Entretien avec François Facchini sur l'école d'économie
autrichienne* |
propos recueillis par Grégoire Canlorbe |
François Facchini est professeur agrégé des Universités,
docteur ès sciences économiques. Il enseigne les sciences
économiques à l'Université Paris Sud et est associé au
Centre d'Économie de la Sorbonne (Université de Paris 1,
Panthéon-Sorbonne).
I. L'école autrichienne et la théorie de l'entrepreneur
1. Comment présenteriez-vous au non initié l'école autrichienne
d'économie? Quelles sont les grandes spécificités de ce courant par
rapport à l'école néoclassique, qui est actuellement le courant
orthodoxe de la science économique?
Je souhaiterais avant de répondre à toutes vos questions vous remercier
pour l'intérêt que vous portez à mes recherches et à ma vision des
sciences économiques et de l'école autrichienne en particulier.
Je pense que la meilleure présentation des différences entre l'école
néoclassique et l'école autrichienne a été faite par Jesús Huerta de
Soto dans son livre d'introduction à ce courant de pensée intitulé L'école autrichienne. Marché et créativité entrepreneuriale(1). Parmi toutes les différences entre le courant orthodoxe et
l'école autrichienne, la plus importante me semble être aujourd'hui son
refus de penser l'économie de marché à partir de la théorie de
l'équilibre.
Je sais que cette manière de penser l'école autrichienne a longtemps
fait débat, le dernier en date fut le rôle équilibrateur que Kirzner
donna à l'entrepreneur, mais cette perspective processuelle des
ajustements qui animent les marchés est ce qui permet de tenir compte de
l'incertitude, de l'ignorance des acteurs et du temps de la conscience.
Il permet de rompre avec l'univers mécaniste de la physique sociale du
modèle walrasien. Il permet entre autres de renverser totalement la
vision que les économistes doivent avoir du rôle des prix dans un
marché.
Il est vrai que le prix de marché est imparfait et qu'il est parfois
nécessaire de compléter l'information prix par des connaissances
supplémentaires pour prendre une bonne décision, mais il est vrai aussi
que sans cette information prix capable de révéler le montant des
ressources que les individus sont prêts à sacrifier pour obtenir un
bien, la coordination des agents sur les marchés serait encore plus
imparfaite. Ainsi partir de l'ignorance permet de conférer au prix de
marché un rôle positif, alors que partir d'une hypothèse d'information
parfaite ne conduit qu'à sous-estimer l'importance de l'information prix
dans le calcul économique et, in fine, la coordination et la stabilité des
marchés.
2. Dans quelles circonstances et pour quelles raisons êtes-vous devenu
un autrichien? Fut-ce à l'université ou avez-vous découvert Mises, Hayek
et les autres en autodidacte?
Comme on peut s'en douter, dès que l'on est passé par le système
universitaire français et peut-être aussi des autres grandes universités
américaines et européennes, ce type de message n'est pas enseigné. Je
suis autodidacte de l'école autrichienne comme de nombreux économistes
qui se sont intéressés à cette école de pensée et à sa manière de penser
l'économie de marché, la monnaie, le temps, etc.
Cette absence d'enseignement de l'école autrichienne dans les
universités s'explique par le fait que les économistes estiment qu'il y
a des choses à savoir et des choses qui relèvent de l'histoire de la
pensée et/ou d'une spécialisation. Ce qu'il faut savoir dans les
universités, c'est le modèle walrasien (Arrow-Debreu) de concurrence pure
et parfaite qui passe à tort pour le modèle parfait d'économie de
marché. Tout en découle, car si on n'enseigne pas l'école autrichienne,
les jeunes chercheurs sont obligés de repartir de rien. Ils redécouvrent
alors les résultats des grands auteurs et en oublient d'innover, de
proposer de nouvelles analyses.
Je pense pour cette raison qu'il faudrait vraiment réussir à créer un
pôle de recherche d'excellence fondé sur les apports anciens et modernes
des auteurs qui appartiennent à ce courant de pensée, le mot courant
étant finalement plus approprié que le mot école qui laisserait supposer
qu'il n'y a aucune diversité dans l'école autrichienne, ce qui n'est pas
le cas.
3. Avez-vous des auteurs de référence au sein du courant autrichien?
Peut-être avez-vous également des auteurs « mal aimés », je veux dire des
auteurs que vous jugez moins intéressants, voire carrément dispensables?
Cette question me permet de rebondir sur l'absence d'école au sens
strict, notamment parce que l'immigration de l'école autrichienne aux
États-Unis (Karen Vaught) a créé une école austro-américaine fondée sur
une culture économique très différente de celle qui avait été à
l'origine des travaux de Carl Menger.
L'opposition désormais institutionnalisée entre les Misesien-Rothbardiens et les Hayékiens-évolutionnistes n'en est que la
conséquence. Dans cette opposition qui est parfois exagérée je me range
du côté de Hayek.
