Qui contrôle nos communications publiques? |
Au cours des dernières semaines, notre actualité politique a été plutôt
étonnante. Greenpeace diffuse la nouvelle selon laquelle la compagnie
pétrolière TransCanada planifie de payer des gens pour discréditer les
écologistes dans sa campagne en faveur de son projet de pipeline. Des
journaux relaient le message, puis l’accompagnent d’éditoriaux hostiles
à la compagnie. Gabriel Nadeau-Dubois annonce à l’émission « Tout le
Monde en parle » qu’il donne 25 000 $ pour contrer cette stratégie. Mon
fil de nouvelles Facebook est peuplé de publicités de la CSN sur les
politiques sauvages d’austérité du gouvernement Couillard. J’écoute une
partie de hockey entre les Canadiens et les Bruins, et je suis exposé
encore aux mêmes messages des centrales syndicales lors des moments
publicitaires. Les employés de Radio-Canada manifestent leur opposition
au projet de Stephen Harper de réduire leurs budgets.
Devant autant de drames, je me questionne: qui contrôle nos
communications publiques? En écoutant ces gens, je croirais dur comme
fer que ce sont de grandes compagnies motivées à détruire le Québec pour
de l’argent. J’entends le bruit du tocsin qui me hurle de sortir de mon
sofa et de les combattre vigoureusement. D’un autre côté, je me dis qu’à
force de regarder trop loin, nous aboutissons par ne plus voir
l’évidence devant nos yeux.
Les évidences qui sautent aux yeux
Aucun agent de TransCanada n’est venu me soudoyer. Je n’ai vu de mes
propres yeux aucune publicité climato-sceptique. J’ai bien lu des
articles qui parlent de l’existence d’une telle chose, mais je n’en ai
pas été directement témoin. Je n’ai pas non plus entendu Stephen Harper
promettre d’abolir Radio-Canada, mais j’ai été bombardé d’insinuations
selon laquelle l’idée lui trotte dans la tête. Philippe Couillard n’a
pas annoncé son intention de mettre sur le marché ou d’abolir de larges
missions de l’appareil d’État, mais seulement celle d’équilibrer un
budget en cherchant à faire quelques économies (réduction de 2% du
nombre de fonctionnaires). Ici encore, j’observe des personnes qui
prétendent avoir accès à son agenda caché et annoncent une catastrophe
imminente, mais je ne peux infirmer ou confirmer cette hypothèse, car je
ne possède manifestement pas de faculté télépathique, ou de boule de
cristal.
Cependant, il y a une chose dont je suis directement témoin: des gens
apparaissent fréquemment dans mon champ visuel pour me faire peur. Ils
ont un trait en commun: ils croient en l’existence d’une propriété
collective menacée par des hommes d’affaires. Qui contrôle nos
communications publiques? De toute évidence, une foule de collectivistes
peureux et non un consortium pétrolier ou un rassemblement de
capitalistes hostiles aux nobles missions de l’État.
Le contexte plus large
Plus j‘y pense, plus je me rends compte que cette réalité n’est pas
nouvelle. À l’école secondaire, j’ai entendu mon professeur de physique
me raconter que devenu adulte, l’absence de couche d’ozone m’obligerait
à me vêtir lourdement, puis que cela était dû à notre consommation.
C’était de la science... En histoire, j’apprenais comment nous étions un
petit peuple luttant vertueusement contre les Anglais, Duplessis, les
grandes compagnies américaines, l’exploitation et les curés et comment
la forme de notre gouvernement actuel en exprime la volonté. En
français, j’exprimais mes opinions sur ce que la société devrait
politiquement faire contre les injustices. Rendu au Cégep, je devais
assister à des séances où des professeurs de philosophie faisaient
l’éloge de nos institutions étatiques, puis nous exhortaient à les
investir pour combattre les inégalités. J’ai participé à une grève où
des chefs du mouvement étudiant nous expliquaient comment Pauline Marois,
alors ministre de l’Éducation, menaçait de priver les pauvres d’un moyen
de gravir l’échelle sociale en haussant nos frais de scolarité.
