15 décembre 2014 • No 327 | Archives | Faites une recherche | Newsletter

 

 

   
OPINION
Qui contrôle nos communications publiques?
par Gabriel Lacoste


Au cours des dernières semaines, notre actualité politique a été plutôt étonnante. Greenpeace diffuse la nouvelle selon laquelle la compagnie pétrolière TransCanada planifie de payer des gens pour discréditer les écologistes dans sa campagne en faveur de son projet de pipeline. Des journaux relaient le message, puis l’accompagnent d’éditoriaux hostiles à la compagnie. Gabriel Nadeau-Dubois annonce à l’émission « Tout le Monde en parle » qu’il donne 25 000 $ pour contrer cette stratégie. Mon fil de nouvelles Facebook est peuplé de publicités de la CSN sur les politiques sauvages d’austérité du gouvernement Couillard. J’écoute une partie de hockey entre les Canadiens et les Bruins, et je suis exposé encore aux mêmes messages des centrales syndicales lors des moments publicitaires. Les employés de Radio-Canada manifestent leur opposition au projet de Stephen Harper de réduire leurs budgets.

Devant autant de drames, je me questionne: qui contrôle nos communications publiques? En écoutant ces gens, je croirais dur comme fer que ce sont de grandes compagnies motivées à détruire le Québec pour de l’argent. J’entends le bruit du tocsin qui me hurle de sortir de mon sofa et de les combattre vigoureusement. D’un autre côté, je me dis qu’à force de regarder trop loin, nous aboutissons par ne plus voir l’évidence devant nos yeux.

Les évidences qui sautent aux yeux

Aucun agent de TransCanada n’est venu me soudoyer. Je n’ai vu de mes propres yeux aucune publicité climato-sceptique. J’ai bien lu des articles qui parlent de l’existence d’une telle chose, mais je n’en ai pas été directement témoin. Je n’ai pas non plus entendu Stephen Harper promettre d’abolir Radio-Canada, mais j’ai été bombardé d’insinuations selon laquelle l’idée lui trotte dans la tête. Philippe Couillard n’a pas annoncé son intention de mettre sur le marché ou d’abolir de larges missions de l’appareil d’État, mais seulement celle d’équilibrer un budget en cherchant à faire quelques économies (réduction de 2% du nombre de fonctionnaires). Ici encore, j’observe des personnes qui prétendent avoir accès à son agenda caché et annoncent une catastrophe imminente, mais je ne peux infirmer ou confirmer cette hypothèse, car je ne possède manifestement pas de faculté télépathique, ou de boule de cristal.

Cependant, il y a une chose dont je suis directement témoin: des gens apparaissent fréquemment dans mon champ visuel pour me faire peur. Ils ont un trait en commun: ils croient en l’existence d’une propriété collective menacée par des hommes d’affaires. Qui contrôle nos communications publiques? De toute évidence, une foule de collectivistes peureux et non un consortium pétrolier ou un rassemblement de capitalistes hostiles aux nobles missions de l’État.

Le contexte plus large

Plus j‘y pense, plus je me rends compte que cette réalité n’est pas nouvelle. À l’école secondaire, j’ai entendu mon professeur de physique me raconter que devenu adulte, l’absence de couche d’ozone m’obligerait à me vêtir lourdement, puis que cela était dû à notre consommation. C’était de la science... En histoire, j’apprenais comment nous étions un petit peuple luttant vertueusement contre les Anglais, Duplessis, les grandes compagnies américaines, l’exploitation et les curés et comment la forme de notre gouvernement actuel en exprime la volonté. En français, j’exprimais mes opinions sur ce que la société devrait politiquement faire contre les injustices. Rendu au Cégep, je devais assister à des séances où des professeurs de philosophie faisaient l’éloge de nos institutions étatiques, puis nous exhortaient à les investir pour combattre les inégalités. J’ai participé à une grève où des chefs du mouvement étudiant nous expliquaient comment Pauline Marois, alors ministre de l’Éducation, menaçait de priver les pauvres d’un moyen de gravir l’échelle sociale en haussant nos frais de scolarité.