4. Mises, Hayek et avant tout Kirzner ont contribué à développer la
théorie dite autrichienne de l'entrepreneur, pour laquelle vous
manifestez un intérêt indubitable. Kirzner fait de la « vigilance »
(« alertness ») la qualité propre de l'entrepreneur, i.e. celle qui le
distingue de toutes les autres figures économiques. Kirzner s'efforce de
démontrer que cette vigilance au profit est la clef de la croissance:
sans entrepreneur, la croissance stagne ou décroît. Pourriez-vous
rappeler succinctement quels sont les tenants et les aboutissants de la
définition avancée par Kirzner? En quoi la « vigilance » de l'entrepreneur
est-elle au fondement de la croissance économique?
Je crois en effet beaucoup à cette idée qu'Holcombe (1998, QJAE) a
popularisée sous le slogan « l'entrepreneur est le génie du
développement ». Elle est soutenue d'ailleurs bien au-delà du courant
autrichien et des sciences économiques, car la théorie de l'entrepreneur
de Kirzner est beaucoup plus populaire en sciences de gestion qu'en
sciences économiques. Elle a plusieurs conséquences.
La première est qu'elle permet d'unifier toutes les théories de
l'entrepreneur (Knight, Say, Schumpeter) autour d'une notion, la
vigilance aux opportunités de profit: profit d'arbitrage (vendre plus
cher que l'on achète), profit de spéculation, et profit d'innovation
(Schumpeter). Ce qui caractérise un entrepreneur, c'est cette posture
vis-à-vis du marché qui lui permet de percevoir les opportunités de
profits, i.e. l'existence d'échanges mutuellement avantageux non encore
perçus par les autres agents sur les marchés. La conséquence de cette
vigilance est que l'entrepreneur est celui qui réduit les poches
d'ignorance. En important du blé italien en France, l'entrepreneur
révèle aux producteurs français que leur productivité est insuffisante
et aux consommateurs qu'ils peuvent acheter leur blé moins cher et
dégager ainsi du pouvoir d'achat qui nourrira d'autres marchés et
entretiendra le cercle vertueux de la création de richesse par
l'apparition de nouvelles opportunités de profits.
5. Kirzner explique les opportunités de profit par les déséquilibres
de prix; en d'autres termes, l'entrepreneur a un rôle à jouer dans la
coordination économique parce que le modèle d'équilibre général défendu
par les néoclassiques n'est pas valable dans la réalité. Dans le monde
réel, les prix étant impuissants à garantir un équilibre perpétuel du
marché, l'entrepreneur prospère sur les situations de déséquilibre.
Qu'est-ce qui justifie cette vision dynamique du marché dans l'analyse
de Kirzner? Pourquoi le marché connaît-il non pas un état statique
d'équilibre, mais une perpétuelle tension vers l'équilibre?
La théorie des processus de marché est dynamique parce qu'elle décrit le
processus d'apprentissage à l'oeuvre sur les marchés à travers
l'interprétation de l'information prix. Cela explique pourquoi il y a de
l'ambiguïté, des erreurs, des regrets, des succès et des échecs sur les
marchés. Mais cela explique aussi pourquoi il s'agit d'un processus et
non d'un équilibre. Le marché n'est jamais l'équilibre parce que ce qui
guide les marchés, c'est un principe d'efficacité dynamique.
Le problème de l'ordre économique n'est pas d'éviter les erreurs et de
se placer directement à l'équilibre, mais de les corriger. Si Lachman
soutient à juste titre que le marché ne tend pas à l'équilibre c'est
parce que le futur n'est jamais la reproduction du passé. Il est
impossible alors de penser que la correction des erreurs d'aujourd'hui
m'assure contre de nouvelles erreurs, car la connaissance du futur dans
un monde incertain est par définition impossible. Anticiper est en ce
sens toujours un saut dans l'inconnu. L'ajustement est perpétuel et
aucune tendance à l'équilibre n'est envisageable.
6. Dans un article de 2007, en synthétisant les divers travaux qui ont
cherché à compléter la théorie de Kirzner, vous avez proposé trois
éléments d'explication supplémentaires pour les opportunités de profit.
Selon votre article, le nombre des opportunités de profit s'explique par
l'importance des déséquilibres de prix, par l'inefficience des firmes
présentes sur le marché, par le nombre d'opportunités lui-même et par le
degré d'ambiguïté de l'information disponible sur ces opportunités.
Pourriez-vous revenir sur chacun de ces trois facteurs d'explication
supplémentaires?
Ces trois facteurs sont présents dans la littérature théorique et
empirique sur l'entrepreneur. L'idée est qu'il est d'autant plus
probable que les entrepreneurs perçoivent une opportunité de gain que le
nombre de ces opportunités est important. On comprend alors pourquoi
chacun de ces facteurs peut expliquer la dynamique entrepreneuriale d'un
pays.
L'effet du déséquilibre de prix a déjà été présenté dans ma réponse à la
question 5. Un déséquilibre de prix est la condition d'un profit
d'arbitrage. L'exemple du blé a expliqué en quoi cela avait un effet sur
la croissance économique, mais aussi sur la dynamique des opportunités.
