Le Québécois Libre, 15 janvier
2015, no 328 1) parce que l'Islam n'est pas une personne, c'est un être collectif, qui n'est pas sujet de droit. C'est donc un crime sans victime, c'est-à-dire un faux crime.La seule définition rationnelle du crime c'est: une agression physique contre la personne et les biens d'autrui. Car c'est la seule chose que l'on puisse mesurer objectivement. Les crimes de pensée n'existent pas car ils ne sont pas mesurables, trop subjectifs. En effet, la pensée ou la parole peuvent offenser mais ne tuent pas. Et quand commence l'offense? C'est impossible à définir, arbitraire. La notion de crime contre la pensée est totalitaire et conduirait à mettre en prison ou censurer la plupart des écrivains et des philosophes! On a également entendu certains religieux, catholiques ou musulmans, revendiquer le « droit de ne pas être offensé », de « ne pas être insulté ». Cette idée, qui conduit à vouloir rétablir la censure, est absurde et ne tient pas non plus. En effet, la liberté d'expression inclut la liberté d'offenser et de choquer. Et nous devons accorder cette liberté à tous: à Charlie Hebdo comme à Dieudonné, l'humoriste dont on a un peu vite oublié qu'il avait été censuré, par ceux mêmes qui se disent Charlie et qui réclament aujourd'hui la liberté d'expression. Drôle de tolérance à géométrie variable, qui accorde des droits aux uns et non aux autres. 3) Mais tolérer le vice ce n'est pas l'approuver Si l'offense ne tue pas, cela ne veut pas dire qu'elle est une vertu et qu'on doive la subir sans rien dire. Si les vices ne sont pas des crimes, ils ne sont pas des vertus non plus. Les insultes de Charlie Hebdo à l'encontre du pape et des chrétiens m'ont toujours paru pauvres et méprisables. Mais on ne peut défendre sa foi qu'avec des arguments. Le vice et l'erreur doivent être combattus par la parole ou par l'écrit, non par la loi, ni par la force. Rien ne nous oblige à être toujours Charlie, à approuver l'utopie socialiste ou la haine anti-juifs, anti-catholiques ou anti-musulmans. On peut boycotter un journal d'opinion, un spectacle, ne pas lui donner d'argent, l'attaquer par sa plume et réfuter ses propos jugés odieux. Seule la violence est exclue. En conclusion, la liberté c'est donc aussi le droit de ne pas aimer Charlie. Il reste que dans les circonstances présentes, je me sens solidaire de Charlie, en tant que symbole d'une liberté d'expression piétinée et non en tant que porteur de valeurs contraires aux miennes. ---------------------------------------------------------------------------------------------------- * Damien Theillier est président de l'Institut Coppet et professeur de philosophie à Paris. |