J’y perçois un seul message: « Sers ton État dans sa croisade contre le
mal ». Il y a une collectivité solidaire, elle s’exprime grâce à nos
institutions démocratiques et elle est menacée de l’extérieur par toutes
sortes de danger qui tournent autour des riches et des puissants (qui
parlent souvent anglais). Les dernières semaines n’ont donc été que
l’actualisation de ce même tocsin que plusieurs sonnent encore et encore
sans relâche dans nos têtes depuis notre enfance.
Mon intuition selon laquelle une foule de collectivistes peureux
contrôlent nos communications publiques en est donc renforcée.
Cependant, je vais donner le maximum de crédibilité à l’opinion
contraire. Si j’élargis mon horizon, je vois des affiches publicitaires
et des vitrines de magasin, puis je rencontre des vendeurs qui
m’encouragent à consommer. Les pétrolières sont dans le lot. Il y a donc
bien des hommes d’affaires qui occupent mon champ visuel par un message:
« consomme ». De plus, certains agissent dans les coulisses du pouvoir
pour obtenir de gros contrats, des privilèges, des subventions et des
baisses de taxes pendant que la population est informée qu’elle doit
payer des tarifs plus élevés et voir ses services réduits. La santé, la
solidarité, l’éducation, la démocratie sont bousillées pour faire place
à des machines, de la saleté et des magasins à bébelles.
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« J’anticipe comment les
collectivistes apeurés me répondront. Ils vont quitter le
confort de la position démocratique pour occuper celle de
ceux qui en savent plus que les autres. » |
De ce point de vue, ce n’est pas une foule de collectivistes peureux,
mais des individualistes matérialistes, à l’âme petite et à l’esprit
sournois qui contrôlent subtilement nos communications publiques. Ceux
qui s’y opposent sont plutôt des citoyens clairvoyants qui nous
informent objectivement du danger.
Le contrôle politique
face aux choix économiques
Qui croire? Pour en avoir le cœur net, j’aimerais savoir s’il y en a un
des deux qui « contrôle » nos communications publiques plutôt que
d’exprimer simplement et respectueusement leur état d’esprit.
Les Gabriel Nadeau-Dubois et compagnies ne croient pas « contrôler » notre
espace médiatique. Ils ne se voient pas comme des gangsters qui
saisissent des micros pour dire que le sort de la veuve, de l’orphelin,
ainsi que le cycle des saisons dépendent de la mafia. Ils occupent une
tribune, puis exprime leurs préoccupations. Dans leur esprit, ce sont
les grandes compagnies qui jouissent d’une influence non méritée auprès
du public en finançant des discours à propos duquel personne n’a voté.
La place des collectivistes peureux sur nos caméras est légitime, pas
celle des individualistes matérialistes sournois à l’âme petite.
Nous avons pourtant des raisons d’en douter. J’étais littéralement forcé
d’écouter le discours de mes professeurs. Mes parents, moi et mes futurs
employeurs (donc, par ricochet, leurs consommateurs: nous) n’avaient pas
le droit de choisir mon programme scolaire, même si nous étions les
personnes concernées. Celui-ci nous était donc imposé par la force et
ceux qui se sont servis de cette situation pour me communiquer des
messages n’agissaient pas « pacifiquement ».
Le plateau de « Tout le monde en parle » qui a servi d’haut-parleur à
monsieur Nadeau-Dubois, puis les publicités de la CSN, de la CSQ et des
associations étudiantes ont été financé à même des taxes et de
contributions auxquelles je ne peux me soustraire. Ce sont les décideurs
au ministère de l’Éducation et à Radio-Canada qui sélectionnent
l’information digne d’être rendue publique et non de simples citoyens
comme moi. Je peux leur faire confiance ou non de me représenter, mais
je n’ai aucun pouvoir réel là-dessus, ni les moyens de le vérifier. Je
n’ai pas eu le moindre choix à cet égard au moment de voter. Ces gens
programment donc des opinions pour les foules sans accord préalable de
leur part.