L'inefficience des firmes est généralement mesurée par leur taille. On
s'attend à ce que des organisations de grandes tailles soient moins
efficaces, i.e. moins flexibles. Elles vont alors permettre à des
nouveaux d'entrants de venir sur leurs marchés et de proposer aux
consommateurs des services et des biens plus compétitifs. On retrouve
l'idée que l'opportunité de profit relève d'une défaillance, d'une
erreur de perception. Cela explique pourquoi il n'y a pas tendance à
l'équilibre. Les erreurs créent les écarts de prix, l'inefficacité des
firmes, nourrissent l'ambiguïté des informations disponibles sur le
marché et sa propre dynamique.
C'est parce que les producteurs français se trompent, i.e. n'utilisent
pas efficacement leurs ressources, qu'il existe un écart de prix avec ce
qui se passe en Italie et qu'il existe une opportunité. C'est parce que
le manager ne perçoit l'inefficacité de la combinaison productive de sa
firme que des entrepreneurs peuvent entrer sur son marché et lui prendre
des clients. C'est parce que l'information est ambigüe que ce n'est pas
ceux qui investissent le plus qui vont forcément gagner le plus. Un bon
investissement peut souvent être plus profitable qu'un gros
investissement.
La qualité des anticipations dépend de la qualité de la perception, de
la représentation que les entrepreneurs ont du marché. C'est ce qui fait
la pertinence de la théorie de l'entrepreneur. Elle propose un discours
général sur la singularité des faits sociaux. L'entrepreneur est l'agent
du changement. Il est celui qui corrige les erreurs passés et en tire en
profit.
7. La théorie schumpétérienne de l'entrepreneur fait de la capacité à
innover (et non la vigilance au profit) la caractéristique propre de
l'entrepreneur. Le profit trouve son origine, selon Schumpeter, dans un
acte créatif de l'entrepreneur; et non dans un déséquilibre des prix,
comme chez Kirzner. Par-delà ces divergences fondamentales entre
Schumpeter et Kirzner, les visions schumpétérienne et kirznerienne de
l'entrepreneur peuvent-elles trouver un terrain de conciliation?
Comme je l'ai implicitement dit dans ma réponse 4, en définissant
l'entrepreneur par une posture vis-à-vis du marché, Kirzner englobe
toutes les définitions de l'entrepreneur disponibles. L'innovateur est
celui qui perçoit un profit d'innovation.
Ensuite l'opposition Kirzner–Schumpeter sur l'entrepreneur force
d'équilibre versus l'entrepreneur force de déséquilibre n'a plus lieu
d'être dans une vision authentiquement processuelle des marchés où les
agents corrigent à l'infini leurs erreurs d'appréciation. L'économie de
marché est un monde ouvert.
8. En 2007, dans un article non plus de science économique à proprement
parler mais de philosophie morale, vous avez proposé de définir
l'entrepreneur comme un « homme prudent », mobilisant ce faisant le
concept aristotélicien et thomiste de la prudence. Pourriez-vous
synthétiser les raisons qui ont motivé votre choix d'ériger la prudence
en caractéristique essentielle de l'entrepreneur?
Eh bien, c'est cette vision indéterminée du monde qui caractérise
l'économie de marché et les travaux de Arnaud Pélissier Tanon qui m'ont
conduit à m'intéresser à la vertu de Prudence. J.B. Say qualifie
l'entrepreneur d'homme prudent. Je trouve que cette définition est
parfaite pour le courant autrichien car elle inscrit l'homme dans un
monde ni déterministe ni contingent, ce qui dans la philosophie
aristotélicienne (Aubenque, La prudence PUF, Quadrige) est un
préalable à l'action. On a ainsi les conditions de l'action qui est la
base de la théorie misesienne.
Ensuite, un monde ni contingent ni déterministe permet de soutenir la
position médiane de Kirzner–Garrison dans les débats avec les
post-keynésiens et les économistes qui ont suivi la position radicale de
Lachman sur l'obsolescence de la connaissance. La connaissance
singulière est obsolescence, mais la connaissance générale survit à
l'expérience. Ma connaissance des choses: table, cheval, besoin de
dormir, de se nourrir, etc., ne meurt pas avec mon histoire. Ma
connaissance de la liberté non plus. Là j'y vois la place de la
connaissance a priori au sens réaliste.
Enfin le monde est non déterministe, il laisse une place au libre
arbitre, à l'action. Il impose la figure de l'entrepreneur, car il donne
les conditions que l'homme puisse s'insérer dans le monde pour le
modifier à son avantage.
Pour conclure ce point, je vois aussi dans la théorie de la prudence et
plus précisément la théorie de délibération, un moyen de bien distinguer
les trois étapes de la décision: imaginer les mondes des possibles,
juger de leur plausibilité, et commander au moment opportun. La théorie
de la rationalité parfaite traite de manière imparfaite uniquement
l'étape du jugement. Elle oublie complètement le moment où j'imagine mes
mondes des possibles. Cela a une conséquence très importante, chaque
individu a ses mondes des possibles. Les anticipations sont hétérogènes.
Cela signifie qu'un monde décentralisé où chacun peut expérimenter ses
propres alternatives produira plus de connaissance qu'un monde où un
décideur unique imagine le futur pour tout le monde et le met en oeuvre.
