De l'éthique du libéralisme* |
Le libéralisme est souvent présenté comme étant neutre moralement ou
pire, comme étant un relativisme moral égoïste: « chacun ses valeurs et
chacun pour soi ». Cette caricature mensongère, véhiculée par de nombreux
intellectuels de droite comme de gauche, n'est faite que pour mieux
justifier l'accaparement du pouvoir par des gens qui rêvent d'imposer
leurs idées (collectivistes) au reste de la société. On les entend
souvent invoquer la Société, l'Histoire, la Nation, comme des entités
collectives supérieures qui pourraient justifier la contrainte et
l'intrusion de l'État dans la vie des individus.
C'est d'ailleurs pourquoi le principal obstacle à tous ces réformateurs
sociaux, qu'ils soient conservateurs ou socialistes, ce sont les droits
inaliénables de l'individu et en particulier les droits de propriété.
D'où leur besoin de caricaturer la liberté et le libéralisme. À
l'encontre de cela, nous allons montrer que la liberté bien comprise
repose en réalité sur des principes éthiques rationnels intangibles,
qu'on ne saurait relativiser.
En 1957, dans son grand roman La Grève, Ayn
Rand a mis en scène une société gangrénée
par la corruption de ses élites. On y voit
des politiciens qui magouillent pour
s'assurer leur réélection, des hommes
d'affaires qui utilisent la loi pour
s'adjuger des rentes ou des privilèges en
éliminant leurs concurrents. C'est une
société du piston, de la multiplication des
privilèges, dans laquelle le secteur public
s'entend avec le secteur privé pour spolier
le citoyen, l'entrepreneur indépendant ou
innovant.
Pourtant, nous dit Ayn Rand à travers son
héros, John Galt, la corruption des élites
n'est qu'un symptôme. Le vrai problème
réside dans les fausses idées philosophiques
et les faux idéaux moraux auxquels nous
adhérons sans nous en rendre compte. « La
racine de la catastrophe du monde moderne
est d'ordre philosophique et moral. Les gens
n'embrassent pas le collectivisme parce
qu'ils ont accepté une fausse théorie
économique. Ils se tournent vers une fausse
théorie économique parce qu'ils ont embrassé
le collectivisme », écrit-elle.
Le problème est d'ordre philosophique, il
réside dans la philosophie
étatiste-collectiviste qui sacrifie la
liberté et la responsabilité individuelles à
des entités collectives abstraites comme
l'Histoire, la Nation, la Société ou encore,
c'est la mode aujourd'hui, la « Planète ».
De la lecture d'Ayn Rand, mais également de
tous les grands auteurs de la tradition
libérale classique et contemporaine, on peut
retenir deux vérités philosophiques
fondamentales qui vont à l'encontre de la
pensée collectiviste. La liberté n'est pas
une valeur, elle est la condition de toute
valeur. Il serait faux de prendre la liberté
pour une valeur comme une autre. C'est la
condition de possibilité de toute valeur. Il
ne saurait y avoir de responsabilité morale,
de vice ou de vertu sans liberté de choix.
Aucun acte contraint n'est moral. Aristote
et Thomas d'Aquin à sa suite, l'ont posé
comme un principe fondamental de leur
éthique: « un acte accompli sous la
contrainte ne peut entraîner aucun mérite ni
aucun blâme. » Seul l'individu a des droits,
la société n'en n'a pas. Les entités
collectives abstraites comme la Société,
l'Histoire, la Nation n'ont pas de volonté,
pas d'intentions et donc pas de droits. La
source de toute moralité, c'est l'individu.
Il n'y a pas d'autre référence pour définir
le bien et le mal, le juste et l'injuste que
l'individu. C'est lui seul qui pense, lui
seul qui agit, qui choisit, qui exerce une
responsabilité morale. La société n'est pas
un individu, elle n'agit pas, elle n'existe
que par les individus qui la composent et
qui agissent.
Les interactions entre individus sont bien
sûr complexes et nombreuses. D'où les
conflits, qui sont inévitables. Il est donc
indispensable de disposer d'un critère
universel pour savoir quand nos actions
constituent une agression vis-à-vis
d'autrui. Ce critère moral, c'est la
propriété.