J’y perçois un seul message: « Sers ton État dans sa croisade contre le mal ». Il y a une collectivité solidaire, elle s’exprime grâce à nos institutions démocratiques et elle est menacée de l’extérieur par toutes sortes de danger qui tournent autour des riches et des puissants (qui parlent souvent anglais). Les dernières semaines n’ont donc été que l’actualisation de ce même tocsin que plusieurs sonnent encore et encore sans relâche dans nos têtes depuis notre enfance.

Mon intuition selon laquelle une foule de collectivistes peureux contrôlent nos communications publiques en est donc renforcée. Cependant, je vais donner le maximum de crédibilité à l’opinion contraire. Si j’élargis mon horizon, je vois des affiches publicitaires et des vitrines de magasin, puis je rencontre des vendeurs qui m’encouragent à consommer. Les pétrolières sont dans le lot. Il y a donc bien des hommes d’affaires qui occupent mon champ visuel par un message: « consomme ». De plus, certains agissent dans les coulisses du pouvoir pour obtenir de gros contrats, des privilèges, des subventions et des baisses de taxes pendant que la population est informée qu’elle doit payer des tarifs plus élevés et voir ses services réduits. La santé, la solidarité, l’éducation, la démocratie sont bousillées pour faire place à des machines, de la saleté et des magasins à bébelles.
 

   

« J’anticipe comment les collectivistes apeurés me répondront. Ils vont quitter le confort de la position démocratique pour occuper celle de ceux qui en savent plus que les autres. »

   


De ce point de vue, ce n’est pas une foule de collectivistes peureux, mais des individualistes matérialistes, à l’âme petite et à l’esprit sournois qui contrôlent subtilement nos communications publiques. Ceux qui s’y opposent sont plutôt des citoyens clairvoyants qui nous informent objectivement du danger.

Le contrôle politique face aux choix économiques

Qui croire? Pour en avoir le cœur net, j’aimerais savoir s’il y en a un des deux qui « contrôle » nos communications publiques plutôt que d’exprimer simplement et respectueusement leur état d’esprit.

Les Gabriel Nadeau-Dubois et compagnies ne croient pas « contrôler » notre espace médiatique. Ils ne se voient pas comme des gangsters qui saisissent des micros pour dire que le sort de la veuve, de l’orphelin, ainsi que le cycle des saisons dépendent de la mafia. Ils occupent une tribune, puis exprime leurs préoccupations. Dans leur esprit, ce sont les grandes compagnies qui jouissent d’une influence non méritée auprès du public en finançant des discours à propos duquel personne n’a voté. La place des collectivistes peureux sur nos caméras est légitime, pas celle des individualistes matérialistes sournois à l’âme petite.

Nous avons pourtant des raisons d’en douter. J’étais littéralement forcé d’écouter le discours de mes professeurs. Mes parents, moi et mes futurs employeurs (donc, par ricochet, leurs consommateurs: nous) n’avaient pas le droit de choisir mon programme scolaire, même si nous étions les personnes concernées. Celui-ci nous était donc imposé par la force et ceux qui se sont servis de cette situation pour me communiquer des messages n’agissaient pas « pacifiquement ».

Le plateau de « Tout le monde en parle » qui a servi d’haut-parleur à monsieur Nadeau-Dubois, puis les publicités de la CSN, de la CSQ et des associations étudiantes ont été financé à même des taxes et de contributions auxquelles je ne peux me soustraire. Ce sont les décideurs au ministère de l’Éducation et à Radio-Canada qui sélectionnent l’information digne d’être rendue publique et non de simples citoyens comme moi. Je peux leur faire confiance ou non de me représenter, mais je n’ai aucun pouvoir réel là-dessus, ni les moyens de le vérifier. Je n’ai pas eu le moindre choix à cet égard au moment de voter. Ces gens programment donc des opinions pour les foules sans accord préalable de leur part.