Par contraste, nous pouvons concrètement éviter les publicités, les
vitrines de magasins, ainsi que leurs produits et leurs services. S’ils
ne répondent pas à une demande des consommateurs, ils disparaissent. Or,
les consommateurs choisissent de mettre de l’essence dans leur voiture
et de consommer de la manière dont ils le font, puis des entreprises
choisissent de répondre à cette demande. Les gens savent pleinement
qu’il y a des discours alarmistes dans l’air, mais ils n’en ont
manifestement pas peur. Lorsque de grandes compagnies prennent les
moyens de transporter, puis de publiciser et de vendre ces produits,
elles représentent donc une volonté réelle venant des individus
ordinaires.
Les gens, lorsqu’ils entreprennent, travaillent et consomment, expriment
clairement leur volonté de vivre dans un monde qui leur offre plus qu’un
hôpital, des salles de classe, une protection contre toutes sortes de
danger, un espace libre de toute saleté, et des assemblées syndicales.
Ceux qui s’activent publiquement pour contrer cet état d’esprit, à
l’aide de la taxation et de l’appareil juridique, cherchent donc
littéralement à prendre le contrôle de notre communication publique en
réduisant tous ces gens au silence.
L’élite savante et
vertueuse
J’anticipe comment les collectivistes apeurés me répondront. Ils vont
quitter le confort de la position démocratique pour occuper celle de
ceux qui en savent plus que les autres. Selon eux, il existe une
institution fabuleuse qui s’appelle « la science ». Elle est composée de
gens impartiaux dont les principales motivations sont la curiosité et
l’amour du bien commun. Leur capacité de connaître est sans limite. Ils
savent que notre consommation détruit la planète, et que la richesse se
concentre inévitablement dans quelques mains à moins qu’une force
politique populaire ne la fasse redescendre. Ils perçoivent, derrière
l’apparence de nos choix, une captivité subtile envers une élite
économique qui se coordonne pour nous cacher l’existence de meilleurs
moyens de transport, de production et de consommation. Du haut de cette
conviction, ils se croient autorisés à prendre les moyens nécessaires
pour nous empêcher de faire certains choix individuels librement
consentis. Ils ont le droit de nous imposer des contenus idéologiques
dès la garderie.
Ce sont ces gens-là qui contrôlent nos communications publiques. Ce ne
sont pas des démocrates qui font parler le peuple, ni des
individualistes matérialistes sournois à l’âme petite, mais des gens qui
prétendent constituer une élite capable de nous libérer de nos vices et
de notre « courte vue ». Cette réalité est difficile à percevoir, car nous
vivons dans une société qui ennoblit l’usage de la force politique, et
qui avilit les échanges marchands.
Occuper des salles de classe, obliger les gens à s’y assoir, jouer du
coude pour leur imposer des contenus, user de démagogie pour y parvenir,
puis les contraindre à financer des ondes qui diffusent leur idéologie
finit donc par avoir l’air volontaire et désintéressé, alors que payer
quelqu’un qui a le choix de refuser pour défendre publiquement un point
de vue apparaît comme de la corruption et de la manipulation des masses.
Suite à un tel conditionnement, nous en venons à ne plus percevoir que
ces serviteurs de l’État sont une « autorité » possédant le privilège de
ne pas avoir à nous convaincre de payer pour obtenir leurs services,
puis de pouvoir nous imposer son opinion. À l’inverse, les entrepreneurs
de toute taille et leurs bailleurs de fonds ne peuvent s’exprimer en
public que parce qu’ils ont préalablement reçu notre accord dans cette
gigantesque démocratie que s’appelle « les magasins du Québec ».
N’en déplaise à certains, les stations d’essence en font partie et nous
sommes des millions de personnes qui s’y déplacent à tous les jours pour
y appuyer les grandes pétrolières dans leur combat contre Greenpeace.
Nous savons très bien qu’une « science » nous alerte concernant un
terrible futur pour nos enfants. Nous n’en avons probablement pas peur,
même si parfois nous prétendons le contraire. Payer des gens pour
effectuer des contre-expertises et l’exprimer est donc légitime.
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