Une théorie rationnelle de la liberté énonce
que chaque homme a un droit absolu de
contrôler et de posséder son propre corps
ainsi que ses facultés. Frédéric Bastiat
écrivait: « l'homme naît propriétaire ». La
première propriété, la plus fondamentale,
c'est celle de chacun sur sa propre
personne. Mes facultés et mes talents
m'appartiennent. Cela signifie que je
m'appartiens et que je n'appartiens pas à un
autre. Je suis libre et non esclave. La
propriété de soi est donc synonyme de
liberté. Et tout droit de propriété légitime
doit être déduit de cette propriété de
chaque homme sur sa propre personne. Dans la
mesure où je dois subvenir à mes besoins, je
dois également disposer de tout ce que j'ai
produit par mon travail, c'est-à-dire par
l'usage de mes facultés.
Donc la propriété des choses n'est qu'un
prolongement naturel de la propriété de soi.
La propriété ainsi entendue est naturelle,
elle fonde l'ordre social, elle est la norme
de tout droit, de toute justice. De cela
découle la seule conception rationnelle de
la liberté: je suis libre si personne ne
m'empêche de faire ce que je veux avec ce
qui m'appartient. Et nul n'a le droit de
m'utiliser ou d'utiliser les fruits de mon
travail sans mon consentement.
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« Un libéral authentique,
c'est-à-dire qui se rattache à la liberté et à la
responsabilité individuelles, refuse d'accorder à l'État le
droit de commettre des actions que tout le monde
considérerait comme immorales si elles étaient commises par
n'importe quel individu ou autre groupe social. » |
Si l'homme a des droits de propriété sur sa
personne et sur le fruit de son travail, ce
n'est pas parce que l'histoire ou la société
lui en accorde, ni parce qu'il se les
donnerait à lui-même par sa volonté
souveraine, mais bien parce que ces droits
sont inscrits dans sa nature. L'homme a le
droit de faire tout ce qu'il veut, mais
seulement avec ce qui lui appartient et dans
la limite du respect de la propriété
d'autrui.
L'erreur de Rousseau et de toute la pensée
socialiste après lui, c'est d'avoir dissocié
la liberté et le droit de la propriété
naturelle de soi. Chez Rousseau, la
propriété n'est pas antérieure au droit,
elle n'est qu'une convention instituée par
la volonté générale et dans les limites
décidée par elle. De ce fait, il n'y a pas
de liberté ni de droit indépendamment de la
société et du bon vouloir des législateurs.
Or si l'on dissocie le droit de la
propriété, on en vient à justifier de faux
droits, qui ne sont acquis que par la
violation des droits d'autrui. Par exemple:
le droit au travail ou le droit au logement.
Pour que je puisse acquérir gratuitement un
logement il faut bien que quelqu'un paie
pour moi. Et si c'est l'État qui paie,
puisqu'il ne produit pas de richesses, il ne
peut le faire qu'en prenant un logement à
quelqu'un, ou son équivalent, pour me le
donner.
Une société juste est donc une société dans
laquelle les droits de propriété sont
intégralement respectés, c'est-à-dire
protégés contre toute ingérence de la part
d'autrui. C'est cette ingérence qu'on
appelle une agression et qui définit le
crime.
La propriété telle que nous l'avons définie
comprend l'intégrité physique, ainsi que
celle des biens légitimement acquis. Le
crime, c'est donc le fait de porter atteinte
à l'intégrité physique ou aux biens
d'autrui. Le crime est une agression contre
la propriété, qui peut être observée et donc
objectivement établie. Autrement dit, il ne
suffit pas de nuire à quelqu'un pour qu'on
puisse parler de crime et pour qu'on puisse
justifier l'usage de la force contre cette
action « nuisible ». Il y a beaucoup d'actions
qui peuvent causer un tort à autrui: donner
une mauvaise note à un élève, licencier un
employé, acheter un produit concurrent,
exprimer une opinion choquante, etc. Il ne
s'agit en aucun cas d'agression, mais
d'actions accomplies dans le cadre de
contrats ou d'usage de son droit de
propriété.
