pouvant bénéficier de capital? En somme,
pourquoi ne pas créer plus de capitalistes? » |
L'on peut donc se demander pourquoi les partisans de Piketty esquivent
la réponse évidente au problème. Plutôt que d'attaquer le capital et le
capitalisme, pourquoi ne pas augmenter le nombre de personnes pouvant
bénéficier de capital? En somme, pourquoi ne pas créer plus de
capitalistes?
Or, la gauche est justement hostile envers les politiques qui
permettraient aux travailleurs d'avoir un meilleur accès au capital.
Aux États-Unis par exemple, les régimes de retraite privés (401 (k)
plan) permettent à quelque 52 millions de travailleurs d'y détenir
actions et obligations. Plusieurs politiciens et chercheurs proposent
d'abolir ces régimes et/ou d'en éliminer les crédits d'impôt – le
président Obama approuve la seconde proposition, du moins pour les plus
riches. Enfin, la sénatrice démocrate Elizabeth Warren, en faveur d'une
expansion du régime public de retraite (Social Security, déduit
directement du salaire), dénonce les régimes de retraite privés car ils
laissent les retraités à la merci des fluctuations boursières et des
produits d'investissement douteux.
Pourtant, aucune autre proposition des dernières années n'aurait permis
d'augmenter davantage l'étendue de la propriété du capital que de
permettre aux jeunes travailleurs d'investir une partie de leurs
déductions de Social Security dans un compte d'épargne personnel.
Une telle réforme aurait permis même au travailleur le moins bien
rémunéré de bénéficier d'un investissement en capital. En effet, puisque
les plus riches peuvent sans doute investir comme il leur plaît, les
travailleurs les plus pauvres seraient donc les principaux bénéficiaires
de cette nouvelle opportunité d'investissement.
Au Chili par exemple, les travailleurs détiennent l'équivalent de 60 % du
PIB du pays en actifs dans leurs régimes de retraite privés. José Piñera,
l'architecte de la réforme fructueuse des régimes de retraite, a fait
remarquer que les régimes privés « ont fait de chaque travailleur un
détenteur de capital ».
De plus, mon collègue à l'Institut Cato, Jagadeesh Gokhale, a prouvé
qu'en permettant de léguer les régimes de retraite privés, une
privatisation de la Social Security permettrait de diminuer les
inégalités de façon appréciable.
Cette « démocratisation du capital » avait séduit des militants de gauche
dans le passé. Et pourtant, les démocrates présentement au Congrès
préfèreraient vendre leur premier-né à George Bush plutôt que d'avoir
une pensée aussi impure.
Au bout du compte, l'on peut s'attaquer aux inégalités de deux façons:
en abaissant le haut ou en élevant le bas. Une économie de marché
capitaliste nous permettrait de réaliser la seconde option. Car un
problème majeur de notre époque est une présence trop restreinte, et non
trop étendue, du capitalisme.
Les partisans de Piketty devraient méditer sur ce point.
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de
marché et de la coopération volontaire depuis 1998.
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