II. L'histoire des institutions de la liberté
9. Dans un article de 2008, vous avez proposé une explication originale
de l'émergence en Europe, à partir du XVIIème siècle, de la liberté
politique et économique et ce faisant du capitalisme moderne
(capitalisme d'entreprise), lequel présuppose la liberté politique et
économique. Vous défendez deux thèses: la première est que le
capitalisme et la généralisation du marché sont nés en Europe parce que
le territoire européen était fragmenté et favorable au polycentrisme et
à la concurrence institutionnelle. Pourriez-vous revenir sur ce premier
élément d'explication?
Ces deux thèses ne sont pas originales. La question de l'émergence des
institutions de la liberté s'impose dès lors qu'il a été montré qu'un
ordre décentralisé est plus performant qu'un ordre centralisé. Comment
l'Europe a inventé ce type d'ordre? La littérature oppose généralement
la thèse de Montesquieu par les facteurs géographiques à la thèse de
Weber par la religion et à la thèse de Kant par la concurrence entre les
institutions.
J'ai cherché dans mes premières recherches à articuler ces trois
explications de la manière suivante. La fragmentation politique a été
favorable à l'expérimentation institutionnelle. Pour survivre, il a
fallu que les États imitent les expériences réussies des autres États;
et parfois qu'ils innovent. Le principe est simple: sans une bonne
économie, un État n'a pas la base fiscale suffisante pour répondre aux
attaques de ses concurrents; en l'absence d'alliances fortes avec
d'autres États, et conformément au principe de Bertrand de Jouvenel
selon lequel le pouvoir cherche toujours à détruire les pouvoirs
concurrents, un État est toujours menacé par l'existence d'un autre
État.
La concurrence entre les États a alors initié des expérimentations
institutionnelles qui ont permis à l'Europe de découvrir les
institutions capables de reconnaître à chacun un droit sur eux-mêmes et
les fruits de leur travail. L'articulation avec la géographie de
l'Europe était alors toute trouvée, car les tenants de cette thèse
soutiennent que l'Europe est un continent fragmenté géographiquement,
nombreuses péninsules, etc., et que cela explique la fragmentation
politique.
L'enchainement est alors le suivant. La fragmentation géographique de
l'Europe explique sa fragmentation politique, la concurrence et
l'expérimentation institutionnelle et in fine l'invention du
développement économique au sens de D.C. North, i.e. une croissance de la
production supérieure à la croissance de la population.
10. La seconde thèse que vous avancez est que « l'éthique de la liberté »,
condition idéologique du capitalisme moderne, a pu se répandre sur le
territoire européen parce que l'Europe avait été unifiée entre le Vème et
Xème siècles par la religion chrétienne, laquelle est
favorable à la reconnaissance de cette éthique de la
liberté. Dans quelle mesure, selon vous, l'Église s'est-elle montrée en effet soucieuse de promouvoir la
liberté politique et économique?
La thèse wébérienne est été largement discutée et critiquée. Elle ne lie
pas capitalisme et réforme. Je fais la même analyse, mais en étendant le
propos au christianisme. Les institutions de la liberté sont un effet de
l'action des chrétiens, mais pas de leurs intentions. Je reprends ainsi
la théorie des effets de composition, mais y introduis un facteur
idéologie. Les institutions sont le résultat des actions humaines (et
non de leurs intentions), mais pas de n'importe quelles actions. Cela
signifie que les croyances et les valeurs ont un rôle dans l'effet de
composition à l'origine des institutions du capitalisme.
L'effet du christianisme sur la dynamique des institutions est bien
connu par les historiens du droit. Ils rappellent parfaitement le rôle
qu'a joué dans cette dynamique l'existence d'un Pape qui se dresse face
aux monarques comme une autorité morale indépendante. Cela fut
particulièrement important dans l'invention des libertés politiques et
de l'indépendance entre la religion et l'État.
|
« J'espère que cet entretien
suscitera des réactions et des critiques de la part de vos lecteurs et
qu'il permettra de faire mieux connaître la richesse des travaux du
courant autrichien contemporain et de ses grandes thématiques:
l'entrepreneur, les croyances, les institutions, la propriété privée, la
liberté, mais aussi l'intérêt des mathématiques et de l'économétrie.
» |
Ils rappellent ensuite l'importance des débats qui eurent lieu à
l'intérieur de l'Église entre les tenants d'une terre qui appartient à
tous, mais qui peut être appropriée par chacun, et les tenants d'une
théorie du bien commun. Le capitalisme n'aurait pas pu émerger sans une
légitimité morale des droits de propriété et cette idée que tous les
hommes sont égaux devant Dieu.
J'organise le 10 juin 2014 à la Maison des Sciences Économiques dans le
cadre du SEPIO une confrontation entre le PR d'histoire du droit J.L.
Harouel, qui a écrit un libre intitulé Le vrai Génie du christianisme
et M. David Cosandey qui défend l'idée que c'est la géographie de
l'Europe qui est son secret (Le Secret de l'Occident). Nous
devrions à cette occasion réactualiser nos connaissances sur le sujet et
peut-être réorienter nos recherches.