Encore une fois: la seule façon correcte de
définir le crime, c'est le fait de disposer
de la personne ou des biens d'autrui sans
son consentement, par la violence, ce qu'on
peut appeler une agression.
Nous pouvons en déduire trois conséquences.
La propriété n'est injuste que si elle est
acquise par voie d'agression. De ce point de
vue la théorie marxiste de l'exploitation
des travailleurs est un sophisme. Elle
consiste à faire passer pour un crime ce qui
relève de la liberté des échanges et des
contrats. Tout titre de propriété qui
résulte d'une agression doit être invalidé
et remis à la victime. Il est juste de se
défendre contre un agresseur (même si
l'organisation de cette défense reste à
penser). Autrement dit, il ne faut pas
confondre la violence agressive avec la
violence défensive qui est une réponse
légitime à la première.
Si l'on s'en tient
aux définitions posées antérieurement, il
faut bien reconnaître que de nombreuses
intrusions de l'État dans la sphère privée
sont illégitimes. Elles peuvent prendre
diverses formes selon le temps et le lieu:
réglementations, blocage des prix, des
salaires, taxations, redistributions,
subventions, prohibitions, censures... Lorsque
les droits de propriété sont violés, on
force l'individu à se défaire d'une partie
de ses biens au profit d'un autre ou au
profit de la collectivité, ce qui est
immoral. On l'empêche de faire usage de sa
personne et de ses biens comme il l'entend,
ou en libre association contractuelle avec
d'autres, en vertu du droit, ce qui est
injuste.
C'est pourquoi un libéral n'est pas et ne
peut pas être un relativiste en matière de
morale. Un libéral authentique, c'est-à-dire
qui se rattache à la liberté et à la
responsabilité individuelles, refuse
d'accorder à l'État le droit de commettre
des actions que tout le monde considérerait
comme immorales si elles étaient commises
par n'importe quel individu ou autre groupe
social. Une société libre est donc une
société dans laquelle un même code moral et
juridique s'applique à tous, y compris et
surtout aux personnes qui gouvernent, parce
qu'elles disposent du pouvoir de
contraindre. Frédéric Bastiat écrivait:
« L'État a-t-il d'autres droits que ceux que
les citoyens ont déjà? J'ai toujours pensé
que sa mission était de protéger les droits
existants déjà. » L'État n'étant qu'une
association d'individus, il n'a pas d'autres
droits que ceux mêmes que ceux-ci possèdent
préalablement.
Certes, il n'y a pas de liberté sans règles.
Mais il existe deux types de règles. Celles
qui sont inventées et imposées d'en haut, de
façon arbitraire, par des législateurs qui
disposent du monopole de la force et qui
sont censés agir pour notre bien. Et celles
qui sont fondées dans le droit naturel de
propriété. Seules ces dernières sont justes,
car elles sont universelles. La liberté
ainsi conçue renforce la responsabilité
individuelle et contribue à créer un ordre
social pacifique et prospère pour le plus
grand nombre. En disant cela, nous ne
sous-estimons pas le penchant au mal et à la
violence qui subsiste en chaque homme. Ceci
doit nous conduire à poser la question de
l'arbitrage des conflits, de l'attribution
des peines et de l'organisation de la
sécurité. Mais c'est un autre chapitre.
Concluons donc avec Ayn Rand: « Si les hommes
veulent s'opposer à la guerre, c'est
l'étatisme qu'ils doivent combattre. Aussi
longtemps qu'ils soutiennent la notion
tribale que l'individu est bon à être
sacrifié à la collectivité, que certains
hommes ont le droit de régner sur les autres
par la force et qu'un "bien" (n'importe quel
"bien") peut le justifier – il ne peut y
avoir de paix à l'intérieur d'une nation, ni
de paix entre les nations. »
*Ce condensé de la communication donnée lors de la Journée libérale
romande du Cercle Libéral de Lausanne et de l'Institut Libéral le 8
novembre à Lausanne, a d'abord été publié le 12 novembre 2014
dans l'AGEFI.
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
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