La gauche et la droite: une sociologie archaïque |
Qui pense à « gauche » et à « droite » en politique?
Lorsqu’une personne « de gauche » parle de « la droite », elle dépeint un
ordre établi dominant, hiérarchisé et injuste basé sur une logique tordue qui cache des motivations égocentriques. C’est un mélange de
traditionalisme religieux, d’autoritarisme policier, de machisme et de
capitalisme de gangsters en cravates. Sournoisement,
ceux qui y adhèrent sont conscients que le commerce est leur force et
c’est pourquoi ils s’opposent à ce qui le limite, mais n’hésitent pas à
recevoir de l’aide de l’État au besoin. Leur religion endort les
peuples. Leur police est là pour écraser la racaille qui menace cette
exploitation bien huilée.
Lorsqu’une personne « de droite » parle de « la gauche », elle pense à un
quémandeur appuyant un ordre rebelle chaotique, improductif et nivelant
par le bas à partir de motifs rêveurs, émotifs ou envieux. Leurs arguments s’appuient sur l’égalité
matérielle, la malchance des pauvres, ainsi qu’une conception de la
liberté qui ne va pas de pair avec la responsabilité. Sournoisement,
ceux qui y adhèrent sont conscients de leur médiocrité à se débrouiller
seul sur les marchés et c’est pourquoi ils investissent des foules
politiquement influentes de leur démagogie pour compenser.
Lorsqu’une personne « de gauche » parle d’elle-même, elle se dépeint comme
membre de masses citoyennes unies contre l’exploitation d’un petit groupe
favorisé. Lorsqu’une personne « de droite » se décrit, elle se voit
en
défenseur de la responsabilité, de l’ordre, de biens légitimement acquis
et de l’effort intelligemment dirigé. Cette dichotomie cache de
multiples nuances et confusions.
1. La gauche établie
Les gens « de gauche » sont fortement représentés par des enseignants, des
chercheurs, des journalistes, des syndicalistes et donc des
intellectuels dont la tâche est de diffuser des messages moyennant un
salaire ou une influence venant la plupart du temps de l’État. Ils ne
sont pas affectés par la malchance ou par une incompétence qui les
pousse à riposter politiquement. Ils sont bien établis dans la société,
munis de privilèges légaux (permis d’enseignement, loi rendant les gens
captifs de leurs activités), capables de compléter des projets demandant
des efforts. Ils contrôlent l’accès aux marchés du travail névralgiques,
forçant littéralement des gens à se plier à leurs caprices. De façon
bien concrète, des gens doivent endurer leurs discours dans des salles
de classe pendant des années avant d’avoir le droit de postuler pour des
métiers techniques ou professionnels (ici
et
ici).
Sinon, ils peuvent être bloqués à l’entrée de certains métiers en raison
des coûts que les organisations de travailleurs en place relativement
aisés imposent aux investisseurs potentiellement motivés à entreprendre
des projets dans ce secteur. Ils sont convaincus de mériter cette
position en vertu de leurs diplômes ou de leur combat antérieur. De ce
point de vue, ces gens « de gauche » devraient être classé à droite en
tant que
substitut moderne du clergé
ou en tant que chien de garde d’une
aristocratie de travailleurs organisés en cartel.
2. La droite fonctionnaire
Ceux qui se disent « de droite » se retrouvent fréquemment à occuper une
place contrôlée par l’État. Un juge, un avocat, un policier, un gardien
de prison, un militaire, un comptable, un notaire, un cadre de la
fonction publique, un statisticien, un fiscaliste peuvent dénigrer les
programmes sociaux, les hippies et les artistes bohèmes. Dans quelle
proportion, je ne le sais pas, mais reste que le succès de ces gens n’a
rien à voir avec la liberté de commerce, au contraire. Ils font, comme
les gens de gauche décrits précédemment, partie d’un groupe qui vit
de sa capacité à comprendre, à obéir, puis à promulguer les valeurs du
contrôle politique. Ils s’opposent sur l’orientation de ces
programmes ou l’importance de les gérer rigoureusement, mais ils
n’hésitent pas à subventionner (ou à réclamer qu’on subventionne) des
« plans de développement »
ou à
moduler l’économie en cartellisant les banques. Tant que l’État
appuie la bonne élite et non les fainéants…
3. La classe sociale autonome impossible à situer
De nombreux
penseurs,
dont moi, croyons que la liberté économique est un instrument
d’émancipation des masses contre les privilégiés du système, alors que
l’organisation politique, même démocratique, est un instrument
d’oppression au service d’une élite. Les coiffeuses, les plombiers, les
mécaniciens, les conducteurs de camion, les ouvriers qualifiés, les
infirmières, les vendeurs de biens de consommation, les petits
entrepreneurs habiles n’ont pas besoin de
la protection de l’État pour prospérer, car ils sont en demande.
