Le rayonnement de la culture : une
histoire de sous, les nôtres |
« Au nom des Québécoises et des Québécois, je félicite chaleureusement
Xavier Dolan pour son Prix du jury. Voir son film parmi les oeuvres
couronnées par une distinction aussi prestigieuse constitue une
véritable consécration pour un cinéaste et représente un rayonnement
international inestimable pour notre nation. Il importe de mesurer
l'envergure de ce prix remarquable dans la carrière de Xavier Dolan et
dans l'histoire du cinéma québécois. »
C'était Philippe Couillard, qui,
par voie de communiqué, félicitait
Xavier Dolan pour le Prix du jury qu'il venait de remporter au Festival
de Cannes. Le mot « rayonnement » n'était pas seulement sur les lèvres du
premier ministre, le maire de Montréal, Denis Coderre,
s'est aussi dit
fier « du rayonnement de la nouvelle génération de cinéastes montréalais,
dont fait partie le jeune réalisateur de Mommy ». Une blogueuse
a même remercié le jeune prodige pour « le rayonnement mondial qu'il
offre à [s]a génération ».
Rayonnement 101
Le concept de « rayonnement culturel », comme
je l'ai déjà mentionné dans
les pages du QL, est une sorte d'appellation contrôlée bidon
(du genre retombées économiques, économie sociale ou développement
durable) qui désigne la diffusion d'une culture dans le monde et, par le
fait même, l'influence de cette nation. Selon le petit catéchisme de ses
adeptes: plus une nation « rayonne » culturellement, plus elle est
respectée. On s'en doute, le rayonnement relève quasiment du divin pour
les nationalistes, les étatistes et tous ceux qui bénéficient des
largesses de l'État. Pour Monsieur et Madame Tout-le-monde, il
soulève... l'indifférence.
Je ne sais pas pour vous, mais lorsque je vois un film français ou une
pièce de théâtre allemande, je ne me dis pas: « Quelle grande nation que
la France! Quel peuple formidable forment ces Allemands! » Je ne rejette
pas le crédit d'une oeuvre qui vient de me toucher (ou me laisser de
marbre) sur le pays d'origine de son auteur. Je n'ai pas non plus
l'irrésistible envie de visiter la France ou l'Allemagne. Ce ne sont pas le pays qui
créent les oeuvres, ce sont les artistes. Et dans ce cas-ci, l'artiste
c'est ce jeune cinéaste qui, à 25 ans, en est à son cinquième film et
qui a manifestement du talent ‒ son Tom à la ferme fait
maintenant partie de ma courte liste des films québécois les plus
aboutis qu'il m'ait été donné de voir.
Le rayonnement est avant tout une affaire de nationalisme. Il n'y a que
les nationalistes pour croire que parce que quelques milliers de
personnes éparpillées dans le monde ont aimé un film de Dolan, un
spectacle du Cirque du soleil ou une prestation des Cowboys fringants,
la réputation de la Belle Province s'en trouve automatiquement renforcée
dans le monde. Ou que parce qu'ils ont aimé une oeuvre québécoise, ces
amateurs d'art auront soudainement une envie folle de visiter l'endroit
qui a vu naître son auteur.
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« Les mauvaises décisions que
prennent les élus font aussi la manchette dans le monde et
doivent, elles aussi, avoir un rayonnement à l'étranger.
Et les mauvais films ou les romans poches que le Québec produits, eux
aussi doivent bien avoir un “rayonnement” dans le monde! » |
Mais j'y pense: si le rayonnement peut être bon, comment se fait-il
qu'on ne souligne jamais les fois où il est mauvais? C'est vrai, à quand remonte la
dernière fois qu'un politicien ou une artiste a utilisé le concept dans
le sens négatif? (Son de criquets...) Le rayonnement est avant tout
positif! Comme un feel good movie. Pourtant, les mauvaises
décisions que prennent les élus font aussi la manchette dans le monde et
doivent, elles aussi, avoir un rayonnement à l'étranger.
Et les mauvais films ou les romans poches que le Québec produits, eux
aussi doivent bien avoir un « rayonnement » dans le monde!
Faut croire que non. Sinon, le « bon rayonnement » généré par les artistes
québécois ne réussirait pas à compenser pour le « mauvais rayonnement »
généré par nos élus (scandale de la corruption, printemps érable,
longues listes d'attente en santé, le Québec toujours bon dernier dans
les palmarès, etc.) ou par leurs semblables.
Mais à quoi ça sert, en fin de compte, le rayonnement?
Ce concept n'existerait sans doute pas dans un monde où la
culture ne serait pas subventionnée. Pourquoi un
artiste ou un politicien parlerait-il de rayonnement si ce
n'est que pour justifier une dépense, un programme ou
démontrer qu'une action, une aide a porté fruits? Dans ce
sens, les adeptes du rayonnement me font penser à ces
personnes qui ne font jamais rien sans vous faire sentir
qu'elles espèrent quelque chose en retour. À la seule
différence que les premiers, contrairement aux secondes, ne
s'en cachent pas.
Au fond, ce que les artistes disent, c'est: « Avec mes oeuvres, je génère
du rayonnement pour le Québec à l'étranger. Ce rayonnement a des
retombées économiques. Ne cessez surtout pas de me subventionner! Vous
risqueriez de perdre ce rayonnement et ces retombées. » Les politiciens,
de leur côté, nous disent: « Avec mes interventions, je génère du
rayonnement pour le Québec à l'étranger. Ce rayonnement a des retombées
économiques. Ne remettez surtout pas en question mes programmes d'aide!
On risquerait de perdre ce rayonnement et ces retombées. »
Évidemment, si le concept était utilisé dans un contexte où ceux qui le
mettent de l'avant s'adressaient à des entreprises ou à des fondations
privées, on n'aurait rien à redire. Ils auraient bien le droit de faire
pression sur ces entités pour s'attirer d'éventuelles retombées. De
même, des nationalistes pourraient se regrouper dans le but de faire
rayonner leur nation avec leur argent. Mais ce n'est pas
le cas. Ce concept n'est en fait qu'une autorisation pour débloquer ou
déplacer des fonds publics. Il ne sert en fait qu'à justifier les
ponctions que l'État exerce dans nos poches au nom de la culture.
Lorsque Dolan a décroché le Prix du jury à Cannes, j'ai été bien content
pour lui. Pas pour la nation, le cinéma québécois ou sa génération. De
même, je n'ai pas éprouvé de fierté pour ce qu'il avait accompli, pour
moi ou pour le Québec. Il est le seul (avec ses parents peut-être et son
équipe de tournage) à pouvoir être fier de cet accomplissement. Cessons
de tout gonfler à l'échelle de la nation ou de je ne sais trop quelle
abstraction et contentons-nous de célébrer, individuellement, les
réalisations des personnes que l'on apprécie.
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
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