L'enseignant est un vendeur comme les autres |
En pleine vague d'hystérie contre l'« austérité » au Québec, une nouvelle
est tombée:
le ministre de l'Éducation envisage de faire passer la tâche des
enseignants de 32 à 35 heures par semaine, d'augmenter le nombre de
leurs élèves et de geler leur salaire.
En parallèle, quelque
200 postes de professeurs et chargés de cours seront éliminés à
l'Université de Montréal.
Voilà l'occasion d'entendre les litanies de ce groupe d'intérêt, dont
vous trouverez des exemples dans
une chronique de Mathieu Bock-Côté
ou
sur la page Facebook d'Anarchopanda pour la gratuité scolaire.
Les enseignants sont investis de missions chevaleresques: transmettre LE
savoir et LE patrimoine culturel, nous intégrer à la collectivité,
compenser les lacunes intellectuelles de nos familles, égaliser nos
chances dans la vie, nous préparer à résister aux tentations de la
société de consommation et ouvrir nos esprits.
Le gouvernement est confronté à des pressions budgétaires et doit
choisir à qui imposer des sacrifices supplémentaires. Lorsqu'il se
tourne vers eux, les profs se décrivent comme des héros dont la valeur
salariale est odieusement sous-évaluée. Ils détournent l'attention vers
les employés des banques qui ont gagné plus de 12 milliards de dollars
en bonis,
la hausse du salaire
des PDG,
les entreprises et les fortunés qui déplaceraient pour 155 milliards
d'argent ailleurs afin d'éviter l'impôt
ou
le revenu de leurs administrateurs.
Je les entends me dire qu'ils sont moins payés que des monteurs de ligne
ou des plombiers, alors qu'ils ont étudié beaucoup plus longtemps.
La dégradation de leur condition est ingrate, mais ils persévèrent, car
ils ont à cœur notre avenir. Ils affirment « je
ne suis pas une PME »
ou « je ne vends pas un produit ».
La négation d'un choix pénible
Dans un conte de fée, aucun individu « ordinaire » ne ferait de sacrifices
et seulement les plus opulents se priveraient d'une de leurs multiples
résidences secondaires ou d'une Bugatti. Tous feraient ce qu'ils aiment,
agiraient par gentillesse et il en résulterait un monde dépourvu de
frustrations. Malheureusement pour nous, le monde est un lieu de
privations et de pénuries qu'il nous faut apprendre à maîtriser à coup
d'épreuves, d'ingénierie et d'efforts pour n'obtenir souvent que de
minces résultats en échange.
Il est commode d'expliquer
cet état de chose par l'action malfaisante d'un petit groupe de fortunés
qui exploite l'écrasante majorité des gens. Nous supposons
alors que la rareté des ressources est une illusion, que les ressources
existent pour répondre à nombreuses de nos demandes, mais qu'il faut
simplement avoir le courage d'aller les chercher dans un odieux
coffre-fort. C'est ce qui motive les revendications des membres de la
FSE
affiliés à la
CSQ.
Comprenez entre les lignes: vous et vos enfants n'aurez aucun effort
supplémentaire à fournir pour assurer le bien-être de nos enseignants,
sauf de les applaudir lorsqu'ils manifesteront leur mécontentement, de
répondre favorablement à leurs demandes dans un sondage, de voter
QS ou d'opiner
comme eux. Seulement les très riches auront à en souffrir, mais ils ne
sont pas à plaindre.
Comment vous enlever cette pensée magique de la tête?
Les arguments pour prouver cette concentration de la richesse
ont la forme « 1% ou 0.01% des personnes possèdent, concentrent ou
cachent au fisc x % de la richesse globale » avec une courbe qui monte
depuis les années 1975, période où nous serions entrés dans une ère
« néolibérale », question de nous montrer que si nous revenions aux bonnes
vieilles politiques de redistribution d'antan, nous en retrouverions
l'âge d'or.
De nombreuses choses peuvent être dites concernant cette logique,
mais le plus grave problème est le suivant: les chiffres sur la
concentration de la richesse dénaturent grossièrement l'ampleur et la
nature de ce que possèdent les plus fortunés. Ils créent le mirage d'un
gigantesque potentiel d'amélioration facile de nos conditions de vie. Ce
leurre nous encourage à
nous piller
nous-mêmes
comme un chien qui court après sa queue ou comme
Œdipe qui tue son
père en croyant échapper à son destin.
Il n'y a pas de médecins et d'infirmières qui se tournent les pouces en
attendant que des riches soient malades, ou des gigantesques entrepôts de
nourritures cachés à la population dans des châteaux. Les plus fortunés
possèdent des machines, des outils, des véhicules, des infrastructures
qui servent à produire ou à distribuer des biens et services. Les saisir
ne nous donnera pas plus de pains sur la table. Le nombre de personnes qui
travaillent dans des hôtels 5 étoiles, comme agent de bord en première
classe, dans la construction de manoirs, dans des usines à yachts, dans
des restaurants chics ou dans n'importe quel secteur destiné spécifiquement
aux 1% des plus riches est minime. En d'autres mots,
les courbes statistiques de
l'IRIS
ne renvoient pas à des entités claires et distinctes, mais à des
fourre-tout subjectifs et abstraits qui nous induisent à voir des
ressources là où il n'y en a pas à la manière d'une
alchimie moyenâgeuse.
|
« Qui donnera le fruit de son
travail pour assurer aux enseignants leur condition de vie?
