Qui est victime de pensée magique? |
Lorsque je défends la liberté
économique, je suis régulièrement confronté aux mêmes objections. Il y
en a une qui mérite une attention particulière: je serais sujet à la
« pensée magique ». Selon les critiques, je crois que les marchés peuvent
« fonctionner tout seul », parfaitement et automatiquement. Dans mon
esprit, la liberté économique est une baguette qui fait « pouf » et
s'ensuivent de fabuleux événements.
Cette accusation n'est qu'une projection du mode de raisonnement
étatiste. Ceux qui la formulent s'attendent à trouver un « abracadabra »
suivi d'un « pouf » autour d'eux, puis trouvent la spontanéité des
échanges décevante. Leurs opinions politiques viennent alors remplir le
vide de fables merveilleuses. Quant à moi, je ne crois ni en la magie,
ni à la perfection.
Le pouvoir de la volonté
Un enfant qualifie de gentil celui qui satisfait ses désirs et de
méchant celui qui lui dit non. La notion de rareté lui est étrangère.
Bien que les adultes soient généralement plus matures, ils en sont
souvent restés politiquement à ce stade. La représentation commune,
c'est qu'il y a un petit groupe d'égoïstes qui gardent pour eux des
ressources devant servir à financer d'ambitieux projets pour tous. Ce
sont les méchants. La solution? Briser le cadenas de cette caverne d'Ali
Baba, puis distribuer le tout de façon gentille.
Des adultes munis de diplômes emballeront ce cadeau magique de
statistiques, d'études et de concepts abstraits pour faire sérieux. Le
truc, c'est de considérer « la richesse » comme une entité homogène, puis
de montrer que 1% des gens possèdent l'équivalent en ressources d'un
continent au complet, voire de deux. Ce qui est fabuleux dans cette
histoire, c'est que 99% de la population mondiale n'a pas à travailler
plus fort ou différemment pour changer le monde. Il lui suffit de voter
du bon bord, de brandir des pancartes, de faire la grève ou d'écrire un
livre à succès intitulé Le capital au 21e siècle.
La magie, c'est de produire un résultat simplement par la volonté. Le
génie de la lampe nous demande un souhait, nous le formulons et il se
réalise. Le raisonnement moyen d'un intellectuel qui badine sur les
forces secrètes du monde qui l'entoure ne dépasse souvent pas ce stade.
Selon lui, si un riche veut quelque chose, ça se produit. Bref, il est
un sorcier. Il dit « que les prix montent » et ils montent. Il dit « que
les salaires baissent » et ils baissent. Terrifiant, non?
Cependant, n'ayez crainte, car le
Ying a son Yang: la démocratie. Le peuple frotte son talisman électoral,
puis répond « que les salaires montent » et ils montent! Puis, il ajoute
« que les prix baissent » et ils baissent! Nous voilà donc en plein coeur
d'une bataille épique de la volonté.
Les nuages
Une autre forme de pensée magique consiste à pelleter le problème dans
les nuages en se disant que les lois d'ici-bas ne s'y appliquent plus.
Un vendeur peut nous refiler un produit dangereux. Des industriels
peuvent se concerter pour hausser les prix. L'employeur peut exploiter
notre vulnérabilité pour obtenir des avantages éhontés de notre
situation. Des gens peuvent polluer l'environnement. Nous pouvons
laisser des démunis dans le besoin sans assistance. Ceux qui formulent
ces critiques supposent qu'en franchissant la stratosphère de la
« démocratie » et des « services publics » ces choses peuvent se régler plus
facilement.
Pourtant, cette logique est tordue. Les mêmes individus dangereux sur
les marchés continuent d'agir dans l'appareil d'État, mais avec un
pouvoir de nuisance multiplié. Le vendeur peut convaincre un
fonctionnaire d'imposer son produit à tout le monde. L'employeur peut
convaincre des électeurs naïfs de lui verser des taxes pour sauver une
industrie cruciale. Le ministre de l'Environnement peut favoriser la
coupe massive des arbres de manière à sauver des emplois syndiqués dans
l'industrie forestière. Une éducatrice de centres jeunesse peut envoyer
en salle d'isolement un enfant battu pour se simplifier la tâche. Les
enseignants peuvent détourner les jeunes d'apprentissages prioritaires,
trop impressionnés par leur propre savoir, transformant ainsi une
génération complète en ignorants. La Régie de la santé peut interdire
des médicaments qui sauveraient des vies. Etc.
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« Nous gardons espoir avec
l'État, mais n'en avons aucun envers les hommes d'affaires.