11. Pensez-vous que la faiblesse des libertés économiques et politiques
dans les pays de l'aire musulmane s'explique (au moins en partie) par la
religion musulmane, tout comme la religion catholique a répandu en
Europe une éthique de la liberté favorable aux libertés économiques et
politiques?
Encore une fois, il ne s'agit pas d'une relation directe entre religion
chrétienne et institutions de la liberté. Les institutions de la liberté
sont le résultat des actions humaines et non de leur dessein. Les
actions humaines sont cependant orientées par des croyances et des
valeurs qui sont justifiées par des idéologies séculières ou non
séculières. Ces idéologies légitiment les institutions. Elles
légitiment, par exemple, la privatisation des ressources naturelles et
de la terre en particulier ou le maintien de ces ressources en pâture
commune de libre accès.
Il est dans ce contexte souvent dit que l'Islam est la religion des
marchands et qu'à ce titre elle est favorable au capitalisme, mais le
capitalisme n'est pas le commerce. Si un peuple s'enrichit par le butin,
les conquêtes militaires, il crée une classe possédante qui peut
dépenser ses revenus dans les villes et nourrir les marchands, mais il
ne vit pas dans un monde capitaliste où l'enrichissement n'est jamais
dissocié de l'effort productif.
Si le droit légitime le butin, et réglemente le statut de la terre, de
l'eau, etc., et limite ainsi la libre cessibilité des droits, il bloque
l'échange et limite ce dernier à la redistribution du butin à
l'intérieur du groupe. C'est sur cette base que je soutiens que
l'interprétation traditionnelle des paroles du Prophète n'a pas été un
facteur favorable à l'invention des institutions de la liberté (du
capitalisme), mais aussi à sa diffusion.
12. La théorie wébérienne de la naissance en Europe du capitalisme
moderne, i.e. du capitalisme entrepreneurial à partir du XVIIème
siècle, soutient que celui-ci est la conséquence non intentionnelle du
comportement des bourgeois protestants consistant à accumuler
méthodiquement les richesses; et ce, non en vue d'en tirer une
jouissance matérielle mais en vue d'interpréter la réussite de cette
démarche comme le signe de l'élection divine. Quel point de vue
portez-vous sur la thèse de Weber? Quelles sont, selon vous, ses mérites
et ses lacunes?
Il est vrai, comme cela a été présenté dans les autres réponses à vos
questions, qu'il s'agit d'un effet de composition. La thèse de Weber est
stimulante, mais la lecture de la littérature qu'elle a suscitée me
conduit à penser qu'elle n'est juste. J'ai déjà proposé une sorte de
synthèse des critiques qui lui ont été adressées dans mon article publié
dans la revue Tiers Monde sur culture et diversité culturelle. Voici
dans ses grandes lignes l'ensemble des critiques que l'on peut adresser
à la proposition de Max Weber.
Il
existe, tout d'abord, de nombreux contre exemples: 1) L'Écosse de
tradition calviniste était moins développée que l'Angleterre anglicane
ou a fortiori la Belgique catholique; 2) Des pôles de
développement préexistaient à l'avènement de la réforme calviniste
(Venise, Fugger d'Augsbourg, Cologne); 3) Les juifs et les Arméniens aux
Pays-Bas ont joué un rôle aussi important que les calvinistes dans le
développement de ce pays; 4) Le dénominateur commun des marchands n'est
pas d'être calviniste, mais d'être des émigrés en provenance des grands
centres industriels et commerciaux du XVème siècle (Augsburg, Anvers,
Liège, Côme, Lucques, Lisbonne). Le développement économique n'est pas,
en ce sens, une découverte protestante puisque l'Islam, avant le Xème
siècle, l'empire de Chine et/ou les villes chrétiennes, avaient déjà
connu des périodes de prospérité relative avant même la réforme.
Les liens, ensuite, entre théologie calviniste et esprit d'entreprise ne
sont pas évidents: 1) Le calvinisme a produit des prescriptions de
politique économique très autoritaires et interventionnistes; 2) La
causalité entre calviniste et recherche de la richesse (bourgeois) ne
fonctionne pas dans le sens de Weber mais en sens inverse, les bourgeois
deviennent calvinistes parce que leur travail y est mieux reconnu que
dans l'Église catholique; 3) Il a aussi été montré par Marshall Knappen
que le thème de l'anxiété due à la prédestination est absent des écrits
des théologiens puritains et par Christopher Hill (1966) que le thème de
la discipline et du travail n'était pas propre aux puritains mais était
l'expression d'une politique qui visait à inciter les gens à travailler;
4) Weber soutient que la prédestination définit une nouvelle manière
d'être au monde qui conduit les hommes à vouloir s'enrichir pour saisir
les signes de leur élection dans l'au-delà ici bas. On aurait pu
cependant faire l'interprétation inverse: c'est parce qu'ils savent que
leur position dans l'au-delà leur est déjà affectée qu'ils ne font rien
pour la changer. Il faut que l'homme puisse décider de son avenir pour
qu'il soit incité à agir, autrement dit à s'insérer dans le monde pour
le modifier. On peut aussi se demander pourquoi la réussite économique
et commerciale doit-elle être le signe du salut dans l'au-delà?