Leurs tâches n’exigent pas de longues années d’études, puis ceux qui les
choisissent détestent souvent leur expérience scolaire, étant de
tempérament plus « terre à terre ». Ils ne sont pas idiots, mais se
cultivent à d’autres sources. Si ces gens-là n’avaient pas à faire vivre
ou à se plier aux caprices d’une aussi grande aristocratie de vaillants
protecteurs, de beaux parleurs, de pousseurs de crayons, de pelleteurs
de nuages, de subventionnés et de cartellisés, ils vivraient beaucoup mieux. Qui
profiterait d’une plus grande liberté économique? De façon
vraisemblable: eux. Les intellectuels de gauche ne reconnaissent pas
l’existence de cette « classe sociale », la confondant avec
« les petits
bourgeois »
ou
« les larbins »,
puis la dépeignant comme
manipulée par des médias de masse trompeurs. C’est normal, car le socialisme
vise leur
« aliénation »
au profit des assistés de l’État. Ce sont les « consommateurs », les
« citoyens passifs », les « individualistes » qu’ils dénigrent lors de
dîners de cons (du style
« Tout le monde en parle »).
Un libéralisme qui défend ces gens-là a des ingrédients de gauche ET de
droite. Il constitue la faille d’une sociologie binaire (riche/pauvre ou
patron/travailleur) héritée de Karl Marx.
4. Le laissez-échouer respectueux de la droite
Le libéralisme économique « de droite » ne repose pas sur l’idée que tous
méritent leur vie, mais pose que la peine associée à l’erreur est
salvatrice et que celui qui la vit est le mieux placé pour y trouver une
solution. L’en dispenser lui nuit et ne l’aide pas. C’est pourquoi
l’intervention de l’État est perçue avec dédain, car elle nous prive
collectivement de cette source d’apprentissage. Cette sagesse se résume
à « lève-toi et marche » plutôt que « je te tiens par la main ». Ce sont les
gens « de gauche » qui regardent les pauvres avec mépris, car ils estiment
qu’ils n’ont pas la capacité de rebondir à la suite d'un échec et qu’ils
méritent donc une assistance permanente, des mesures préventives
infantilisantes, un encadrement pédagogique interminable, des services
de protection coûteux. Ils confondent l’intérêt des démunis avec celui
de ceux qui sont chèrement payés pour les materner.
|
« Les étiquettes
“gauche” et
“droite” proviennent d’une époque où les
intellectuels de l’establishment étaient chrétiens, où l’assistance
sociale n’existait pas, et où les gens travaillaient massivement dans
les champs ou les usines, sans fonds de retraite.
» |
5. La gauche conservatrice
Les gens « de gauche » reprochent à ceux « de droite » d’idéaliser le
libéralisme économique du 19e siècle, mais ils l’opposent
plus ou moins consciemment à une variante du
mythe du bon sauvage de J.-J. Rousseau. Ils supposent qu’avant le
capitalisme, les gens vivaient paisiblement sur leur terre, puis
recevaient ce dont ils avaient besoin de la nature. L’égoïsme et donc le
désir de posséder des choses pour soi-même seraient alors apparus, puis
nous auraient éjectés de ce paradis en nous envoyant à l’usine.
Pourtant, les conditions de vie avant l’ère industrielle étaient
horribles et les famines étaient fréquentes. L’apparition des machines a
apporté en réalité une amélioration de nos conditions de vies et non une
détérioration (Voir H. Hazlit:
The Conquest of Poverty,
chapitre 1). C’est un signe manifeste du
succès de la liberté économique et non de son échec.
Les gens « de gauche » réfèrent aussi aux années 1960 et 1970 comme à un
âge d’or.
Pourtant, logiquement,
nombre de nos problèmes actuels en sont, d’une manière difficile à
déterminer, les conséquences.
Par exemple, les jeunes doivent payer pour les retraites et l’assurance
santé promises à leurs parents et grands-parents en ces temps-là. Est-ce
« juste » que
11% de mes taxes servent à payer les intérêts pour une dépense dont d’autres
avant moi ont bénéficié,
en plus de mes cotisations à la
RRQ? Le discours « de gauche » est devenu ainsi
un discours de vieux privilégiés qui vivent du travail des nouveaux
contribuables, comme dans
une chaîne de Ponzi.