Pourtant, les nouvelles solutions qui nous sont offertes
librement en situation d'échange apparaissent sans cesse au
fil du temps, alors que celles de l'État restent aussi
immuables que la pluie et le beau temps. » |
Un des pièges dans lequel nous tombons facilement, c'est de voir dans
les failles d'un marché une fatalité et dans les failles des
institutions démocratiques une raison d'intervenir davantage. Nous
gardons espoir avec l'État, mais n'en avons aucun envers les hommes
d'affaires. Pourtant, les nouvelles solutions qui nous sont offertes
librement en situation d'échange apparaissent sans cesse au fil du
temps, alors que celles de l'État restent aussi immuables que la pluie
et le beau temps.
L'aveuglement face aux coûts
Le plus merveilleux en démocratie, c'est que les choses ne coûtent
apparemment rien. Il faut décider comme si le génie de la lampe venait
de sortir pour nous demander un voeu. L'égalité pour tous? Bien sûr. Une
grande aventure d'affirmation nationale? Absolument. Limiter
l'immigration? Oui. Des cours d'histoire au cégep? À cent milles à
l'heure. C'est tellement important de connaître son passé. Puis la
question qui tue: ça va coûter combien? Les réponses classiques: « Je ne
sais pas! », « Il doit bien y avoir des plus riches que moi qui peuvent le
payer! » ou « On ne devrait pas tout réduire à l’argent ».
Savoir que x% de la population demanderait au génie de la lampe plus de
ceci ou de cela est une donnée non pertinente. Le consentement obtenu de
cette manière n'a aucune valeur. C'est précisément parce que les acteurs
de la démocratie s'évertuent à demeurer évasifs, nonchalants ou rêveurs
quant aux coûts de leurs décisions qu'ils ont réussi à devenir aussi
populaires. Si les individus avaient un moyen de savoir réellement ce
qui leur en coûte d'appuyer ces mesures, il est fort probable que toute
la structure de l’État-providence s'effondrerait comme un château de
cartes.
L'enchantement de l'ordre établi
Les sociaux-démocrates aiment bien se percevoir comme les membres d'un
ordre contestataire et présenter tous les défenseurs de la liberté
économique comme des partisans de l'ordre établi. Pourtant, ils
camouflent le fait qu'ils ont des positions confortables dans des
universités, des centrales syndicales, des secteurs protégés de
l'économie, des bureaux gouvernementaux ou qu'ils attendent de ce
système des subventions et que leurs opinions consistent à justifier
leur place et leurs privilèges dans le monde. Ils avilissent la sphère
marchande, car ils veulent vivre davantage des revenus que celle-ci
génère. Lorsque ces gens-là se regardent dans le miroir, ce n'est pas
l'image qu'ils voient. Ils se racontent l'histoire d'une fable dont ils
sont les héros.
Ce ne sont pas les « riches » qui dominent le monde. C’est cette classe de
parasites éduqués qui emploient la force et la rhétorique pour capter
les ressources avant que les riches aillent les offrir à plus pauvres
qu'eux. La social-démocratie n'est rien de plus que l'écran de fumée
qu’ils dressent entre des riches et des pauvres, qui, en réalité,
gagnent tous les deux à s'échanger librement. De ce point de vue, ce
sont les sociaux-démocrates qui sont partisans d’un ordre établi
idéalisé, et moi le contestataire.
Et les marchés, eux?
À cela, on peut me répondre que les marchés partagent la faute.
Justement, non. Les marchés ne sont pas des entités qui nous
transcendent miraculeusement. Ce sont simplement des lieux où nous
sommes en situation d'échange. S’ils permettent de trouver des
solutions, c'est parce qu'il y en a parmi nous qui ont la capacité d'en
proposer et que d’autres sont prêt à les payer pour cela. S'il y a un
problème de sécurité, de savoir, de coordination, d'accessibilité, de
générosité ou de quoi que ce soit, quiconque pense avoir la solution
peut faire une offre. Tant que tous sont libres d'accepter, de refuser
ou de le relancer, nous finirons bien par trouver la solution un jour.
La différence majeure entre ce
mode d'exploration et les assemblées politiques, c'est que les individus
assument les coûts de leurs décisions et ne les transfèrent pas aux
autres. Ce petit détail tend à rendre les gens plus efficaces et plus
responsables tout en les empêchant de tourner en rond.
Cette réponse est insatisfaisante, j'en conviens. Elle ne propose pas de
solutions toutes faites. Elle est seulement une explication sur la
manière de trouver de meilleures réponses à nos problèmes. Mais ne pas
sombrer dans la pensée magique consiste justement à reconnaître les
limites de notre entendement.
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
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