(Baechler 1971; Berman 2002, p.352, Novak 1987, Stark 2007).
Il ne me semble pas possible dans ces conditions de garder la thèse de
Weber en l'état.
13. En analyse marxiste, la naissance du capitalisme moderne passe par
l'appropriation de tous les moyens de production par des firmes privées
autonomes et par la transformation de la terre en capital. À cet égard,
le mouvement des enclosures en Grande-Bretagne, au XVIIème siècle,
constitue un acte fondateur du capitalisme. Quel jugement portez-vous
sur l'analyse marxiste?
La théorie des enclosures a désormais dépassé la sphère de l'école
marxiste pour devenir, avec D.C. North notamment, le coeur de la théorie
institutionnelle de l'essor de l'Europe.
L'intérêt d'une telle théorie est de bien illustrer la théorie des coûts
de transaction et de montrer la contribution de l'État, comme super
firme, à la mise en place d'un arrangement institutionnel plus
performant, et cela par la privatisation des terres communes.
Le deuxième intérêt d'une telle théorie est de donner une date de la
naissance du capitalisme. C'est à la fois un avantage et une faiblesse,
car si, comme je le crois, le capitalisme est avant tout la mise en oeuvre
progressive d'une mentalité favorable à la liberté et à la
reconnaissance des droits de propriété, il est difficile de dater
précisément l'avènement d'un tel système économique.
Stark estime par exemple que c'est au XIe siècle qu'apparaît ce qu'il
appelle le capitalisme monachiste. Il s'agirait alors d'un processus
beaucoup plus long, moins situé dans le temps, et l'espace, capable de
reconsidérer cette idée que les Anglais ont inventé le capitalisme alors
que c'est la France qui en a inventé les codes, la doctrine.
L'autre faiblesse de la théorie marxiste est qu'elle fait de l'idéologie
un instrument du pouvoir alors que rien n'interdit de penser au
contraire que les grandes idéologies utilisent le pouvoir pour se
réaliser. L'idéologie religieuse n'est pas seulement manipulée par les
élites politiques, elle est aussi ce qui donne une vision aux élites.
Elle détermine la direction qu'ils souhaitent donner à l'histoire des
institutions.
14. « Chaque génération est, je vous cite, dans la théorie des
changements institutionnels proposée ici, toujours libre de se convertir
et/ou de défendre l'idéologie de son temps. En redonnant ainsi une place
à la religion dans l'explication des changements institutionnels, on
donne une place à l'entrepreneur dans la théorie de l'évolution et on
s'interroge sur la manière dont les hommes se forment leur croyance et
les modifient. » L'entrepreneur que vous évoquez ici est plus précisément
« l'entrepreneur idéologique », lequel a permis, je vous cite une fois de
plus, « de nouvelles synthèses et de nouvelles innovations morales comme
la naissance d'une société sans Dieu presque totalement sécularisée ».
Cette figure de l'entrepreneur idéologique me paraît particulièrement
intéressante. Pourriez-vous développer votre pensée à ce sujet? Quelles
sont les similitudes et les divergences entre l'entrepreneur économique
et l'entrepreneur idéologique?
Il faut bien comprendre tout d'abord que l'entrepreneur est à la fois la
figure du changement et le résultat d'une posture méthodologique. Les
deux dimensions sont liées, car l'entrepreneur est à l'origine des
phénomènes économiques. Il est la cause du changement. Il n'est pas
comme la boule de billard. Son mouvement ne s'explique pas par un choc
exogène. L'action de l'entrepreneur crée au contraire le mouvement.
C'est pour cette raison que l'on parle d'entrepreneur idéologique.
L'entrepreneur idéologique est l'agent du changement idéologique. Il
n'est pas seulement mû par les conditions du monde extérieur. Il peut
conduire les hommes à voir le monde autrement, alors que le monde n'a
pas changé. Il peut, par exemple, montrer que l'esclavage, le butin, la
spoliation des richesses produites par les autres sont des actes
injustes et que rien ne peut justifier de tels comportements politiques.
Il change notre vision du monde et peut alors provoquer un changement
institutionnel.
Cette position est très différente de celle des empiristes et des
matérialistes qui pensent généralement, de Marx à North, que le
changement institutionnel trouve son origine dans une modification du
monde objectif – et chez North, une évolution des prix relatifs. Avec
l'entrepreneur idéologique, c'est parce que l'interprétation du monde
change que le monde change. Car ce qu'il faut aussi comprendre, c'est que
le coeur de l'ordre social ce sont les règles de droits et que ces
règles créent un monde artificiellement certain sur des bases
normatives. Cette norme de justice stabilise les institutions. Si elles
changent, nos institutions ne sont plus fondées et l'instabilité
idéologique ouvre la voie à un nouvel équilibre institutionnel fondé sur
un autre critère de justice.