6. Le cynisme des désœuvrés
L’État-providence est associé à tort aux assistés sociaux. Je travaille
directement auprès de populations toxicomanes, itinérantes et
criminalisées et je peux vous témoigner que ces gens-là ne sont ni
socialistes, ni démocrates.
Ils sont cyniques.
Ils ne croient ni au capitalisme, ni aux politiciens, ni aux syndicats,
ni aux grands rassemblements d’idéalistes qui veulent changer le monde.
Ils perçoivent l’ensemble du système comme un racket mu par des
manipulateurs malhonnêtes (tel qu’illustré dans la série télévisé
« les Bougons »),
et se débrouillent en vivant en marge de ce système. Tout discours public est, selon
eux, hypocrites. Ils n’hésitent pas à « bullshiter » les intervenants
sociaux pour avoir ce qu’ils veulent, les classant souvent dans la même
catégorie que les policiers. Ils ne rationalisent pas leur chèque
mensuel comme une aide qu’ils reçoivent généreusement du peuple via des
institutions magnifiques, mais comme de l’argent qu’ils peuvent saisir
sans remord puisque, de toute façon, il y a des voleurs pires qu’eux partout
autour. Tout en évitant de faire des généralisations excessives,
plusieurs excellent dans le marché noir, la contrebande, le recel, la
vente de drogue, les services de rénovation rendus sans factures, la
quête, les petites arnaques, la prostitution. Ils choisissent
fréquemment de dormir dehors plutôt que de se plier aux contraintes des
maisons d'hébergement ou des programmes de réhabilitation.
Le contribuable en colère les prend facilement pour cible, mais c’est
une erreur. Il serait plus utile de s’en faire des alliés. Leur
condition résulte souvent des charges que n’importe quel entrepreneur ou
consommateur doit verser à de plus grands privilégiés de l’État et aux diverses exigences scolaires
qui rendent excessivement pénibles la certification de leur compétence.
Une vieille division au service des démagogues
La population en général partage largement des valeurs et des croyances
confuses issues des discours de gauche et de droite.
Les gens qui
s’affichent publiquement « à droite »
ne doutent généralement pas des bienfaits
d’un financement
public du système de santé,
de la nécessité de l’aide sociale
et ainsi de suite. Ils éprouvent seulement une colère envers le
gaspillage et souhaiteraient que cela soit mieux géré.
Quant aux intellectuels (dont je fais partie) qui remettent
systématiquement en question la légitimité de l’État-providence (ici,
ici et
ici),
ils ne s’étiquettent pas comme étant « à droite », mais préfèrent se
qualifier de « libéral » (en France) ou « libertarien » (en Amérique).
Leur
pensée ne correspond que de façon extrêmement grossière au portrait
de « la droite ». Ils sont rarement contre l’aide apportée aux pauvres,
mais croient que ce sont les entrepreneurs, les œuvres de bienfaisance
ou les réseaux de solidarité naturelle qui sont, globalement, les plus
aptes à y parvenir et non des fonctionnaires en situation de contrôle (ici,
ici,
ici,
ici
et
ici).
Ils considèrent les versements aveugles de bénéfices n’exigeant aucun
effort comme l’aide sociale ou les logements sociaux comme étant des
moyens de maintenir artificiellement des populations entières dans un
état de dépendance, alors qu’elles ont un potentiel de succès beaucoup
plus grand.
Les étiquettes « gauche » et « droite » proviennent d’une époque où les
intellectuels de l’establishment étaient chrétiens, où l’assistance
sociale n’existait pas, et où les gens travaillaient massivement dans
les champs ou les usines, sans fonds de retraite. L’essor combiné d’un
capitalisme plus prospère et d’un État-providence soutenu par un clergé
laïc a fait émerger de nouveaux groupes dont la logique ne cadre plus
avec ce modèle devenu maintenant archaïque et ne servant, au final, que
d’instruments au service de démagogues. « La gauche » est devenue une
manière hypocrite pour des protégés aisés de l’État de se réclamer des
miséreux d’antan, et « la droite » n’est maintenant plus qu’un
épouvantail évoquant les fantômes du passé. Nous devrions abandonner ces concepts
périmés.
|
|
Du même
auteur |
▪
L'enseignant est un vendeur comme les autres
(no
328 - 15 janvier 2015)
▪
Qui contrôle nos communications publiques?
(no
327 - 15 décembre 2014)
▪
L'abolition des Cégeps: une église en danger
(no
324 - 15 septembre 2014)
▪
Qui est victime de pensée magique?
(no
323 - 15 juin 2014)
▪
Le « nous » trompeur: l'imposture démocratique
(no
322 - 15 mai 2014)
▪
Plus...
|
|
Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de
marché et de la coopération volontaire depuis 1998.
|
|