Nous tous. Ce qu'ils veulent gagner ou maintenir en
combattant le gouvernement, d'autres individus “ordinaires”
devront s'en priver pour le leur fournir. » |
Revenons-en au gros bon sens. Nos commodités ne poussent pas dans les
arbres, ni dans les comptes en banque au Luxembourg. Qui donnera le
fruit de son travail pour assurer aux enseignants leurs conditions de vie?
Nous tous. Ce qu'ils veulent gagner ou maintenir en combattant le
gouvernement, d'autres individus « ordinaires » devront s'en priver pour
le leur fournir. C'est dans ce contexte que la véritable question se
pose: pourquoi ce seraient eux qui en bénéficieraient plutôt que les
vendeurs de téléphones, les menuisiers, les concierges ou n'importe qui
d'autres?
La légitimité de
l'enseignement et de ses coûts
Les enseignants aiment la démocratie et ce n'est pas pour rien. En
théorie, nos taxes et la manière de les allouer sont le fruit de la
volonté du peuple. Nous avons donc décidé « collectivement » de consacrer
tel montant pour que ceux-ci nous prodiguent leurs lumières. Nous leur
avons attribué cette place dans la société. Ils ne l'ont donc pas prise
de force. C'est pourquoi elle est légitime. Ils vont probablement nous
sortir des sondages pour nous le confirmer. Amen.
Cette histoire est aussi fumeuse que celle de la représentation papale
de la volonté divine qui sanctifiait les rois de nos ancêtres. Les
négociations entre la FSE et le gouvernement ne seront pas l'objet d'une
consultation populaire et nous ne recevrons pas une facture à la maison
avant de répondre à un sondage. Par conséquent, nous n'avons
littéralement jamais choisi de les rémunérer de cette manière, et nous
ne savons même pas ce qu'il en coûte. C'est prélevé directement sur
notre salaire, refilé dans le prix de ce que nous consommons, transféré
par l'entremise d'une dette à nos enfants, camouflé dans le détournement
d'un capital productif ou dilué dans la dévaluation de notre monnaie.
Nous n'avons même pas eu un mot à dire sur le contenu pédagogique que
nous recevons des enseignants en échange, ni même si nous avons besoin
de l'ensemble de leur service. Il y a peut-être des gens qui ont été
consultés lors de
la commission
Parent,
mais ce n'était pas nous. Les enseignants peuvent donc fabuler sur leurs
« missions » chevaleresques et la valeur de leur effort autant qu'ils le
veulent, nous n'avons aucun moyen de leur répondre qu'ils sont dans le
champ ou que nous avons d'autres priorités.
Lorsque des groupes se sentent frustrés par un gouvernement, ils disent
souvent « nous n'avons pas voté pour ça », comme si voter, s'exprimer dans
un sondage ou manifester dans les rues étaient les actions par
excellence qui bénissaient toutes actions du sceau sacré de la
souveraineté populaire. En réalité,
ce sont plutôt
l'entreprenariat, la vente, l'achat et le don qui possèdent ces vertus.
Malgré les connotations négatives associées au mot « vendre », il désigne
l'action de demander poliment à quelqu'un s'il est disposé à nous
remettre une partie du fruit de son travail en échange de notre service.
« Acheter » consiste à accepter un échange en étant informé du prix. Cet
échange devient légitime pour quatre raisons fondamentales: il est
voulu, informé, précis et engageant.
Voter n'engage qui que ce soit que dans un sens extrêmement faible.
Les politiciens ne sont pas obligés de tenir leurs promesses, pas plus
que les syndicats ou les associations citoyennes. Ils décident avec
l'argent des autres. Ensuite, nos choix électoraux sont confus et
portent sur des énoncés de principes abstraits ou de vastes programmes
dont nous ne pouvons pas vraiment comprendre les ramifications. Nous
votons sur la base de perceptions plus que de réalités tangibles. Nous
le faisons en ignorant complètement ce qu'il nous en coûtera.
Bref, les enseignants ne nous ont jamais vendu leur service et nous ne
les avons jamais achetés. En conséquence, la portion de notre travail
qu'ils méritent d'avoir n'a jamais été déterminée par une procédure de
légitimation crédible. Leur nombre d'années d'étude n'est pas de notre
responsabilité. Ensuite, nous n'avons jamais eu le droit de magasiner
entre divers contenus scolaires. Ces choix nous sont littéralement
imposés de façon uniforme.
Il n'y a donc même pas moyen de déterminer si les enseignants nous
« servent » à quelque chose ou s'ils nous nuisent.
Ils nous forcent à fournir des efforts sans nous demander notre avis en
prétendant savoir que « c'est nécessaire », puis
nous leur obéissons, car nous respectons l'autorité et que ce
sont d'abord eux qui nous enseignent à le faire de la petite école au
cégep.
Voilà le problème fondamental. La question de ce qu'ils « méritent » comme
conditions n'est tout simplement pas posée dans les seuls termes
susceptibles de les justifier: ceux de l'entreprenariat, de la vente, de
l'achat et du don. Au contraire, ils sont souvent les premiers à
s'opposer à ce que leurs services soient offerts sur un marché libre ou
bénévolement. Ils tiennent à ce que leurs services soient financés par
la taxation en situation de contrôle légal universel.
Écrire qu'ils sont des vendeurs comme tous les autres n'est pas une
manière de les dénigrer, mais de leur dire qu'ils sont nos égaux en
droits et en responsabilités, dont la plus fondamentale est de nous
demander directement notre avis lorsqu'ils saisissent une partie du
fruit de notre travail et non de faire des deals corporatifs avec une
autorité centrale sous le couvert de valeurs « démocratiques ».
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auteur |
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
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