III. L'usage approprié des mathématiques en science économique
15. Dans un article de 1999, vous avez contesté, dans la lignée
autrichienne, la scientificité du recours aux mathématiques en science
économique. Vous écrivez notamment: « La théorie de l'équilibre, le
calcul différentiel ou le calcul matriciel nous oblige à faire
l'hypothèse d'omniscience et à inscrire notre pensée dans un temps
séquentiel qui n'existe pas. L'homme est ignorant et vit dans la durée.
L'économie mathématique va, par conséquent, gravement nuire à notre
compréhension de la coordination économique parce qu'elle posera le
problème en termes d'affectation optimale des ressources alors qu'il
s'agit de savoir comment les individus découvrent leur talent et l'usage
des ressources dont ils disposent. » Ceci me paraît être l'une des
raisons essentielles de se méfier de l'usage des mathématiques en
science économique. Pourriez-vous développer et justifier le point de
vue que vous avancez?
Cette position se place dans lignée de l'ouvrage de Rizzo & O'Driscoll,
Time and Ignorance, et de l'article de Hayek de 1945 sur l'usage
de la connaissance. Il serait utile de traduire le livre de Rizzo &
O'Driscoll qui est sans doute l'une des contributions les plus intéressantes
de l'école autrichienne contemporaine.
Hayek montre tout d'abord que l'affectation optimale des ressources
suppose que l'on connaît la valeur que les individus attribuent à chaque
ressource. La valeur est subjective. Un bien naturel peut être dans ces
conditions sans valeur. Le pétrole brut a moins de valeur dans un monde
où l'on ignore le moteur à explosion que dans un monde qui a découvert
ce moyen.
En ce sens, le système des prix n'est pas qu'un paramètre de la
décision. Il est ce qui permet aux hommes de connaître, d'une part, la
valeur des choses, ce que les individus sont prêts à sacrifier pour
l'obtenir; et de s'adapter, d'autre part, à l'évolution des nouvelles
connaissances que les hommes accumulent grâce à leurs expériences et qui,
in fine, modifient la valeur qu'ils attribuent aux choses.
Ce processus complexe ne peut pas être décrit par un modèle d'équilibre,
lequel repose sur un calcul qui exige que toutes les informations
nécessaires pour prendre une décision existent. Les mathématiques ne
peuvent que formaliser un monde probable, où le futur est la
reproduction du passé, autrement dit où le futur est la copie du passé.
L'introduction du temps de la conscience empêche de penser en ces
termes, il introduit la mémoire, l'interprétation, l'apprentissage, etc.,
tout ce qui fait la dynamique d'une décision dans un monde où le temps
est irréversible et l'incertitude une condition de l'action (théorie de
la prudence).
Je pense que de nouvelles recherches devraient être engagées dans cette
direction pour mieux saisir les limites et l'intérêt des mathématiques
en science économique.
16. Les défenseurs de l'économie mathématique recourent généralement à
deux grands arguments pour justifier la modélisation mathématique. Le
premier argument consiste à affirmer que le recours aux mathématiques
oblige le chercheur à formuler ses hypothèses au grand jour et à
expliciter le sens des relations qu'il postule. Qu'est-ce qui fait selon
vous que cet argument n'est pas recevable?
Il est vrai que les modèles des économistes mathématiciens reposent sur
une liste d'hypothèses clairement identifiées. Il est vrai que ces
hypothèses sont généralement faites pour simplifier la réalité, et que
cela est toujours utile lorsque l'on est en présence d'une réalité
complexe.
Ce qui est généralement oublié cependant c'est que ces hypothèses ne
sont pas faites uniquement pour simplifier la réalité. Elles sont aussi
faites pour rendre la formalisation possible. C'est l'outil d'analyse
qui dicte sa loi au chercheur. Le même phénomène existe avec
l'économétrie. Toutes les questions deviennent quantitatives. Quel est
l'effet de la variation de x sur la quantité de y, alors que comme l'a
montré la théorie autrichienne des cycles, il peut y avoir du mal-investissement.
Il est possible par exemple d'être plus riche qu'un individu qui a
investi plus d'argent que vous et ce, uniquement parce que le rendement
de vos investissements est supérieur; autrement dit, parce que la
qualité de vos anticipations a été meilleure. Il n'existe alors pas de
lien mécanique entre niveau d'investissement et enrichissement. C'est la
qualité des investissements qui détermine le niveau de la production.
Seul le système des prix permet de donner l'information qui permettra
d'orienter les choix des investissements vers les besoins les plus
valorisés par les individus.
C'est aussi cela l'effet d'un raisonnement purement quantitatif sur
l'analyse économique.
17. Second argument des défenseurs de l'économie mathématique: l'usage
des symboles mathématiques permet des analyses dont la complexité ne
peut pas être égalée par le langage ordinaire. Par exemple, sous sa
forme mathématique le principe d'utilité marginale s'énonce de la
manière suivante: « si la quantité de bien est notée q et que l'utilité
qui lui correspond est notée u, alors u = f(q), du/dq=f'(q)
³0, et 0 ³ d²u/dq² ».
Selon les défenseurs de l'économie mathématique, la formulation
mathématique du principe d'utilité marginale permet d'énoncer ce que le
langage ordinaire est impuissant à formuler.
Pour quelles raisons rejetez-vous la pertinence de cette analyse?