Par contraste, nous pouvons concrètement éviter les publicités, les vitrines de magasins, ainsi que leurs produits et leurs services. S’ils ne répondent pas à une demande des consommateurs, ils disparaissent. Or, les consommateurs choisissent de mettre de l’essence dans leur voiture et de consommer de la manière dont ils le font, puis des entreprises choisissent de répondre à cette demande. Les gens savent pleinement qu’il y a des discours alarmistes dans l’air, mais ils n’en ont manifestement pas peur. Lorsque de grandes compagnies prennent les moyens de transporter, puis de publiciser et de vendre ces produits, elles représentent donc une volonté réelle venant des individus ordinaires.

Les gens, lorsqu’ils entreprennent, travaillent et consomment, expriment clairement leur volonté de vivre dans un monde qui leur offre plus qu’un hôpital, des salles de classe, une protection contre toutes sortes de danger, un espace libre de toute saleté, et des assemblées syndicales. Ceux qui s’activent publiquement pour contrer cet état d’esprit, à l’aide de la taxation et de l’appareil juridique, cherchent donc littéralement à prendre le contrôle de notre communication publique en réduisant tous ces gens au silence.

L’élite savante et vertueuse

J’anticipe comment les collectivistes apeurés me répondront. Ils vont quitter le confort de la position démocratique pour occuper celle de ceux qui en savent plus que les autres. Selon eux, il existe une institution fabuleuse qui s’appelle « la science ». Elle est composée de gens impartiaux dont les principales motivations sont la curiosité et l’amour du bien commun. Leur capacité de connaître est sans limite. Ils savent que notre consommation détruit la planète, et que la richesse se concentre inévitablement dans quelques mains à moins qu’une force politique populaire ne la fasse redescendre. Ils perçoivent, derrière l’apparence de nos choix, une captivité subtile envers une élite économique qui se coordonne pour nous cacher l’existence de meilleurs moyens de transport, de production et de consommation. Du haut de cette conviction, ils se croient autorisés à prendre les moyens nécessaires pour nous empêcher de faire certains choix individuels librement consentis. Ils ont le droit de nous imposer des contenus idéologiques dès la garderie.

Ce sont ces gens-là qui contrôlent nos communications publiques. Ce ne sont pas des démocrates qui font parler le peuple, ni des individualistes matérialistes sournois à l’âme petite, mais des gens qui prétendent constituer une élite capable de nous libérer de nos vices et de notre « courte vue ». Cette réalité est difficile à percevoir, car nous vivons dans une société qui ennoblit l’usage de la force politique, et qui avilit les échanges marchands.

Occuper des salles de classe, obliger les gens à s’y assoir, jouer du coude pour leur imposer des contenus, user de démagogie pour y parvenir, puis les contraindre à financer des ondes qui diffusent leur idéologie finit donc par avoir l’air volontaire et désintéressé, alors que payer quelqu’un qui a le choix de refuser pour défendre publiquement un point de vue apparaît comme de la corruption et de la manipulation des masses.

Suite à un tel conditionnement, nous en venons à ne plus percevoir que ces serviteurs de l’État sont une « autorité » possédant le privilège de ne pas avoir à nous convaincre de payer pour obtenir leurs services, puis de pouvoir nous imposer son opinion. À l’inverse, les entrepreneurs de toute taille et leurs bailleurs de fonds ne peuvent s’exprimer en public que parce qu’ils ont préalablement reçu notre accord dans cette gigantesque démocratie que s’appelle « les magasins du Québec ».

N’en déplaise à certains, les stations d’essence en font partie et nous sommes des millions de personnes qui s’y déplacent à tous les jours pour y appuyer les grandes pétrolières dans leur combat contre Greenpeace. Nous savons très bien qu’une « science » nous alerte concernant un terrible futur pour nos enfants. Nous n’en avons probablement pas peur, même si parfois nous prétendons le contraire. Payer des gens pour effectuer des contre-expertises et l’exprimer est donc légitime.

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Gabriel Lacoste travaille dans le secteur des services sociaux et a complété une maîtrise en philosophie à l'UQAM.

   
 

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