Je ne rejette pas la pertinence de cette formulation, mais indique, comme
l'a fait le fils de Carl Menger, que la formulation littéraire de cette
théorie a une portée plus générale. Elle reste valide même si les
fonctions d'utilité n'admettent pas une dérivée seconde négative et que
ses courbes n'ont aucun point de tangence.
18. Selon vous, « la mathématisation de la théorie des cycles par les
nouveaux classiques sacrifie l'effet Cantillon aux exigences de
l'exactitude mathématique. » Pourriez-vous en dire plus à ce sujet?
Là encore je reprends un argument présent dans la littérature de Zijp et
Visser 1995. L'effet Cantillon met en évidence l'effet progressif et
différencié sur les prix d'une injection de monnaie dans l'économie au
fur et à mesure qu'elle se propage par les échanges à partir du point où
elle a été injectée. Il s'agit d'une formulation non quantitativiste de
l'effet de l'offre de monnaie sur la stabilité d'une économie et sa
trajectoire.
L'effet Cantillon comme la théorie du mal-investissement insiste sur la
structure du capital, i.e. le partage entre la consommation présente et
la consommation future. Il est extrêmement difficile de formaliser ce
type de raisonnement mais aussi de le tester économétriquement, même si
certains auteurs autrichiens ont tenté l'exercice.
19. Vous écrivez également: « l'économie mathématique focalise son
attention sur une dimension inessentielle des phénomènes économiques.
Elle croit que la science économique est une science des quantités
produites alors que la science économique est une science des actions
économiques. Les quantités et les prix constatés sur le marché sont le
résultat de jugements de valeur, mais contrairement au mètre qui mesure
la longueur de la table, la monnaie ne mesure pas la valeur du bien. Il
existerait donc un quiproquo dommageable entre les économistes
mathématiciens et la réalité. » Pourriez-vous préciser davantage la nature
de ce quiproquo et ses conséquences sur la véracité de la théorie
économique?
Cette position doit être resituée dans son contexte philosophique. Les
réalistes thomistes distinguent trois niveaux d'abstraction:
l'abstraction sensible, quantitative et ontologique. Ces trois niveaux
sont importants pour comprendre les faits économiques.
Il se trouve que le développement de l'économie quantitative et
mathématique privilégie le niveau quantitatif. Elle réduit l'économie
française, ou la France, à tout ce qui est mesurable, sa taille, le volume
de sa production, etc. Cela n'est pas indépendant de la mathématisation
de la discipline, les mathématiques étant pour certains la science des
nombres.
Il est irréaliste de vouloir réduire la réalité à ses aspects
mesurables, et la réalité économique qui plus est, car l'essence des
faits économiques est l'intentionnalité de l'action humaine. Les hommes
ont à travers leurs institutions voulu faire quelque chose. Ils avaient
l'intention de réaliser un projet. L'individualisme complexe ajoutera
les effets de composition dont nous avons parlé avec la théorie
culturelle de l'invention des institutions de la liberté. Il est
impossible dans ces conditions de saisir l'essence de la monnaie, de la
propriété, de marché, de la liberté, uniquement en mesurant le niveau de
liberté, la quantité de monnaie, le montant des ressources investis dans
la sécurisation des droits de propriété, etc.
C'est seulement sur la base d'une connaissance introspective ou d'une
forme d'induction qualitative qu'on peut saisir ce qu'est la monnaie,
l'échange, la propriété, etc. Les quantités et les prix constatés sur
les marchés sont des réalités qui ne prennent sens que placées dans une
théorie qui donne sa place à l'intention, aux anticipations, à l'erreur,
etc., à tout ce que fait la praxéologie, la théorie de l'action.
20. Cher Monsieur, notre entretien touche à sa fin. Aimeriez-vous
ajouter quelques mots?
Oui je voudrais vous remercier pour la qualité de vos questions et le
plaisir que j'ai eu à mener cet entretien avec vous. J'espère qu'il
suscitera des réactions et des critiques de la part de vos lecteurs et
qu'il permettra de faire mieux connaître la richesse des travaux du
courant autrichien contemporain et de ses grandes thématiques:
l'entrepreneur, les croyances, les institutions, la propriété privée, la
liberté, mais aussi l'intérêt des mathématiques et de l'économétrie.
Cher Monsieur, je vous remercie infiniment; cet entretien fut pour moi
un plaisir ainsi qu'un honneur.
Note
1. Huerta de Soto, J. (2007).
L'école autrichienne. Marché et créativité entrepreneuriale,
traduit de l'espagnol par Rosine Létinier, Institut Charles
Coquelin, Paris, La escuela austriaca: mercado y creatividad
empresarial, edit. Sintesis Madrid.
Voir une
version électronique plus courte.
Voir Annexe.
En lien avec cet entretien
François Facchini - RITM
Origine
des opportunités de profit et déséquilibres
L'entrepreneur comme un homme prudent
L'Europe et la reconnaissance des valeurs de la liberté économique
Usage des mathématiques et scientificité de la science économique
*Entretien publié le 21 février 2014
sur le site de l'Institut Coppet. |
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
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